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(1è partie)

NOUS NE SOMMES PAS UNE « MINORITÉ VISIBLE » DE LA FRANCE. NOUS SOMMES UNE « NATION » !

Raphaël Confiant
NOUS NE SOMMES PAS UNE « MINORITÉ VISIBLE » DE LA FRANCE. NOUS SOMMES UNE « NATION » !

Lorsque Michel Rocard devint premier ministre de la France, alors qu’il constituait son gouvernement, il fit la proposition à un député du PPM (Parti Progressiste Martiniquais), de devenir ministre de la Santé. C’était en 1988, il y a des lustres donc. A une époque où les Noirs et autres basanés n’étaient pas accoutumés à occuper des strapontins ministériels au sein du gouvernement de la « mère-patrie ».

Il se dit__car je ne suis pas dans les petits secrets du parti d’Aimé Césaire__que le député en question fut tenté d’y aller mais qu’au terme de trois jours de débats houleux, Camille Darsières, secrétaire général du parti à l’époque, interdit au ministrable de devenir ministre. Ce qui fait que notre homme rendit une réponse négative à celui (Rocard) qui osa déclarer un jour que « La France ne pouvait soulager toute la misère du monde », oubliant sans doute que si ladite misère immigre en France aujourd’hui, c’est parce que celle-ci était allée coloniser le monde durant des siècles. Mais bref…

Je me suis souvenu de cet épisode en entendant autour de moi de nombreux Martiniquais s’étonner, pour certains, s’offusquer, pour d’autres, que la Martinique ne disposât d’aucun ministre au sein du gouvernement de François Hollande. Cela donnait ceci : « Les Guadeloupéens ont deux ministres, Lurel et Pau-Langevin, la Guyane en a un, Taubira alors que nous on n’en a aucun. Ce n’est pas acceptable ! ». Sous-entendu : nous serons les laissés-pour-compte de la prochaine mandature Hollande. En me demandant comment répondre à ces personnes, je me suis alors souvenu des entretiens que j’ai eus avec Aimé Césaire (après la publication de mon livre critique « Aimé Césaire. Une traversée paradoxale du siècle » en 1992), entretiens que j’ai rassemblés dans un manuscrit intitulé « CONVERSATIONS AVEC LE NEGRE FONDAMENTAL ». Manuscrit qu’un descendant du poète m’a sommé de ne pas publier sans au préalable l’avoir soumis « à notre famille ». Ce que j’ai refusé bien évidemment. C’était au lendemain de la mort de Césaire lorsqu’ANTILLA avait révélé, à la stupéfaction du grand public, et cela photos à l’appui, qu’il arrivait à Césaire de m’accorder des entretiens alors même que je l’avais sévèrement critiqué dans mon livre. Je ne sais pas si un jour j’enfreindrai ce diktat familial et si je publierai ces entretiens, toujours est-il que j’en profite pour évoquer un point que lui et moi avions souvent abordé : celui de la Nation martiniquaise. On comprendra qu’au cours de nos conversations, Césaire me disait certaines choses qu’il ne pouvait pas déclarer ouvertement vu l’état de conscience (d’inconscience ?) du peuple martiniquais.

D’abord, Césaire était farouchement hostile à ce que des Martiniquais fassent partie d’un quelconque gouvernement français. Et farouchement hostile aussi à ce qu’un écrivain martiniquais entre à l’Académie française. Quand je lui avais posé cette dernière question, s’agissant de sa propre personne, et par provocation bien entendu, il avait écarquillé les yeux derrière ses lunettes aux verres épais, partagé entre l’incrédulité, le fou rire et la colère. « Vous voyez Césaire à l’Académie française, mon cher Confiant ! » me fit-il de sa voix légèrement zozotante. Poussant le bouchon un peu plus loin, j’avais continué ainsi : « Mais Paul Valentino m’a assuré que ce qui le différenciait de vous c’est que vous étiez fondamentalement français… ». Paul Valentino est ce député guadeloupéen de l’après deuxième guerre mondiale, qui se montra hostile à la loi de départementalisation-assimilation. Témoins de moralité de Luc Reinette, lors du procès de ce dernier, présumé leader de l’ARC (Alliance Révolutionnaire Caraïbe), au tribunal de Pointe-à-Pitre, en 1985 on nous avait enfermés, avec trois autres témoins (dont feue Geneviève Ménil), dans une petite pièce durant quatre heures car les témoins de moralité n’ont pas le droit d’entendre l’interrogatoire de l’accusé par la cour. J’avais donc discuté avec Valentino durant ces quatre heures, mais n’ayant malheureusement pas pensé à emporter avec moi un magnétophone de poche, je n’ai pu enregistrer ses propos (ce que j’ai fait pour mes entretiens avec Césaire).

