Accueil
Aimé CESAIRE
Frantz FANON
Paulette NARDAL
René MENIL
Edouard GLISSANT
Suzanne CESAIRE
Jean BERNABE
Guy CABORT MASSON
Vincent PLACOLY
Derek WALCOTT
Price MARS
Jacques ROUMAIN
Guy TIROLIEN
Jacques-Stephen ALEXIS
Sonny RUPAIRE
Georges GRATIANT
Marie VIEUX-CHAUVET
Léon-Gontran DAMAS
Firmin ANTENOR
Edouard Jacques MAUNICK
Saint-John PERSE
Maximilien LAROCHE
Aude-Emmanuelle HOAREAU
Georges MAUVOIS
Marcel MANVILLE
Daniel HONORE
Alain ANSELIN
Jacques COURSIL

« Le pont suspendu » de Ramabai ESPINET (Trinidad)

« Le pont suspendu » de Ramabai ESPINET   (Trinidad)

« Le pont suspendu » de Ramabai ESPINET est un beau roman des origines. La narratrice Mona Singh, la quarantaine,  vit au Canada où elle exerce la profession de documentaliste pour le cinéma. Au début du roman, elle travaille à une recherche concernant les femmes haïtiennes vivant à Montréal. Son existence bascule, le jour où elle apprend que Kello, son frère atteint du sida, entre dans un service de soins palliatifs. Elle va l’accompagner dans sa fin de vie puis répondre à sa demande d’aller dans leur pays d’origine Trinidad pour racheter la terre ayant appartenu à leur famille. C’est  le début d’une plongée dans les souvenirs liés aux Antilles. Il s’agit de reconstituer un passé d’émigrés jamais certains d’avoir définitivement jeté l’ancre.

 

L’exil a commencé avec celui du grand-père indien Pappy qui a  transgressé un interdit en franchissant le kala pani, les eaux noires qui séparent l’Inde des Antilles. Les parents Da-Da et Muddie ont tourné le dos à leurs traditions indiennes pour  mieux se fondre dans la société trinidadienne avant d’émigrer au Canada. Pendant longtemps Mona a refusé de s’intéresser à l’histoire de sa famille, elle, la documentaliste des histoires des autres ne voulait pas être l’archiviste de la sienne. Kello, son frère mourant, lui fera prendre la mesure de ce qu’elle était sur le point de perdre.

 

A San Fernando, elle recherchera la maison acquise par les ancêtres indiens, bâtie en bois sur des pilotis la maintenant à flanc de ravine. Mona n’en retrouvera que quelques marches ne conduisant nulle part et deux poteaux de soubassement, ultimes témoins d’une construction disparue. Cependant la propriété a une grande valeur potentielle et rachetée, elle profitera aux descendants du grand-père qui ne se sera pas sacrifié pour rien. La destinée de la maison apparaîtra pour Mona comme le symbole à la fois de ce qui fait sa propre force (la construction de sa personnalité durant son enfance) et sa faiblesse (la menace de voir cette identité se désintégrer faute d’y prendre garde).

 

Pour s’approprier ses racines elle retrace les grandes lignes du roman familial avec ses légendes, ses secrets, ses espoirs, ses conflits. La vie à Trinidad est évoquée au fil des souvenirs de Mona : le lycée, les amitiés, les premiers émois, la musique, le carnaval, les fêtes, les faits divers, la vie politique (notamment la peur du changement dans les années 50, l’accès à l’Indépendance en 1962, l’affirmation pas toujours suivie d’effets d’une culture trinidadienne multiraciale et multiculturelle…)

 

Un thème récurrent est celui du racisme : Pappy le grand-père indien, grugé par des créoles peu scrupuleux a dû suer sang et eau pour acquérir une terre, en payant des dettes qui n’étaient pas les siennes. Da-Da le père de la narratrice, pourtant « créole jusqu’à la moelle » s’est trouvé contraint d’adresser aux journaux des lettres dans lesquelles il entendait parler au nom de la fierté indienne, il y dénonçait la politique gouvernementale qui favorisait la population noire créant ainsi la division et la politique coercitive de mariages mixte afro-indiens. Il y stigmatisait aussi un discours national cherchant à détruire la religion, les coutumes et jusqu’aux traits physiques des Indiens. Il en était venu à regretter le temps de la domination blanche puis à l’idée de partir pour le Canada avec les siens. Mais autre désillusion, le Canada se révèlera être un pays ou le racisme est si omniprésent qu’il n’est même pas perçu comme tel.

