On connaissait déjà Corinne Mencé-Caster comme professeure des universités (spécialiste de linguistique hispanique), courageuse présidente de l'Université des Antilles et de la Guyane (devenue Université des Antilles) et romancière publiant en 2013, sous le pseudonyme de Mérine Céco, une oeuvre intitulée La mazurka perdue des femmes-couresse. Et voilà que plus récemment elle rèvele ses talents d'essayiste avec Mythologies du Vivre-Femme, Essai sur les postures et impostures féminines (2015), et de nouvelliste avec un recueil de 12 textes intitulé Au revoir ManTine (2016) et attribué à Mérine Ceco, que nous avons présenté dans le numéro 17 de « Justice » (28 avril 2016).
Ces différents ouvrages ont un point commun, qui est l'attention portée à la femme : à la Martiniquaise en particulier dans La mazurka perdue des femmes-couresse et Au revoir ManTine ; à la femme occidentale -et aussi à la femme noire en général- dans Mythologies du Vivre-Femme, où l'on découvre une Corinne Mencé-Caster au discours rigoureusement scientifique et militant à la fois, luttant pour l'égalité effective entre la femme et l'homme, et remettant en cause la conception traditionnelle, patriarcale, de la place et du rôle de la femme aussi bien au sein de la famille que dans la société. Son plaidoyer, qu'on peut qualifier de féministe, se veut cependant lucide et démystificateur, comme l'annonce le titre même de l'ouvrage, où il est question à la fois de « postures » et d'« impostures » féminines, et comme le confirment les 13 « mythologies » identifiées, dont 3 propres aux sociétés antillaises.
Au coeur de l'essai se trouve une distinction entre deux concepts qui sont ceux de « sexe » et de « genre ». Si tout un chacun sait -ou croit savoir- ce que veut dire le mot « sexe », il n'en va pas de même pour le terme « genre », du moins tel qu'il est employé ici. Comme l'explique l'auteure, la question du genre est apparue en France « au tournant des années 2000 », en provenance des Etats-Unis, suscitant méfiance et réticence. Le « sexe », nous est-il expliqué, serait «naturel » et « biologique », tandis que le « genre » serait « socialement construit ». Mence-Caster cite à ce propos Pascale Molinier, qui, dit-elle, désigne par « genre » « le système social, matériel et symbolique, dans lequel les hommes et les femmes occupent des positions hiérarchisées […]. Le genre présente l'avantage d'être un concept englobant qui peut contenir ensemble ce qui est trop souvent dissocié dans l'analyse: les rapports sociaux de sexe et leurs effets sur la subjectivité. » (p.29)
Un exemple peut permettre de comprendre cette distinction: ce n'est pas à cause de leur « sexe » que les filles jouent à la poupée -ou les garçons à la guerre- mais parce que l'éducation qu'ils reçoivent et les conventions sociales veulent qu'il en soit ainsi. C'est donc le « genre » et pas le « sexe » qui détermine leur comportement.
Corinne Mencé-Caster se livre à une analyse sans concession des spécificités des sociétés antillaises, issues, comme on le sait, du système esclavagiste inhumain et aliénant. Elle leur consacre deux sous-chapitres, intitulés respectivement « Les ressorts essentiels de la construction de la masculinité dans les sociétés antillaises » et « Les ressorts essentiels de la construction de la féminité dans les sociétés antillaises ». Notons bien le recours au terme « construction », qui met l'accent sur le fait que cette masculinité et cette féminité ne sont pas naturelles mais sociales, et relèvent donc du « genre ».
Fruit d'un travail de recherche et de réflexion, Mythologies du Vivre-Femme a été élaboré à partir de la lecture d'un certain nombre d'ouvrages de sociologie et d'ethnologie, et d'oeuvres littéraires, dont certains écrits par des Antillais. C'est un texte qui donne à réfléchir et invite à se remettre en cause, surtout dans nos sociétés antillaises où les comportements machistes ne sont pas rares et où les rapports entre hommes et femmes sont souvent ambigus.
Il importe de rappeler cependant que cet essai, modeste par son volume (147pages), concerne essentiellement l'Occident -dont les Antilles font partie, malgré leurs spécificités-, et ne prétend nullement épuiser la question des relations homme/femme à l'échelle de la planète entière. Il existe en effet des sociétés où ce sont les femmes qui dominent les hommes et leur imposent leur loi, telle cette minorité ethnique chinoise où la femme, totalement maîtresse de sa vie, n'a pas de mari mais un géniteur qu'elle admet dans son lit quand elle veut, la nuit tombée, et oblige à partir avant l'aube, et où par conséquent les enfants ne connaissent pas leur père. A l'opposé, les femmes des tribus indiennes de l'Amazonie vénézuélienne décrites par Alexandre de Humboldt au début du XIXè siècle (dans Voyage aux régions équinoxiales du Nouveau Continent) sont traitées comme des esclaves par les hommes.
Même en Occident, où la misogynie a toujours été forte pour des raisons religieuses surtout, les hommes, quelle que soit l'époque considérée, se comportent différemment avec les femmes -et vice-versa-, selon la classe sociale à laquelle ils -et elles- appartiennent, donnée à prendre en considération lorsque l'on parle de « genre » ou de comportement « genré ». Cela vaut pour la Martinique d'aujourdhui, où en dépit de l'héritage colonial commu, les relations entre femmes et hommes varient selon l'appartenance sociale des uns (es) et des autres, tout comme elles le font en fonction de l'obédience religieuse des intéressés.
M.Belrose