« L’image comme sujet de l’histoire »
L’universitaire et historien français Marc Ferro est décédé le 21 avril 2021 à l’âge de 96 ans. Spécialiste de la Russie, du cinéma et de la décolonisation, il a marqué plusieurs générations d’étudiants et d’historiens de la seconde moitié du XXe siècle.
On retiendra l’ouvrage collectif paru sous sa direction en 2003 : « Le livre noir du colonialisme, XVIe – XXIe siècle, de l’extermination à la repentance ». On peut également citer : « Des soviets au communisme bureaucratique », « Culture et Révolution », « Revivre l’histoire », « Révoltes, révolution, cinéma » », « Cinéma et histoire ».
Orphelin de père à l’âge de 5 ans, sa mère, juive d’origine ukrainienne, ne reviendra pas des camps. Marc Ferro s’engage dans la Résistance et rejoint le maquis de Vercors. Il est professeur d’histoire à Oran au moment de la guerre de libération nationale en Algérie.
Marc Ferro appartient au courant de l’histoire nouvelle, héritière de l’Ecole des Annales : des historiens à la fois démographes, économistes, sociologues, géographes, anthropologues, assurant une liaison étroite entre enseignement et recherche, diffusant la connaissance (France 5 et chaîne ARTE pour Ferro), stimulant les enquêtes collectives, organisant des rencontres entre les sciences humaines. La revue de cette école historique change de nom et devient « Annales ESC, Economie, Société, Civilisation ». Les articles de Marc Ferro s’attachaient à démontrer que les composantes de la société ne sont pas les êtres humains, mais les relations qui existent entre eux. Marc Ferro, c’est l’histoire-problème où il faut découvrir un sens à l’histoire ; l’évolution de l’humanité demeure orientée vers une fin et non vers le chaos.
Marc Ferro a associé Culture et Histoire. Il a été pionnier dans l’utilisation des images comme source d’histoire. Pour lui, le film ne doit pas être considéré comme le simple reflet d’une société, mais comme un moyen d’accéder à l’envers de celle-ci ou de faire tomber un certain nombre de masques.
«On n’en a sans doute pas fini, en France, avec le passé colonial, car la décolonisation a été violente et il subsiste des mémoires douloureuses portées par des individus ayant adhéré à des causes différentes, transmises de génération en génération. Pourtant, L’histoire de la colonisation ne se réduit pas à un face-à-face entre victimes et coupables. L’exemple des sociétés métisses d’Amérique espagnole montre que ce type de conflictualité est loin d’en avoir été le ressort… D’Afrique, d’Inde, est venue une mise en garde globale du dogme de l’universalité de la raison comme moteur de l’histoire, tout comme celui de l’universalité des valeurs de l’Europe ».
En cette année de centenaire du Prix Goncourt à René Maran pour son roman « Batouala », il faut rendre hommage à l’historien français Marc Ferro pour le travail réalisé pour donner un sens à l’histoire. L’histoire n’est pas fatalité, accidents, hasards ou aventures. La destinée de l’Homme est de s’engager dans la mise en œuvre de tâches difficiles mais grandioses.
Marie-Hélène LEOTIN
Professeur d’histoire, Conseillère exécutive en charge de la Culture et du Patrimoine