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MATOTO (KALINAGO) + ATUTU (EWE) = MATOUTOU (KREYOL)

MATOTO (KALINAGO) + ATUTU (EWE) = MATOUTOU (KREYOL)

   Le "matoutou", plat emblématique de Pâques en Martinique, nous donne à réfléchir sur l'origine, l'étymologie plus précisément de ce plat créole.

   Pour la connaître, il faut bien évidemment un minimum de connaissances en linguistique et dans la branche de cette dernière appelée lexicologie. Le problème est qu'en matière de langue créole, tout le monde se croit savant, "grangrek", juste parce qu'il  ou elle parle celle-ci. C'est le lot de toutes les langues en situation de domination, de diglossie car dans une langue en situation normale comme le français, l'espagnol ou l'arabe, le locuteur ordinaire fait confiance aux grammairiens, lexicologues et dictionnaristes. Il ne se croit pas plus savant que l'Académie française, l'Académie Royale Espagnole ou l'Académie Arabe du Caire.

   Une langue dominée n'a pas d'académie. Il y en a certes une qui a été créée récemment en Haïti, mais les résultats de son action mettront des décennies à renverser la domination du créole. Rien que de très courant ! L'Académie française a ainsi été créé en 1635, mais les lettrés ont continué imperturbablement à écrire en latin et il était encore possible, par exemple, de soutenir jusqu'en 1901 une thèse médecine entièrement rédigée en latin. Plus important qu'une académie est le travail des linguistes, lexicologues, sociolinguistes, ethnolinguistes et psycholinguistes. Le GEREC (Groupe d'Etudes et de Recherches en Espace Créole), que feu le Pr JEAN BERNABE a dirigé pendant plus de trente ans, en a comporté beaucoup et ont ceux-ci ont abattu un travail considérable. Travail matérialisé par les 137 livres et le millier d'articles publiés par les membres du GEREC tout au long de ces années.

   Il est donc très agaçant de voir des non-linguistes se targuer de pouroir expliquer l'origine de tel ou tel mot mieux que les linguistes. Mais là encore, rien d'étonnant ! Cette situation de changera que lorsque le créole parviendra à sortir sous le joug du français et à acquérir sa souveraineté scripturale. Pour l'instant, tout ce que les lexicologues peuvent faire, c'est pointer du doigt contrevérités et autre sottises, notamment sur les réseaux dits sociaux. S'agissant d'un lexème tel que "matoutou", il est clair qu'il ne peut pas avoir une quelconque origine européenne. Cette origine ne peut être que soit caraïbe (kalinago) soit ouest-africaine (éwé, fon ect.) soit des deux à la fois par ce phénomène de fusion qu'est la créolisation linguistique.

   Dès 1665, à peine trente ans après la colonisation des "Isles" par les Français, le R. P. BRETON a publié un "Dictionnaire caraïbe-français". Cet important ouvrage a été republié par le CELIA et le GEREC en 2002. On y trouve ainsi le terme "matoto" désignant une sorte de petite table ou de tabouret en fibre de latanier sur lequel étaient servis les repas. On dispose aussi de nombre de dictionnaires des langues ouest-africaines qui étaient parlées par les esclaves noirs : éwé, fon, wolof etc. On y découvre ainsi le lexème "atutu" désignant un plat à base de crabes. Or, les Caraïbes faisaient, eux aussi, une grande consommation de crustacés, ce qui explique pourquoi nombre de crabes portent des noms kalinagos : "sokan", "zagaya"etc.

   On comprend dès lors que "Matoto" (caraïbe) + "Atutu" (éwé) = "Matoutou" (créole). Bel exemple de créolisation qui ne doit rien aux Békés ! Beaucoup de Nègres marrons trouvèrent refuge chez les Caraïbes au point qu'à Saint-Vincent, un nouveau peuple est apparu, les"Black Caribs" ou Caraïbes noirs, fruit du mélange des deux peuples. Non, la créolisation ne concerne pas et n'a jamais concerné que les seuls rapports entre Békés et Noirs ! Ce que nous appelons la vannerie caraïbe, la poterie caraïbe ou le jardin caraïbe sont en réalité un mélange des technologies caraïbe et ouest-africaines avec, ici et là, un apport européen.

   Croire que lorsque deux (ou trois peuples dans notre cas) sont en contact permanent, surtout dans des territoires exigus tels que les nôtres, ils peuvent conserver leurs pratiques intouchées est rien moins qu'une sottise. Pendant les 50 premières années de la colonisation de nos îles (1620-1670), Kalinagos, Européens et Africains ont été obligés de cohabiter et c'est d'ailleurs pendant ce laps de temps que la langue créole a surgi ("naissance éruptive" dit joliment le linguiste allemand Ralph LUDWIG), cela pour leur permettre de se comprendre. Le créole n'est donc absolument pas né dans l'"Habitation" (plantation), autre sottise colportée par les non-linguistes, puisque le boom du commerce du sucre ne commence qu'à la fin du XVIIe siècle.

   Le phénomène de créolisation kalinago/ouest-africain est aussi important que celui qui s'est produit entre Blancs et Noirs. Il a même constitué une forme de résistance passive à l'univers de l'"Habitation" puisque vannerie, poterie, pêche ou jardin se sont développés en-dehors ou en tout cas, hors du contrôle direct de celle-ci. Et cela jusqu'à aujourd'hui ! Seuls des esprits bornés peuvent refuser de reconnaître que le vaudou haïtien n'est plus le vaudou dahoméen et que le Bondié-Kouli n'est plus l'hindouisme et que ces cultes religieux ont été contraints, par la violence de l'histoire, de se mélanger, d'accepter des apports extérieurs, ne serait-ce que pour pouvoir survivre.

   Rappelons-nous donc que : "matoto" (kalinago) + "atutu" (éwé) = "matoutou" (créole)... 

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