{{ { Cinq jours après le début du conflit social majeur qui a éclaté en Guadeloupe (et fait tâche d'huile en Martinique deux semaines plus tard), l'écrivain martiniquais Raphaël Confiant était sollicité par l'hebdomadaire guadeloupéen "7-MAGAZINE" afin de donner sa vision de la situation. Depuis cette interview, beaucoup d'événements se sont déroulés et il faut donc lire celle-ci avec du recul.} }}

{Sept Magazine : Que pensez-vous des événements actuels en Guadeloupe ?}

Raphaël Confiant : Je suis absolument fasciné par ce qui se passe en Guadeloupe comme beaucoup de Martiniquais. Nous sommes scotchés sur Canal 10 depuis une semaine et nous regardons ce phénomène absolument nouveau qu'est le mouvement déclenché par "Lyannaj kont pwofitasyon". S'il fallait faire une comparaison à tout prix, je dirais que cela me fait penser à SOLIDARNOSC en Pologne. Je veux dire par là qu'Eric Domota et ses camarades ont réussi l'exploit de ne pas faire une grève syndicalo-syndicale, mais ont fédéré des syndicats, des partis politiques, des associations d'handicapés et de consommateurs, des groupes culturels etc...Les débats "Lyannaj + socioprofessionnels + Etat + élus politiques" sont, sous cette forme, absoluments inédits. C'est de la démocratie à ciel ouvert ! Cela devrait être organisé au moins une fois par mois, comme ça le peuple saurait très exactement qui dit quoi et qui fait quoi. Je ne crois pas du tout que l'action de "Lyannaj" soit néfaste pour la Guadeloupe, bien au contraire ! Il s'agit d'une révolution pacifique et c'est ce dont la Guadeloupe et la Martinique ont grand besoin.

{7 MAG : Un mouvement comme celui de la Guadeloupe avec une telle ampleur peut-il avoir lieu en Martinique ?}

RC : La situation est très différente en Martinique pour la simple raison que les indépendantistes y contrôlent le Conseil Régional et les Autonomistes sincères le Conseil Général. Il y a d'ailleurs eu alliance entre ces deux mouvements dernièrement pour demander à ce que notre pays soit désormais placé dans le cadre de l'article 74 de la constitution et non plus dans le 73. Alfred Marie Jeanne et et Claude Lise vont demander à Nicolas Sarkozy de faire un « référendum » d’ici l’an prochain en Martinique . Gardons-nou d'oublier que le "NON" ne l'avait emporté que d'un petit millers de voix en 2003 ! Je ne dis pas que cette fois le "OUI" est assuré de gagner. La bataille sera rude car le camp immobiliste, composé de la Droite et des pseudo-autonomistes, a déjà commencé à s'activer, mais je suis raisonnablement optimiste. On comprend donc qu'une perspective claire, qui vaut ce qu'elle vaut, est proposée au peuple martiniquais qui devra se prononcer incessament, si bien que si la Martinique a déjà connu des grèves très dures par le passé, il ne me semble pas (mais peut-être que je me trompe) que nous sommes en passe d'imiter la Guadeloupe. Par contre, personnellement, je serais pour un "Liannaj kont pwofitasion" martiniquais car le coût de la vie est bien plus élevé chez nous qu'en Guadeloupe.

{SPET MAG : Economiquement, comment voyez-vous cette Martinique indépendante et viable}

RC : De nos jours, il n'y a aucun pays "indépendant" stricto sensu ! La plus grande puissance mondiale, les Etats-Unis, vivent à crédit sur le dos du reste de monde et cela bien avant que la crise financière n'éclate. Ce n'est pas la faillite de Leehman Brothers qui a creusé le déficit budgétaire étésunien, il l'était déjà depuis des années ! Donc aujourd'hui, il s'agit pour chaque pays d'organiser son interdépendance de façon à ne pas être trop dépendant, mais en sachant bien que sauf à se refermer sur soi comme la Corée du Nord, chacun dépend de chacun. Comment ferait une Martinique indépendante ? Comme Barbade, comme l'île Maurice, comme les Seychelles, comme Malte etc...Vous voyez que je prends volontairement des pays de taille et de population comparables. Ces pays n'ont ni fer ni manganèse ni diamant ni rien, pourtant le PIB y est considérablement plus élevé que dans des pays beaucoup plus vastes et possédant d'énormes ressources naturelles comme la Bolivie ou le Congo. Evidemment, dans une Martinique indépendante, nous devrons changer radicalement de mode de vie et cesser d'acheter des 4/4 à 40.000 euros !