Longtemps, les Guadeloupéens furent, pour nous autres Martiniquais, quelques visages connus ou célèbres : hommes ou femmes politiques (Lucette Micheaux-Chevry, Victorin Lurel etc.), artistes (Patrick Saint-Eloi, Tanya St-Val etc.), écrivains (Ernest Pépin, Maryse Condé etc.) ou encore sportifs. Mais un pays ne se résume pas à ses célébrités ou à ses élites. Un pays c’est surtout monsieur-tout-le-monde, c’est l’employée de cantine, le petit commerçant, l’ouvrier d’usine, l’instituteur du coin ou encore le paysan accroché à sa terre. Cette Guadeloupe-là, cette Guadeloupe profonde, cette Guadeloupe réelle, c’est CANAL 10 qui nous l’a fait découvrir depuis qu’il est possible de recevoir cette chaîne à la Martinique.

Certes, cette télévision privée prête parfois à sourire avec les décors minimalistes de ses plateaux, ses débats qui semblent toujours traîner en longueur, la possibilité offerte aux spectateurs d’intervenir en direct comme sur une radio ou encore les éditos, hilarants mais pleins de sagesse, de son fondateur, Michel Rodriguez. Mais quelle bouffée d’air frais ! quelle bouffée d’oxygène par rapport à ce que nous offre le paysage télévisuel de nos deux îles !

C’est bien évidemment la grève générale conduite par le LKP à partir du 20 janvier dernier qui a véritablement permis à CANAL 10 de s’installer dans les foyers martiniquais. Nous étions, en effet, scotchés devant la retransmission en direct et quasi-ininterrompue à la fois des débats au World Trade Center et des manifestations de rue. Et là, nous avons découverts de nouveaux visages guadeloupéens, Elie Domota bien sûr, mais aussi Nomertin, Tacita et d’autres ardents défenseurs de la cause guadeloupéenne. Nous avons mis un visage sur le nom de certains élus guadeloupéens dont nous entendions parfois parler aux nouvelles : Carabin, Malo etc. Nous avons surtout découvert le patronat guadeloupéen avec Mme Koury et Willie Angèle. Grâce à CANAL 10, d’un seul coup, une société entière se donnait à voir et donc à connaître et à comprendre. Et là, il faut saluer le talent d’une journaliste de la chaîne, Yvelise Boisset, qui creva littéralement l’écran.

Aujourd’hui, Michel Rodriguez n’est plus. C’était un Français-France, un Béké-France, un Métro, un Zorey, tout ce que l’on voudra, bref il n’était pas natif de la Guadeloupe, mais quel amour, quelle passion pour cette île ! Quelle débauche d’énergie, quelle inventivité ! De loin, ou plutôt par le biais de l’écran de télévision, le seul contact que depuis la Martinique nous pouvions avoir avec lui, nous le sentions débordant de sympathie. De chaleur humaine.

L’annonce de sa mort m’a touché bien que je ne l’ai jamais rencontré.

Sa vie, ses actions et ses rêves prouvent en tout cas, s’il en était besoin, que dans nos pays créoles, toute personne, quelle que soit son origine ethnique ou géographique, quelle que soit la couleur de sa peau, a sa place dès l’instant où elle aime nos pays et travaille pour leur devenir. Autant, nous devons être féroces avec ceux qui développent une mentalité « Caldoche », autant nous devons ouvrir les bras à ceux, moins nombreux, hélas, qui viennent à nous en toute sincérité et qui nous respectent.

{{Honneur et respect, monsieur Rodriguez !}}

{{Raphaël Confiant}}