Au début du XIXe siècle, les ambitions colonialistes de la France subirent coup sur coup deux défaites qui sonnèrent le glas de son expansion impérialiste au Moyen-Orient et en Amérique. Deux épidémies eurent des conséquences majeures sur le moral, la santé et l’aptitude au combat des troupes françaises et de leurs supplétifs locaux confrontés à un environnement hostile, la chaleur extrême du désert et la pestilence tropicale de l’île, locus terribilis inhabitable, infesté d’aèdes vecteurs d’infection.
«Mal nommer un objet, c’est ajouter au malheur de ce monde.» écrit Albert Camus dans Poésie 44 un essai paru en 1944, durant la Deuxième Guerre mondiale. L’objet en question est à définir comme un objet philosophique, c’est-à-dire le résultat d’une activité de la pensée, que le sujet se préoccupe du monde ou de lui-même. S’agissant de l’expression «distanciation sociale», calque de «social distancing», on ne peut que regretter le coupable empressement avec lequel elle s’est illustrée dans les médias et les réseaux sociaux.
«Dieu nous hait!» La voix hors champ très vaste de la vieille femme interviewée sur CNN me réveilla de ma torpeur. Elle avait sur le coeur de quoi offusquer le ciel. Le corps de sa fille sous les décombres, dont un bras hors de son havre de béton pouvait faire signe, devenait tour à tour une femme, un objet, une toile, une odeur.
«Le voici maintenant cet habitant des frontières, sans identité, sans désir ni lieu propres, errant, égaré, douleur et rire mélangés, rôdeur écœuré dans un monde immonde. C’est le sujet de l’abjection.» — Julia Kristeva