Césaire répondit indirectement à ma pique (ou plutôt à celle de son collègue député de l’époque Paul Valentino). Il concevait notre trajectoire historique en trois phases distinctes :

. la phase de la Nation en gestation : l’époque coloniale + l’époque post-esclavagiste jusqu’au début du XXe siècle (années 30)
. la phase de la prise de Conscience nationale dont il datait l’émergence__eh oui ! J’ai l’enregistrement__de 1965 et donc de l’OJAM.
. la phase de la Souveraineté Nationale qui, selon lui, était encore loin, très loin, devant nous.

Pour Césaire, nous étions encore dans la Phase 2, mais précisait-il, il fallait se garder d’avoir une vision hégéliano-marxiste de cette prise de conscience nationale, à la manière des communistes et des indépendantistes, c’est-à-dire comme un phénomène continu, inexorable, mû par une sorte de loi historique. « Il y aura des avancées, puis des reculs, et encore des avancées et d’autres reculs », soliloqua-t-il sans me regarder cette fois. Je n’ai pas voulu, par timidité__car l’homme m’impressionnait évidemment__remuer le couteau dans la plaie : celle de l’élection de François Mitterrand en mai 1981 à la présidence de la France lorsque les Martiniquais votèrent comme un seul homme pour l’ami de Bokassa, à savoir Giscard d’Estaing, y compris dans ce fief césairiste qu’était Fort-de-France. Césaire avait eu par la suite des mots très durs à l’endroit des Martiniquais et je partageais totalement sa colère : « mendiants arrogants », « âmes de morue » etc…Il avait, en effet, conçu et construit, le PPM comme un rempart contre cette assimilation dont en 1946, il ne s’était pas douté qu’elle accompagnerait forcément, fatalement, la départementalisation. Le PPM arborait d’ailleurs le drapeau rouge-vert-noir dans ses manifestations et celui-ci figurait en première page de l’organe du parti, « LE PROGRESSISTE ». Césaire avait d’ailleurs tenu à accueillir dans le parti des indépendantistes dont le plus célèbre fut Guy Cabort-Masson dont la voix nous manque tant aujourd’hui. Cabort avec lequel j’avais, soit dit en passant, des désaccords homériques, mais toujours fraternels, lorsque nous faisions partie de la rédaction d’ANTILLA.

Sur la question qui nous occupe aujourd’hui, Césaire avait été on ne peut plus clair : « A l’époque coloniale, nous avons eu des ministres. Henry Lémery, oublié aujourd’hui, fut l’un d’entre eux, l’un des plus notables…C’était normal car jusqu’aux années 30-40, dans l’esprit des gens nous étions « les vieilles colonies », celles qui, de part l’ancienneté de la colonisation française, étaient dignes de faire partie à part entière de la France…Bon, nous étions déjà davantage des Français entièrement à part et non des Français à part entière, mais nous n’en avions pas encore conscience…A notre époque, où nous sommes entrés dans une nouvelle phase, celle de la prise de conscience nationale, il est inconcevable qu’un Martiniquais fasse partie d’un gouvernement français. ». Césaire considérait donc qu’il y avait deux nations__la Nation française et la Nation martiniquaise__certes unies par des liens historiques forts, certes partageant certains traits culturels communs (le christianisme, la langue française etc.), mais différentes. « Oui, mon cher Confiant, deux nations différentes ! ». Et le père de la Négritude de faire aussitôt remarquer qu’il y avait de nombreux nations sans état de part le monde : Québec, Puerto-Rico, Irlande du Nord, Hawaï etc…Ce n’est pas parce que nous ne disposions pas d’un état (pas encore) que nous n’étions pas une Nation.

