En Martinique, nous n'avons jamais été libres !
Ni en 1848, quand nos ancêtres esclaves brisèrent leur chaînes, ni en 1870 quand, devenus ouvriers agricoles surexploités par les descendants des esclavagistes, les descendants de ces mêmes ancêtres organisèrent une insurrection qui embrasa tout le sud de l'île, ni en 1914, quand l'Etat français décida que nous pouvions devenir des soldats à part entière et non des engagés volontaires comme c'était le cas jusque-là, ni en 1946 lorsque nous passâmes du statut de colonie à celui de département d'Outremer, ni en 1962 quand de jeunes et courageux étudiants de l'OJAM (Organisation de la Jeunesse Anticolonialiste de la Martinique) défièrent notre puissance de tutelle, ni avec la révolte foyalaise de décembre 1959, ni en 1974, lorsque les ouvriers de la banane embrasèrent le Nord-Atlantique, ni avec la décentralisation mitterrandienne des années 80, ni avec la trentaine de bombes posées au milieu des années 80 par l'ARC (Alliance Révolutionnaire Caraïbe), ni notre intégration au sein du "Loup" (Communauté Européenne), ni avec la grève générale de février 2009 ni avec la création de la CTM (Collectivité Territoriale de Martinique) au début de ce 3è millénaire...
La seule liberté qui nous fut octroyée, ce fut de choisir entre rester au pays en tant que chômeur suite à l'effondrement du système plantationnaire ou de partir "Là-bas" grâce au BUMIDOM (Bureau des Migrations des Départements d'Outremer), d'accepter la fermeture des petites et moyennes distilleries à cause de la loi sur le Contingentement du rhum avec comme seule échappatoire le fonctionnariat pour les enfants de leurs propriétaires, de désormais vivre ou survivre dans une économie de comptoir, dominée par les Békés, à l'aide d'une prime de 40% pour la classe moyenne et d'allocations diverses et variées pour les classes populaires, d'accepter la décrépitude de notre langue et de notre culture en grande partie folklorisées etc...
Mais tout n'est pas à mettre sur le dos du seul colonisateur. Loin de là !
Nous avons, en effet, eu diverses occasions de desserrer un peu l'étau. Un peu. Un tout petit peu comme lors de la consultation de janvier 2010 où nous avions refusé à 80% un tout petit début de commencement d'autonomie. Une poussière d'autonomie ! Les classes populaires ne sont pas en cause. Les responsables sont les Békés, incorrigibles suprématistes, d'une part et la classe moyenne, de l'autre. Cette classe moyenne avec ses politiciens aliénés, corrompus, incompétents, lâches. Ceux, par exemple, qui nous ont infligés humiliation sur humiliation : obliger un Césaire vieillissant à recevoir François Fillon, alors premier ministre, pour lui déclarer "C'est grâce à vous que nous vivons !" ; ceux qui ont planté "le Courbaril de la Réconciliation" sur l'Habitation du plus riche Béké de la Martinique sans exiger de lui qu'il fasse reconstruire une rue Cases-Nègres et un cachot d'esclaves à côté de la belle villa créole qui fait l'admiration des touristes.
Nous avons voté pour ces politiciens et nous sommes pleinement comptables de leurs errements.
Car enfin, tout le monde est allé à l'école et est alphabétisé, tout le monde possède la télévision, tout le monde a son smartphone ou son iphone, tout le monde ou presque a sa voiture (il y a même plus de voitures par tête d'habitant en Martinique qu'en France), les élections sont désormais difficilement trucables, chacun peut voyager même si ce n'est pas pour se rendre plus loin que Sainte-Lucie ou Barbade, des dizaines de milliers d'immigrés caribéens affluent dans notre Paradis artificiel de Koweitiens sans pétrole etc...
Final de compte, nous sommes devenus des "mendiants arrogants" (Aimé CESAIRE).
La dernière manifestation en date de ce comportement est notre refus obstiné d'accepter les deux seules et uniques parades qui existent, pour le moment, contre le covid-19 : en premier lieu, pratiquer la distanciation sociale, respecter les gestes-barrière et porter le masque dans les endroits fermés ; en second lieu, nous faire vacciner quand bien même le vaccin n'est pas efficace à 100% à cause des variants qui surgissent sans cesse aux quatre coins du monde. On a parfaitement le droit de refuser la deuxième parade à savoir le vaccin (et par conséquent le pass sanitaire), mais on n'a pas le droit, DANS LE MEME TEMPS, de refuser la première.
Refuser les deux en même temps est irresponsable, infantile, suicidaire.
Or, la soi-disant "Liberté !" que d'aucuns réclament à corps et à cris, c'est en réalité, celle d'aller et venir comme si le covid n'existait pas, c'est d'organiser des soirées ou des fêtes à cinquante personnes lesquelles deviennent fatalement des nids à covid, c'est tout simplement la liberté de faire "labonm". Et cela au nom d'un nationalisme de pacotille qui, dans les urnes, ne se transforme jamais en vrai nationalisme. Après, on viendra "chigné" parce que dans les médias hexagonaux, on nous traite de vodouisants, d'adorateurs de la Vierge Marie, de buveurs de rhum et d'illettrés ! On déversera notre colère infantile sur cette plaie que sont les réseaux sociaux. On traitera les pro-vaccin de "collabos", reprenant de manière parfaitement aliénée exactement les mêmes slogans que les anti-vax de France et de Navarre, slogans qui ici comme "Là-bas", sont une insulte à la mémoire des 6 millions de Juifs exterminés par le nazisme.
Est-ce qu'un jour, nous finirons par comprendre que la toute première des libertés, la liberté fondamentale, est la liberté nationale ? A savoir celle de s'autogouverner. En clair, la souveraineté nationale. Il est, hélas, permis d'en douter. Edouard GLISSANT ne parlait-il pas de "colonisation réussie" ?...
Commentaires