L'ancienne conseillère presse d'Emmanuel Macron et ex-porte-parole du gouvernement Philippe vient d'être recrutée à un gros poste par Adecco, le leader mondial du «travail temporaire»…
Ainsi donc, il suffit bien de «traverser la rue» pour trouver un job, et pas n’importe lequel. Sans emploi depuis qu’elle a perdu son poste de porte-parole du gouvernement à l’arrivée de Jean Castex à Matignon le 6 juillet dernier, Sibeth N’Diaye a mis en application la fameuse invite faite à tous les chômeurs français par son ancien boss, Emmanuel Macron, au début de son mandat : à 41 ans, elle vient de trouver un petit boulot chez Adecco France. Intitulé de poste : «secrétaire générale en charge des affaires publiques, du juridique, de la communication et des solutions emploi». A ce titre, elle sera aussi membre du comité exécutif de la filiale française du géant mondial de l’intérim. Bien joué en ces temps de crise économique et sanitaire, où des centaines de milliers de salariés, artisans et restaurateurs risquent de se retrouver au guichet de Pôle emploi ou au registre des faillites.
Adecco ? Un groupe suisse qui fait partie des 500 premières entreprises mondiales selon Forbes (23,4 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2019, dont 5 milliards en France)… et qui est précisément leader mondial du «travail temporaire». Autrement dit, le grand spécialiste du précariat. Mais dans le cas de Sibeth N’Diaye, il s’agira plus d’un petit boulot à quatre zéros par mois sur le bulletin de salaire que d’un job de chien payé au smic. Sans compter les primes, programmes d’actions et autres bonus «incentive».
Le champ d’activités du nouvel employeur de Sibeth N’Diaye a aussi de quoi interroger. Manifestement, la pro de la com de crise n’a pas eu peur de l’effet boomerang, elle qui est à l’origine de la fameuse séquence de travail filmée en juin 2018 et diffusée sur Twitter, montrant Emmanuel Macron dans son bureau à l’Elysée où l’on entendait le chef de l’Etat déclarer : «On met un pognon de dingue dans les minima sociaux et les gens ne s’en sortent pas. Les gens pauvres restent pauvres, ceux qui tombent pauvres restent pauvres.» Chez Adecco, dont le slogan fut un temps «Les gens sont pleins de ressources humaines», elle participera en effet à donner du travail à la pièce à tous ceux qui se démènent pour ne pas rester pauvres. Mais son véritable boulot consistera à mettre son carnet d’adresses politique, ses entrées dans la macronie et sa verve communicante au service du business du travail précaire cher au géant suisse. Quel grand écart symbolique et moral : l’effet de sens est désastreux. Surtout en pleine crise. A condition de s’en soucier.
A son départ du gouvernement, elle avait déclaré quitter la politique, tout en restant une marcheuse de la première heure. Son parachutage chez Adecco a donc quelque chose d’une trajectoire logique. Et il s’inscrit d’ailleurs dans une tradition bien française du «pantouflage», systématiquement agréé par la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique. L’ancien directeur de cabinet d’Edouard Philippe, Benoît Ribadeau-Dumas, vient ainsi de rejoindre Scor, le quatrième réassureur mondial. Et Edouard Philippe lui-même vient d’atterrir au conseil d’administration de la société informatique Atos, dirigée jusqu’à il y a peu par son ami Thierry Breton. Sans que cela n’offusque grand monde. Sibeth N’Diaye n’est pas plus à blâmer que ces deux grandes figures de la macronie, et d’autres hommes et femmes politiques de droite et de gauche qui ont multiplié par le passé les confortables allers-retours dans le privé. Mais la «République exemplaire» promise en 2017 par un jeune candidat à l’Elysée a bel et bien vécu.
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