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ROUTE DES RELIGIEUSES

ROUTE DES RELIGIEUSES

_ {Desnuda eres tan simple como una de tus manos
_ lisa, terrestre, minima, redonda, transparente...}
_ { P. Neruda}

{
_ J'ai senti sur mon visage tavelé d'éphélides et blême d'insomnies,
_ aux limbes opalins d'une nuit titubante,
_ près du môle désert, route des religieuses à Fort-de-France,
_ termitière languide aux façades lépreuses,
_ le souffle rance et fétide de la vieille prostituée haïtienne.
_ Hétaïre déchue, ménade décatie,
_ sous l'ivoirine lueur des réverbères, elle promenait de longues heures
_ une triste mélopée de son pays natal et son corps las,
_ baigné des laitances de laptots des moricauds.
_ Ses yeux cernés de koheul, crépuscules farouches
_ de la servitude, brûlaient d'un fanal étique l'exil et la misère.
_ Elle tenait, avides de mamelle,
_ dans quelque case chimérique et délabrée de Trénelle,
_ quatre morveux affamés et criards. Elle s'offrait à tous,
_ bacchante adipeuse, à de bestiales luttes
_ pour un billet froissé, pour de sauvages et hâtives étreintes.
_ Mais, le corps indivis et usé, la peau delphinéenne
_ érodée par les morsures du temps et des hommes,
_ les chairs flasques et pendantes, le sexe
_ encalminé comme une soufrière éteinte,
_ gabarre échouée sur la lagune asséchée des larmes et des spermes,
_ plus personne ne regarde sous les gabbros de la nuit foyalaise
_ la vieille prostituée haïtienne.
_ Et ses pas sont lourds de pitié et de peine,
_ pauvre écume du monde sur la grève immaculée de mon âme,
_ stigmate misérable de la misère humaine
_ qui côtoie sur cette île altière, fière catin de la France,
_ les plus vaniteuses cupidités, le culte obscène de l'argent.

_ O mon Dieu, j'ai ce soir revêtu
_ les ors et la pourpre cardinalice des saints apôtres.
_ Sur le ciment frais d'un hangar à tonneaux, près des entrepôts,
_ j'ai entraîné la vieille femelle désespérée.
_ Moi l'épigone de Saint François, de Saint Martin,
_ j'ai retiré avec lenteur ses oripeaux poisseux.
_ Je me suis baigné ainsi qu'un pur baptême
_ dans la saumure de son corps informe,
_ moraine de chair, sédiment des sueurs.
_ J'ai enlacé ses hanches épaisses comme un calice d'or
_ et labouré saintement cette argile haïtienne,
_ croûte nègre fertile et fripée, jusqu'au moment ultime,
_ élévation divine de notre liturgie,
_ où, mes forces de centaure venant à s'affaiblir,
_ je laissai dans son tabernacle alcalin vaste comme une crypte,
_ un million d'alevins nés de mes marécages.
_ Puis las je buvais doucement l'hydrolat de ses aisselles herbues.
_ Je respirais à pleine poitrine les essences marines
_ de son alcôve moussue, puissant remugle de laminaires.
_ Je parcourais de lèvres agiles ses mornes ensommeillés.
_ Et sur sa bouche charnue, plaie vive de porphyre,
_ je déposai les yeux clos dans un recueillement pieux,
_ un baiser comme une hostie, frêle et murmuré.
_ A son oreille, moi l'ange anémogame, je disais des cantiques,
_ des avés, des oraisons pour son peuple haïtien asservi et martyr
_ et j'ai vu dans ses yeux, puits sombres asséchés,
_ O mon Dieu, naître une fugace source lacrymale,
_ briller le cierge pascal allumé aux Pâques charnelles,
_ une nuit d'ébène bleutée, route des religieuses.}

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