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LE BON MONSIEUR CAPGRAS ET L’IMPETUEUX MICHEL RENARD

Yves-Léopold Monthieux
LE BON MONSIEUR CAPGRAS ET L’IMPETUEUX MICHEL RENARD

Le seul énoncé de ce titre fera bondir certains. En effet, comment rapprocher deux hommes que tout distingue, se diront-ils ? Tout les distingue : le profil, le caractère, le parcours personnel. Tout, mais surtout leur étiquette politique, en ce pays où le sectarisme fait office de vertu politique. L’un mérite le respect, il était un homme de gauche, tandis que l’autre ne serait qu’un affreux homme de droite.

Ayant à peu près le même âge, Emile Capgras et Michel Renard se sont rencontrés au parti communiste qu’ils ont rejoint dès leur jeune âge. Ils étaient fonctionnaires, l’un dans l’enseignement, l’autre, dans les PTT. Ils ont milité ensemble, en 1951, pour  l’extension aux fonctionnaires locaux des 40% de vie chère.

Je n’ai approché aucun de ces deux hommes qui, tous deux, se sont trouvés en situation de faire avancer la Martinique. Ils l’ont fait, chacun selon ses idées et ses moyens, au moment où ils devaient le faire. L’année 2014 les réunit, en quelque sorte : l’un nous a récemment quittés sous des hommages justifiés quoique pas toujours empressés, l’autre vient de fêter son 90ème anniversaire dans la plus grande indifférence. Seul un jeune militant de l’UMP, Johan Gaudoux, a rendu un hommage public à son grand-père en politique.

Emile Capgras : un président de transition.

Sans savoir pourquoi, M. Capgras m’avait été spontanément sympathique. J’ai été proche de certains de ses amis et j’avais su dès mon jeune âge l’existence de ce sage du Robert, bon père de  famille et proche des autres. Lire l’histoire de sa vie c’est découvrir qu’il était honnête, humble et dévoué. Il avait essayé dans toute la mesure du possible de mettre ces qualités en action par le syndicalisme et la politique. Il était militant du parti communiste martiniquais, et du syndicat CGTM, comme l’étaient ces hommes qui descendaient dans la rue les jours d’action et fréquentaient l’église le dimanche, ou, à tout le moins, y accompagnaient leurs épouses et faisaient baptiser leurs enfants. Il était donc un militant, pas un leader.

Evidemment, le Père Capgras méritait les hommages qui lui ont été rendus, peut-être mieux que ceux qu’il a reçus dans l’enceinte qu’il a occupée en qualité de président du conseil régional. Mais il avait fait ce qu’on attendait de lui. Il avait été désigné, au bénéfice de l’âge, président de la région, pour barrer la route au docteur Pierre Petit. Il avait donc été un président de transition, qui n’avait pas été préparé pour être la personnalité politique la plus importante de Martinique. A cette fonction, il n’a pas su se faire un bilan. Sa mission principale avait été, outre de faire gagner la gauche, de combler le trou financier laissé par son prédécesseur. La mission consistait, si l’on peut dire, à ne rien entreprendre qui puisse aggraver la situation. Il a mieux fait que réussir, avec l’aide de l’Etat et au grand bonheur de son successeur. Mais la Martinique s’était immobilisée.

M. Capgras a souvent été brocardé, à l’image de Léopold Bissol lorsque ce dernier était devenu député de la Martinique. Peut-on reprocher aux martiniquais de s’étonner que la plus haute responsabilité du pays ne fût pas occupée par un homme ou une femme qui y ait été préparé ? Et d’utiliser l’humour pour le dire ?

Département Martinique : 48 ans pour la Gauche, 22 ans pour la Droite.

Son vieux camarade de parti, Michel Renard, avait été élu maire du Marigot, en 1947, à l’âge de 23 ans. Il était alors le plus jeune maire de France. Celui qui avait épousé la sœur de Frantz Fanon, dont la mort l’a séparé il y a quelques années, aurait fait pleurer sa mère, femme d’église, qui s’était trouvée impuissante face à la guéguerre que son fils menait au curé de la paroisse. Par arrêté municipal, le Peppone local aurait interdit au père Gauthier d’organiser une procession dans les rues de Marigot. C’est peut-être le seul exemple martiniquais de l’animosité de l’époque, en France, entre les maires communistes et les curés. Le bouillant curé passa outre, non sans trouble sur la voie publique. Bien entendu, aucune de ces raisons ne justifie que je n’aie pas trouvé sympathique cet homme que je ne voyais pourtant qu’à  travers le petit écran.

