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INFLUENCES LITTÉRAIRES DANS LA CARAÏBE

INFLUENCES LITTÉRAIRES DANS LA CARAÏBE

Ancien professeur d'Université au Québec, responsable depuis plus d'une vingtaine d'années du GRELCA (Groupe de recherches sur les littératures de la Caraïbe), Maximilien Laroche est l'un des principaux analystes littéraires haïtiens. Il est l'auteur d'une œuvre critique imposante, écrite d'abord en français, puis, en créole, depuis quelques années. Ses trois dernières publications sont : en français, "Littérature haïtienne comparée" ; en créole, "Sé nan chimen jennen yo fè lagè" et "Prinsip marasa". M. Laroche a participé au 1er Congrès des Écrivains de la Caraïbe qui s'est tenu au Gosier (Guadeloupe) en fin novembre dernier. On lira ci-après le texte de la communication qu'il y a présentée.

La première grande guerre de 1914-1918 a provoqué un changement dans les rapports entre les métropoles européennes et leurs colonies de la Caraïbe. Les États-Unis s’étant imposés comme les nouveaux médiateurs des relations de nos pays avec le monde extérieur, nous nous sommes rencontrés par leur intermédiaire et nous avons alors commencé à nous connaître.

Dans le roman haïtien, par exemple, on a pu observer une substitution assez significative. Avant l’occupation d’Haïti en 1915 par l’armée des États-Unis, les étrangers qui dominaient le devant de la scène dans les romans étaient des Français et des Allemands. Ils furent désormais remplacés par des États-Uniens. Dans les récits d’avant cette occupation on n’entrevoyait que de rares Cubains, Portoricains ou Martiniquais. À partir de 1930, on commencera à parler des {Viejos}, les Haïtiens qui émigraient dans les autres îles : à Cuba et en Dominicanie notamment pour aller couper la canne à sucre.

Paris était la destination favorite des bourgeois haïtiens dont nous parlaient les romans de Frédéric Marcelin, de Justin Lhérisson et de Fernand Hibbert. Le roman indigéniste en se tournant vers les paysans qui quittaient le pays pour émigrer dans la Caraïbe nous brossera le portrait d’un personnage comme Manuel, le héros de {Gouverneurs de la rosée} qui, de retour au pays, après avoir fait l’expérience des {huelgas} dans les plantations cubaines, viendra mettre sa conscience de classe et son engagement politique au service de ses compatriotes demeurés dans le pays.

La deuxième grande guerre de 1939-1945 ne fit qu’accentuer les choses. L’axe Port-au-Prince – Paris fut remplacé par celui qui unissait désormais Port-au-Prince à New York. Et, par exemple, c’est à partir du moment où les orchestres haïtiens commencèrent à se déplacer vers la métropole étatsunienne que la musique haïtienne se fit connaître dans la Caraïbe, en Amérique latine et dans d’autres régions du monde.

Les relations littéraires qui se sont tissées depuis lors entre Haïti et les pays de la Caraïbe peuvent s’observer dans la présence du thème haïtien dans les œuvres des plus grands écrivains caribéens. Aimé Césaire, Édouard Glissant et Vincent Placoly, pour la Martinique, Maryse Condé, pour la Guadeloupe, Derek Walcott, pour Sainte-Lucie, Alejo Carpentier, pour Cuba, Enrique Buenaventura, pour la Colombie, entre autres, ont choisi qui, de parler d’un personnage de l’Histoire d’Haïti, qui, du pays lui-même, pris comme sujet global. La romancière portoricaine Ana Lydia Vega, qui a aussi parlé d’Haïti dans ses œuvres de fiction, a voulu, pour sa part, dans sa thèse de doctorat, analyser l’un des sujets les plus fréquemment traités par les écrivains de la Caraïbe et d’ailleurs : le mythe du roi Henri Christophe d’Haïti.

Au nombre des œuvres qui lui ont été consacrées, au théâtre principalement mais également dans l’essai, et ici on pense aux deux livres marquants de C.L.R. James et de Césaire, on remarque que c’est surtout à la figure de Toussaint Louverture que se sont intéressés les écrivains de la Caraïbe. Parlant de {Monsieur Toussaint}, la pièce d’Édouard Glissant, l’historien de la littérature antillaise Jack Corzani a pu donner à son étude le titre suivant : Monsieur Toussaint {ou la réalité martiniquaise au miroir d’Haïti}. Sans doute dans ces œuvres caribéennes qui parlent d’Haïti, leurs auteurs ont pu penser d’abord à leur propre pays. Deux pièces de Derek Walcott où il est question d’Haïti, {Drums and Colours} et {The Haitian Earth} ont été représentées dans le cadre de cérémonies officielles, patronnées par les autorités de Sainte-Lucie. Il n’en reste pas moins que ces œuvres qui parlent d’Haïti constituent pour le lecteur haïtien le meilleur miroir où se regarder lui-même puisqu’il peut se voir sous les traits que dessine un regard fraternel.

Et ce lecteur haïtien qui ne parvient toujours pas à déchiffrer les signaux que lui lance la figure d’un personnage comme Toussaint Louverture n’a pas trop de l’aide que peuvent lui apporter ses frères caribéens pour comprendre ce personnage-clé de son Histoire.