 

La narratrice s’attarde aussi sur la condition de la femme. Elle explique que nombre de femmes indiennes ayant émigré aux Antilles étaient des veuves de brahmanes ayant échappé à la loi du sati abolie en 1829 par les Britanniques, loi qui auparavant les aurait condamnées au bûcher funéraire. On y apprend qu’à l’arrivée des premiers Indiens, à Trinidad, la « coutume de la femme bambou » voulait qu’ils se marient selon la coutume hindoue mais ce mariage n’avait pas de valeur légale si bien qu’ensuite les hommes, sous l’influence des missionnaires venus du Canada, épousaient devant la loi des femmes converties au protestantisme.

 

Dans les années 50 et 60, la perception qu’on avait au pays des Trinidadiennes d’origine indienne s’avérait dévalorisante, on les disait impudiques, dévergondées, pas assez créolisées. « Pas étonnant, disait-on, qu’il faille les marier jeunes, et que les femmes battues et hachées menu soient si nombreuses chez ces gens-là. » Ces préjugés engendraient des comportements névrotiques au sein des familles indiennes désireuses de les contredire. Dans la réalité, les Indiennes étaient élevées strictement et dans un climat de violence coercitive censée les dissuader du moindre égarement afin qu’elles puissent trouver maris. Ainsi quand Mona, échappe de justesse à un chauffeur de taxi ayant tenté de la violer, elle se confie à sa mère mais cette dernière se trouve épouvantée à l’idée que  cet incident, s’il était connu, jetterait la honte sur la famille.  Personne ne croirait que Mona l’Indienne n’a pas voulu fauter délibérément et son père ne s’en remettrait pas. Son père devenu hystérique à la vue d’un homme regardant avec convoitise sa fille vêtue d’une robe jugée provocante, robe qu’il déchirera, brûlera. Il sera aussi à deux doigts de la tuer, la traitera de putain la forçant à se traîner à genoux sur des tessons de verre. Mona n’aura plus qu’une idée en tête, celle de quitter sa famille. Plus tard elle prendra conscience qu’en dépit de ses qualités, de son instruction, elle n’est jamais parvenue à donner toute sa mesure, un frein mystérieux l’empêchant  de donner le meilleur d’elle-même, ce frein c’est le jugement porté sur elle, par son père, un jour de folie …

 

                                Marie-Noëlle RECOQUE  DESFONTAINES

 

       

                                                    Ramabai ESPINET                               

                                                      

 

Née à Trinidad et Tobago, Ramabai ESPINET partage sa vie entre le Canada, Trinidad et l’Inde. Le théâtre, la poésie, les livres pour enfants demeurent ses principales activités. « Le pont suspendu » est son premier roman.

La Canadienne Frances-Anne SOLOMON a réalisé, en 2005, un documentaire intitulé « Coming home », dans lequel Ramabai ESPINET effectue un retour dans son île natale TRINIDAD plus précisément à SAN FERNANDO, la ville qui sert de cadre à son roman. Ce film s’inscrit dans une série de 26 épisodes consacrés à l’évolution de la littérature caribéenne et brosse le portrait d’auteurs canadiens issus des Antilles. On aurait aimé voir ce documentaire…

 

Connexion utilisateur

CAPTCHA
Cette question sert à vérifier si vous êtes un visiteur humain afin d'éviter les soumissions automatisées spam.

Pages