A la fin des années 70, fraîchement débarquée de Paris, je me mis en quête d'une librairie à Fort de France, qui me dirait tout sur mon pays. Je furetais un peu partout et dans la petite rue Galliéni, non loin de l'ancien Tribunal, aujourd'hui Centre Culturel Camille Darsière, je tombais sur ce qu'il serait convenu de nommer, une antre, antre d'ailleurs prisée par les intellectuels de la Martinique,(je ne le sus que plus tard ) Habituée aux magasins de Joseph Gibert , cet ancien bouquiniste et professeur de lettres classique du boulevard Saint Michel , la librairie Désormeaux ne me troublaient pas, mais je me souviens qu'à cette époque tous les ouvrages ou presque m'étaient étrangers . Je ne connaissais rien ! Ni les auteurs, (antillais) ni leurs ouvrages : la Martinique, l'Histoire, les grandes figures et les grandes révoltes, les békés, rien, pas une patate ! Alors que pendant plus de 15 ans, je m'étais intéressée à toute l'Histoire de France et de Navarre.
Ma grand-mère, en Martinique, rêvait de me voir passer deux mois de vacances à ses côtés, à Case Pilote, Je préférai partir en douce à Figuéras, le joli village de Salvador Dali où un flirt de l'époque souhaitait m'initier au surréalisme. Je connaissais un peu la peinture et l'art moderne, la sculpture, j'aime l'architecture française, la musique classique, le cinéma d'art et d'essai, j'habitais à moins de cinq minute du Trocadéro Je savais tout de Brecht, Jean Vilar.
J'avais entendu parler de Césaire mais je n'étais pas certaine de comprendre tout ce que sa poésie voulait dire. Et surtout, je n'étais pas persuadée que ses écrits s'adressaient à moi.
En poste à RFO Martinique , ma première mission fut celle de la réalisation de documentaires , petits modules de 3 à 6 minutes, diffusés deux fois par semaine à la fin du journal télévisé, puis archivés...pour le commencement d'une mémoire de l'image à Clairière.
Sans complexe aucun, je demandais à travailler sur les demeures créoles, à Didier. Elles étaient belles et représentaient pour moi l'art de vivre. Le responsable du journal un européen trouvait l'idée exotique, elle convenait exactement à l'image qu'il avait de notre île
Face aux regards ambigus et anba de mes nouveaux camarades : Eddy Édouard, Laventure, Calixte, Alie, et consorts, je choisis de m'instruire avant, aussi me mis-je en quête de savoirs.
J'arrivais donc à la librairie Désormeaux. J'eus la chance de rencontrer Monsieur Désormeaux, qui très simplement me prit en bonne passion et trouva le temps de m'écouter et se proposa de m'aider. Je compris très vite qu'il était non seulement un intellectuel, mais aussi un chef d'entreprise avec son imprimerie, un éditeur et un auteur, dont sa passion était le livre en Martinique.
Quand en 1982, il me demanda de me rendre à la foire de Paris pour la présentation des ouvrages de la Maison d'édition Désormeaux, je reçus la proposition comme un honneur
Aujourd'hui encore, il n'est pas rare que je feuillette pour telle ou telle occasion les livres des éditions Désormeaux. Je suis assez fière de ma bibliothèque car elle se compose de bon nombre d'ouvrages qui sont aujourd'hui disparus De Jack Kozani à l’œuvre complète de Césaire.
Aussi, en ce jour de départ pour l’éternité, je salue Emile Désormeaux, je dis qu'il fut pour moi un éveilleur de conscience. Son passage sur cette terre de Martinique laisse une emprunte liée au savoir et à la culture
Merci Emile Désormeaux