De cela, j’en veux pour preuve un événement récent qui témoigne de ce besoin d’élucider le mystère des victoires de Toussaint Louverture. Toussaint, dont on sait que le nom Louverture lui a été donné après que quelqu’un se fût écrié : «Mais cet homme fait des ouvertures partout! » est devenu, pour les Haïtiens le héros dont il faut imiter les «percées louverturiennes». Ainsi c’est sans trop de surprise que j’ai lu, sur internet, le commentaire suivant d’Éric Sauray à propos de la victoire de Barack Obama :

«La victoire de Barack Obama est une victoire louverturienne. La première chose que m’inspire la victoire de Barack Obama, c’est que la méthode louverturienne de conquête du pouvoir reste toujours la meilleure.»

Et voici comment, d’après l’auteur, se résument les secrets de la méthode louverturienne :

«Cette méthode transversale est fondée sur la capacité à allier les contraires et à concilier les intérêts des différents groupes sociaux. Cette méthode victorieuse depuis le XVllle siècle consiste pour un Noir à endosser tout l’héritage culturel de l’Occident et à faire sien le langage des droits universels de l’homme.

Cette méthode consiste à adopter le langage de l’Occident après avoir fait l’effort nécessaire de l’apprendre, de l’adapter et de le transformer. Cette méthode consiste à sortir de ses préjugés, de ses complexes et de se croire investi de la noble mission d’incarner le destin d’un peuple dans sa pluralité.»

Et, après ces explications, voici venu le moment de réalité. Éric Sauray constate cependant que

«La victoire de Barack Obama est une leçon pour Haïti [[Éric Sauray, «Débat : Obama : une victoire louverturienne et une leçon pour Haïti», {AlterPresse}, le 5 novembre 2008. (Éric Sauray, docteur en Droit, Président du Réseau Haïti Force One.)]]. Dans l’Haïti de 2008, Barack Obama n’aurait pas été élu .» Et d’énumérer diverses raisons, appuyées par des exemples pris dans l’actualité politique haïtienne, qui justifie cette amère constatation.

Nous voilà alors, nous Haïtiens, renvoyés une fois de plus à nos devoirs, c’est-à-dire au problème de savoir comment nous approprier de l’adaptation Obamienne ou d’une autre et l’appliquer à la situation haïtienne.

En attendant que les Haïtiens y parviennent, seuls ou plus sûrement avec l’aide de leurs confrères caribéens, attachés, comme eux, à résoudre un même problème fondamental : celui de sortir véritablement et définitivement de la colonisation, il est un autre exemple qui peut à la fois nourrir tous les espoirs parce qu’il est de l’ordre du symbolique et non du politique et qu’il témoigne de relations capables d’embraser, comme un feu qui se répand, un rêve commun, un désir partagé. Et c’est ce dont nous donne l’exemple la figure de Makandal.

Il s’agit d’une autre figure de l’Histoire d’Haïti, dont le cubain Alejo Carpentier a fait non seulement un personnage important de son roman {Le royaume de ce monde} mais dont le comportement se trouve à fonder sa théorie esthétique du {real maravilloso americano}. Or c’est ce même personnage qui a inspiré le poète dominicain Manuel Rueda, à la suite de Carpentier, et l’a porté à le célébrer dans son étonnant poème, {Las metamorfosis de Makandal} qui est un chant lyrique et épique et en même temps une élégie bucolique et un récit fantastique.

Personnage historique et légendaire en Haïti, devenu l’inspirateur de l’esthétique du réel merveilleux américain et héros de roman à Cuba, Makandal en arrive à incarner tous les rêves de métamorphose en Dominicanie. Voilà une succession de réincarnations qui lui donnent une triple filiation littéraire : haïtienne, cubaine et dominicaine et en fait le générateur d’une série proprement merveilleuse d’influences littéraires partant d’Haïti et y revenant. En effet, on peut penser que l’Haïtien Jacques Stéphen Alexis avait sans aucun doute trouvé dans le roman et les idées de Carpentier de quoi alimenter sa théorie du« réalisme merveilleux des haïtiens».

Le réel merveilleux américain dont Carpentier nous dit qu’il en avait fait l’expérience au cours d’un voyage en Haïti aura ainsi cheminé d’Haïti à Cuba, pour revenir dans les deux parties de l’île d’Haïti, féconder notamment l’imagination d’un poète dominicain qui ose rêver, entre autres métamorphoses, de cette merveille d’une réconciliation des deux parties de la même terre.

Le fait pour les écrivains caribéens de se représenter Haïti est une façon de se regarder dans le miroir d’une Histoire commune. Ils s’apprennent à eux-mêmes à se voir par d’autres biais et par d’autres images.

Pour les Haïtiens cependant le profit est double de retrouver une image à la fois familière et différente d’eux-mêmes en se regardant par les yeux d’un Césaire, d’un Walcott ou d’un Glissant. Ceux-ci peuvent prendre une distance salutaire qui manque aux Haïtiens, surtout dans les questions obsédantes, comme celle de la «percée louverturienne ».

Les œuvres des autres Caribéens qui écrivent sur Haïti, parce que ces écrivains regardent Haïti avec des yeux familiers et en même temps distanciés, peuvent aider les Haïtiens à se voir sous des angles et sous des éclairages autres que ceux sous lesquels ils s’acharnent à remettre en scène leur tragédie.

À ce titre, il est merveilleux de voir le réel merveilleux haïtien passer par le regard de Caribéens tels qu’un Cubain puis un Dominicain pour représenter aux Haïtiens une réalité encore plus merveilleuse que celle sous la quelle ils s’imaginaient. Nous nous apercevons alors que nos personnages historiques, devenus des figures dans une histoire racontée différemment, sont capables d’accomplir des merveilles que la réalité du moment ne nous ferait point deviner.

{ {{Maximilien Laroche}} }

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