Vendredi 6 juillet au Mémorial Act, Isabelle Kancel a été sublime ! Des amis proches qui l’avaient déjà vue et écoutée dans le rôle de la Reine de Harlem, il y a deux mois au Moule, puis à Pointe à Pitre, enfin à l’Artchipel, Scène Nationale de Basse-Terre, m’avaient pourtant dit qu’elle incarnait Stéphanie Saint-Clair plus vraie que vraie. Moi, j’en doutais. Comment une femme, seule en scène, pouvait-elle interpréter tous les rôles, et tenir une heure et demie sans que le public jamais ne se lasse ? Il faut dire que j’avais lu le roman de Raphaël Confiant et je ne voyais pas comment une comédienne pouvait, à elle seule, faire aussi bien que l’héroïne du livre ! Comment une mise en scène, aussi géniale qu’elle puisse être, pouvait découper l’histoire d’une vie pour la résumer en moins de deux heures sur scène ? Bref, je suis arrivé dans la belle salle du Mémorial Act avec beaucoup d’a priori, en dépit de ce qu’avaient pu me dire plusieurs amis.
Quand la lumière a progressivement éclairé la scène et que j’ai vu cette petite vieille toute ratatinée assise devant sa tisanière, avec cette lettre en main qu’elle venait de recevoir de Martinique de son neveu Frédéric ,je me suis dit qu’elle ne correspondait absolument pas à l’idée que je me faisais, moi, de « The Queene », la Reine, chef de gang de Harlem, qui avait mâté pratiquement tous les chefs de la Mafia irlandaise, juive, napolitaine, corse, etc… et même émasculé l’un d’entre eux ! Une fois de plus Isabelle Kancel, avec sa démarche à petits pas, les fesses rentrées, partait, pour moi, avec un handicap, elle manquait dès le départ de prestance.
Mais très vite j’ai changé d’avis et cela déjà avant que Stéphanie à 26 ans en 1912 ne quitte la Martinique. Dès qu’elle commence à apostropher son futur amant coiffeur, le personnage est métamorphosé. La petite vieille change complètement, la comédienne a soudain le port, et la voix d’une jeune Martiniquaise déterminée, décidée à quitter son ile à tout prix pour aller à la rencontre de son destin. Le spectateur écarquille les yeux, ce n’est plus la même personne ! On se prend au jeu, elle décroche son manteau au col de fourrure et on ne la quitte plus, on la suit partout dans toute l’histoire de Stéphanie « Queeny », on est avec elle quand elle sort son rasoir, avec elle quand elle mime une scène d’hystérie qui fait fuir la police de New-York, on est avec elle jusqu’à la fin. Au point qu’on ne se rend pas compte que le temps a passé depuis que l’actrice joue…. Je me suis senti presque frustré quand l’éclairage a progressivement diminué et que le public s’est levé pour applaudir à tout rompre.
J’étais moi aussi complètement retourné. Je me suis levé pour applaudir également, chose que je fais rarement.
Il va de soi que ce résultat n’est pas seulement dû au talent de la comédienne. Isabelle Kancel ; On devine tout le travail fait en amont. C’est toute l’équipe qu’il faut ici féliciter.
La mise en scène : Nicole DOGUE
Création lumière : Lila ARUGA
Création sonore : Stéphanie REVEREAU
Producteurs et Co-Réalisateurs : CE QUE JEU VEUT / Fondation Orange.
L’auteur Raphaël Confiant m’a avoué qu’il n’avait toujours pas eu l’occasion de voir son roman sur scène, car la pièce n’a toujours pas été présentée en Martinique. Mais parions que cela ne tardera pas.