Est-ce parce qu’ils sont tombés pendant la semaine du tour des yoles rondes qui pousse à l’euphorie ? L’annonce d’une nouvelle hausse des chiffres du chômage en juin 2015 n’a provoqué aucune réaction du côté des pythies de Plateau Roy comme ce fut le cas pour ceux de mai (en hausse) et avril (en baisse) 2015. C’est que ces chiffres ne sont pas bons.
En effet, fin juin 2015, le nombre de demandeurs d'emploi inscrits à Pôle Emploi de catégorie A (sans aucune activité) s'établit à 45 228 en Martinique. Ce nombre augmente de 0,6 % par rapport à la fin mai 2015 (soit +272). Sur un an, il est en hausse de 1,7 %. La barre de 45 000 est à nouveau franchie pour la première fois depuis septembre 2014 (45 108 demandeurs d’emploi). Nous savons cependant qu’il faut se garder de juger de la situation de l’emploi sur les données ponctuelles d’un ou voire quelques mois.
Bidouillage statistique
En France, l’augmentation serait de « seulement » + 0,2 % (1 300 personnes).
Il faut savoir que le gouvernement a trituré les statistiques de Pôle emploi pour faire baisser le chômage. La Dares, organisme de statistique du ministère du Travail, a changé la méthode de classement des demandeurs d’emploi en faisant basculer certaines personnes en formation ou en contrat précaire inscrites jusqu’alors en catégories A,B et C (chômeurs n’ayant pas travaillé ou très peu) dans des catégories D (stages, formation) et E (contrats aidés). Pôle emploi aurait accès « à des données administratives plus complètes permettant de mieux connaître les demandeurs d’emploi en formation, en service civique ou en contrat aidé dans l’insertion par l’activité économique ». Selon « L’Humanité » du 29/07/2015, cela a réduit l’augmentation des chômeurs catégorie A de 10 000 personnes supplémentaires à 1 300 en France en juin 2015. En Martinique, l’effet de baisse a du être le même sur les catégories A, B et C. Résultat : les données du chômage sont difficilement comparables avec les mois précédents. Ces bidouillages de statistiques masquent une augmentation du chômage soutenue en France et dans les pays dits d’outre-mer.
1 973 chômeurs ABC de plus sur un an
Quant au nombre de demandeurs d’emploi des catégories ABC (sans aucune activité et avec activité réduite), plus proche de la réalité, il s'établit à 54 255, fin juin 2015 en Martinique. Ce nombre augmente de 0,8 % (soit +453). Sur un an, il croît de 3,8 %.
En mai dernier (voir Justice n° 27 du 2 juillet 2015), le nombre de demandeurs d’emploi de catégorie A avait augmenté de + 1,2 % (+ 545) et ceux de catégories ABC de 1,2% (+ 658).
Cela fait 1 111 chômeurs ABC de plus en 2 mois et 1 973 de plus en un an (juin 2014 à juin 2015).
En Martinique, l’ensemble des demandeurs d’emploi catégories A, B, C, D, E passe de 58 580 en mai 2015 à 59 347 en juin 2015 soit + 1,3 % en un mois ( + 767 personnes) au lieu de 0,6 % en un mois pour la catégorie A et + 0,8 % en un mois pour les catégories ABC. Soit + 4,4 % en un an (+ 2 510 personnes) au lieu de + 1,7 % en un an pour la catégorie A et 3,8 % en un an pour les catégories ABC, selon les données les plus médiatisées par pôle emploi. Cela permet de corriger quelque peu l’effet de cette manipulation des chiffres.
Cela dit, le nombre de demandeurs d’emploi catégorie A (sans aucune activité) augmente dans toutes les catégories d’âge en Martinique :
Il en est de même pour les catégories ABC.
Quant à l’évolution de la situation des hommes et des femmes de catégories ABC, elle est peu différente et s’aggrave simultanément : + 1,1% pour les premiers et + 0,7 % pour les secondes. Cependant, en ABC, il y a 22 836 hommes inscrits à Pôle emploi contre 31 419 femmes.
