A vue d'homme, une telle évolution paraît plus qu'improbable, mais méfions-nous. Tout changerait si l'anglais devenait la langue de la réussite sociale. Or plusieurs mesures vont dans ce sens...
Pourquoi ne parle-t-on plus gaulois en France ? La réponse est très simple : les Romains ont fait du latin la seule langue de la promotion sociale. Peu à peu, les Gaulois ont compris que, pour accéder aux meilleures places, il leur fallait maîtriser l'idiome du pouvoir. Une longue phase de bilinguisme gaulois-latin a suivi, mais la fin de l'histoire était écrite. Au Ve siècle de notre ère, le gaulois avait totalement disparu.
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Pourquoi parle-t-on de moins en moins breton à Quimper, alsacien à Strasbourg, catalan à Perpignan ? La réponse est très simple : la France a fait du français la seule langue de la promotion sociale. Peu à peu, les habitants de toutes les régions de notre beau pays ont compris que, pour accéder aux meilleures places, il leur faudrait maîtriser la langue du pouvoir. Une longue phase de bilinguisme langue régionale-français a suivi, mais la fin de l'histoire semble écrite. Au XXIe siècle, si rien ne change, toutes les langues de France autres que le français auront disparu de métropole.
Pourrait-on un jour ne plus parler français en France ? Peut-être. Comme on l'aura compris, tout dépendra de la langue qui sera choisie pour la promotion sociale. Tant que celle-ci restera le français, la menace sera marginale (malgré la profusion exaspérante des anglicismes). En revanche, si cette place était dévolue à l'anglais, la situation pourrait changer du tout au tout.
C'est en cela que plusieurs décisions prises ces dernières années sont inquiétantes. Qu'on en juge par ces quelques exemples :
* Le 16 mars 2021 est présentée la nouvelle carte d'identité nationale. Pour la première fois, tous les intitulés sont traduits en anglais.
* Le 4 février 2020 paraît un décret régissant les règles à respecter pour enseigner le français à l'étranger. Parmi celles-ci : "Faire valoir un niveau au moins B2 du cadre européen commun de référence pour les langues en anglais" (c'est-à-dire "parler avec naturel, aisance et efficacité") - et ce, y compris dans... les pays francophones.
* Le 3 avril 2020, un décret du Premier ministre Edouard Philippe subordonne l'obtention du BTS à une certification du niveau en anglais.
* Le même jour, un autre décret du ministère de l'Enseignement supérieur en fait de même pour les licences, les licences professionnelles et les diplômes universitaires de technologie.
* En 2013, la loi Fioraso avait déjà modifié la loi Toubon sur la langue française pour favoriser l'anglais dans l'enseignement supérieur et la recherche.
Visiblement gêné aux entournures, le ministère de l'Enseignement supérieur n'a pas répondu aux questions de L'Express, mais on connaît ses motivations. Il considère que c'est en attirant des étudiants plus à l'aise en anglais qu'en français qu'il renforcera l'attractivité de nos universités. Une argumentation qui ulcère les amoureux de la diversité culturelle. "A moyen et long termes, ces dispositions jouent fortement en notre défaveur, commente le didacticien des langues Pierre Escudé. Car il n'y a pas de secret : ériger l'anglais en seule langue internationale est la plus sûre façon de tuer les autres et, dans notre cas, le français." Une pétition a ainsi été lancée par des enseignants et des enseignants-chercheurs de langues de l'enseignement supérieur contre ce qui est considéré comme une "atteinte au plurilinguisme au sein des universités par la seule obligation de l'anglais".
Et tous de poser en substance ces trois questions. Un : comment convaincre un étudiant africain ou asiatique de l'importance de parler français si nous-mêmes jugeons préférable d'utiliser l'anglais dans nos universités ? Deux : si un étudiant étranger souhaite suivre des cours en anglais, ne sera-t-il pas plutôt tenté de se rendre directement dans un pays anglophone ? Trois : à quoi sert un examen en anglais pour aller enseigner dans un lycée français d'un des 43 autres états où le français est langue officielle et où l'anglais est marginal ? comme le demande dans un article incisif le sociolinguiste Philippe Blanchet.
Beaucoup, sans doute, jugeront ces cris d'alarme excessifs. A vue d'homme, de fait, il n'y a aucune chance de voir le français disparaître de France. Mais c'est précisément là qu'est le piège. Je le répète : il a fallu cinq siècles environ pour que le gaulois disparaisse. Et jamais, au XVIIe siècle, les habitants de Quimper, de Strasbourg ou de Perpignan n'auraient cru à l'effacement du breton, de l'alsacien ou du catalan dans leurs villes respectives. C'est pourtant ce qu'il s'est passé.
Soyons donc prudents. Ni vous ni moi ne verrons l'anglais remplacer le français dans les rues de Paris ou d'Orléans, cela est absolument certain, et c'est sans doute avec cette conviction que nos éminences prennent ces différentes mesures. Ce qu'elles ne voient pas, c'est qu'elles mettent le doigt dans un engrenage. Car si, peu à peu, l'anglais devient le passage obligé pour obtenir un diplôme de l'enseignement supérieur, il est un scenario noir que l'on peut facilement décrire. Les "meilleurs lycées" proposeront un enseignement en anglais renforcé pour favoriser la réussite de leurs élèves. Les familles en tireront les conclusions : pour favoriser la réussite de leurs chères têtes blondes, elles décideront de leur parler la langue de Shakespeare à la maison ou au moins de les faire garder par une baby-sitter (c'est le terme !) anglophone. S'en souvient-on ? Le très macroniste Benjamin Griveaux, éphémère candidat à la mairie de Paris, avait proposé un enseignement de l'anglais... dès la crèche et la maternelle.
A tous ceux-là, on ne saurait trop conseiller de se pencher sur l'exemple des Pays-Bas, qui ont depuis longtemps donné priorité à l'anglais dans l'enseignement supérieur. Résultat ? Les universités locales manquent aujourd'hui d'étudiants dans les filières de littérature néerlandaise, lesquelles commencent à fermer leurs portes.
Est-ce bien cette voie que nous voulons suivre en France ?
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