Entre 1946 et 2016, la Droite n’aura exercé le pouvoir, en tout et pour tout, que pendant 22 ans sur 70 années de statut départemental. Durant ces deux décennies, comme Alphonse Jean-Joseph qui a apporté l’eau au robinet des foyers des martiniquais du sud ; comme Victor Sablé, surnommé le « député de la banane » ; comme Edmond Jean-Baptiste, le père du tourisme martiniquais ;  comme d’autres qui ont tenté de mettre en actes les aspirations des Martiniquais, Michel Renard s’est révélé un bâtisseur reconnu autant que boudé par les beaux esprits du pays. Autant que les sentiments affectueux prodigués à un juste, autant que les productions intellectuelles et idéologiques appelées à façonner la conscience martiniquaise, les acquis aisément mesurables de l’action politique des élus sont essentiels pour apprécier le bilan de es derniers. Emile Capgras avait un bilan humain et social digne d’éloges, tandis que Michel Renard présente un bilan politique auquel peu d’élus martiniquais ont pu ou peuvent se prévaloir.

A l’instar de nombreux hommes politiques de gauche d’avant 1958, notamment Emile Maurice, Georges Marianne et, plus tard, Jean Maran, l’ancien maire du Marigot avait rejoint la droite gaulliste et joué un rôle important dans le développement de la Martinique, au sein de la majorité du conseil général, l’unique assemblée.

Ce que la Martinique doit à Michel Renard

Les Martiniquais doivent à Michel Renard la mise en oeuvre de la première communauté  des communes du Nord (SIATNO – SIVMANO), précurseur de la communauté d’agglomération Cap Nord ; la création du Parc naturel de la Martinique et du syndicat des Eaux du Nord Atlantique (les deux, dès les années 1960) ; la création et la mise en oeuvre du Fonds d'intervention routier (FIR) qui a structuré l'ensemble du réseau routier du département. Il a percé la voie intérieure, surnommée « route de la banane », destinée à relier le Lamentin au Marigot. Celle-ci permit de désenclaver de nombreux quartiers agricoles de St Joseph, Gros-Morne, Ste Marie et Marigot. Elle est aujourd’hui restée dans la situation d’inachèvement où l’avait quittée Michel Renard, à son départ de la commission du FIR. Depuis, de nombreuses habitations ont été construites sur l’assiette des portions non réalisées, qui rendent quasiment impossible ou, à tout le moins, fort coûteuse la poursuite éventuelle des travaux prévus. Il s’était fait assister par le directeur de la DDST, l’ingénieur Christian de Verclos, qu’il avait recruté en métropole.

Enfin, celui qui a été député pendant deux ans a porté à bout de bras la réalisation de la Rocade de Fort-de-France. D’ailleurs, il n’y aurait pas d’injustice à ce que cette voie de dégagement majeure qui a contribué à moderniser plusieurs quartiers de Fort-de-France, porte un jour le nom de Michel Renard. On se souvient que ce bilan fut publiquement salué par son immédiat successeur au FIR, Pierre Samot. Mais le propos du maire du Lamentin ne connut guère d’écho.

On préfère retenir la petite histoire de cet homme de caractère, qui n’aurait sans doute pas pu tant faire pour son pays sans bousculer les structures et les habitudes. Ainsi lorsqu’il présidait les réunions, les membres étaient tenus d’être présents à l’heure dite. Cela paraît dérisoire, mais une pareille marque d’autorité avait contribué à la vénération de l’ancien Premier adjoint au maire de Fort-de-France, le docteur Pierre Aliker. Il s’agissait alors d’une grande qualité aux yeux de ceux qui préfèrent retenir, s’agissant de Michel Renard, le surnom de « shérif ». Lequel ne conviendrait pas, bien entendu, à Emile Capgras. Un shérif, donc, qui n’avait pas du sang sur les mains. C’était l’époque  féconde des chansonniers, des graphologues, des  « tontons macoutes » et des « lames rassurantes ».

Yves-Léopold Monthieux, le 25 septembre 2014.

 

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