Un chômage qui s’incruste durablement
Quant aux chômeurs de longue durée ABC (1 an et plus), il augmente en juin 2015 de + 1 %, soit + 6 % en un an. Et il représente désormais 54,4 % des demandeurs d’emploi ABC, soit 1,4 point de plus qu’il y a un an ( 44,6 % en France). Cela veut dire que le chômage s’incruste encore plus.
Et cela se produit en dépit de la baisse de la population et de la fuite massive de la jeunesse vers d’autres cieux, faut-il le rappeler.
Logiquement, le nombre de chômeurs A n’ayant que le RSA pour vivre parce qu’ils ne peuvent prétendre aux Assedic (assurances chômage) continue à progresser de 17 152 en mai 2015 à 17 363 en juin 2015, soit + 5,8 % en un an.
Autre signe d’une aggravation de la situation de l’emploi : les entrées à Pôle emploi continuent à augmenter de 0,4 % au cours des trois derniers mois par rapport aux trois mois précédents. Et les sorties de Pôle emploi diminuent.
Seul signe positif dans cette grisaille : les offres d’emploi collectées par Pôle emploi ont augmenté au cours des trois derniers mois de 1,4 % par rapport aux trois mois précédents. Il faut préciser que les offres d’emploi durable (6 mois et plus) ont progressé de 9,8 %, alors que les offres d’emploi non durable (moins de 6 mois) ont reculé de 10,9 %. Cette embellie va-t-elle durer ?
Recul de l’emploi salarié marchand fin 2014
Par ailleurs, l’INSEE a fait paraître sa note sur l’emploi salarié marchand pour le 4ème trimestre 2014 (INSEE-Flash n° 19 - juillet 2015). Elle confirme que l’emploi salarié a été stable en Martinique pendant l’année 2014, mais a diminué au 4ème trimestre 2014 de - 0,5 %. Le nombre de salariés fin 2014 est de 62 800. L’industrie perd - 0,8 % d’emplois au 4ème trimestre et - 1,6 % en un an (8 300 salariés). Quant à la construction, l’emploi baisse de 1% au 4ème trimestre et de 1,7 % en glissement annuel (5 900 salariés).
Seul le secteur tertiaire marchand (commerce de détail en magasin spécialisé) tire un peu l’emploi vers le haut en 2014, tout en étant en léger repli au 4ème trimestre 2014 (- 0,4 %). Le secteur productif (industrie et construction) continue donc à perdre de la substance avec la crise.
Depuis 2009, c’est en Martinique de tous les DOM d’Amérique que l’emploi salarié marchand a le plus reculé depuis le 2ème trimestre 2009 (- 5,6 % ).
Et dire que, dans les meetings de Serge Letchimy, Dame Catherine Conconne continue à affirmer avec l’aplomb qui la caractérise que EPNM a créé 5 000 emplois (voir réponse dans Justice n° 27 du 2/07/2015). Elle va même jusqu’à revendiquer 9 000 créations d’emploi à Ducos le 18/07/2015…( Le Progressiste du 29/07/2015).
Tant que l’économie martiniquaise ne va pas vraiment redémarrer elle ne pourra pas créer des emplois et faire reculer le chômage. Or la Martinique est plombée par l’austérité imposée par le gouvernement et soutenue par les majorités en place. Le patronat investit peu et certains préfèrent exporter leurs capitaux. Malgré un endettement croissant qui devient dangereux la politique de relance de la Région est à bout de souffle.
Il faut à la fois stimuler la demande populaire et l’investissement public et privé en attendant d’agir sur les facteurs structurels de l’insuffisance d’emplois, à savoir le mal et sous-développement néo-colonial.
Il est temps de mener une autre politique.
Michel Branchi
Economiste
(3/08/2015)