Participer au gouvernement d’une autre nation relevait donc à ses yeux d’une sorte d’aberration. Comme faire partie de l’Académie d’une autre Nation. Et, si je suis bien sa logique, comme être enterré (ou se voir doter d’une plaque) dans le Panthéon d’une autre Nation. Mais cela ne signifiait aucunement éprouver de la haine pour les autres nations, même pas pour celle (la France) qui, dominait la nôtre depuis des siècles. On peut apprécier la France, aimer même la France, sans pour autant se vouloir français. Ou, dit dans mon langage à moi, vouloir se transformer en « Gaulois noir ». Je partage à cent pour cent cette vision des choses d’Aimé Césaire. D’ailleurs, la Tunisie, le Maroc, le Bénin, le Gabon, le Cambodge etc…sont-ils les ennemis de la France ? Non ! Vouloir donc que la Martinique accède un jour, même lointain, à la Phase 3, c’est-à-dire à la pleine et entière souveraineté, ne signifie absolument pas qu’on conçoive l’ancien colonisateur comme une sorte d’ennemi héréditaire et éternel. Sans provocation aucune pour une fois, j’avais ajouté__ce qui avait fait sourire Césaire__que ce jour-là, nous deviendrions même les meilleurs amis de la France.

Aimé Césaire a donc toujours été très clair sur la « ministrabilité » des Martiniquais. Sa réponse était : NON. Mon inquiétude, en ces périodes d’incertitude et surtout après le vote lamentable des Martiniquais un certain 10 janvier 2010 au cours duquel ils rejetèrent à plus de 70% le petit début de commencement d’autonomie que leur aurait procuré l’Article 74, est la suivante : le néo-PPM saura-t-il conserver la ligne définie par Césaire sur ce point précis ? Saura-t-il résister à la pression populaire ou à celles de ses jeunes militants ? A l’ambition démesurée de tel ou tel petit maire, conseiller général, conseiller régional, sénateur ou député du PPM à qui, en cas de remaniement ministériel dans les prochaines années, Hollande offrirait un strapontin ?

Si jamais le néo-PPM cédait un jour sur ce point, il trahirait définitivement la pensée de Césaire et ce jour-là, je me verrais contraint de publier mes « CONVERSATIONS AVEC LE NEGRE FONDAMENTAL » quoiqu’il m’en coûte…

(à suivre)

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Commentaires

mariah | 21/05/2012 - 16:04 :
La déclaration de Césaire est des plus pertinents, cependant, la Martinique fait encore partie des PPM et il est normal que les Martiniquais se revendiquent dans le gouvernement de Hollande dans un souci de représentativité.[abris piscine->http://www.piscine-factory.com/abris-piscine]
delgres | 26/05/2012 - 15:44 :
Pou sa té ni on sans i té fodré pon matiniken é dabô pou yonn Césaire li menn pa té jan asepté ni Depité, ni Sénatè a --"la NATION FRANCAISE", davwa ki minis, ni senatè, dépité, mè etc.. sé "personnel politique " a NATION FRANCAISE, Lé démen Giyann ou Gwadlouo ké pwan endepandans a yo, ké bizwen moun ki ja ni on lespereyans a gouvelman, menn si yo asimilasyonis jôdi , an pa ka kwè on fanm kon Taubira ké vin on harki é ké chwazi nasyonalité fwansé.. Ki donk Césaire lévé on fo poblém davwa tout sé koloni la , gwada, giyan, Matinik, La reinyon , Kanaky peké rété lontan ankô an ba lopsyon a Fwansé.. Sé Lurel ki ké ay negosyé endepandans a kanaky an 2014, i péké pé rété la ka gadé san sonjé péyi a y an ba jouk a fwansé toujou istwa ké di nou Delgrés PS . Fo pa nou bliyé sé Cesaire ki an 1946 fé yo voté lwa a Departementalisation" 14 lanné pli ta zanmi ay Senghor té ka trapé "endepandans" a Sénégal !!!

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