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EVA ET SERENA, BEAUTES DIVERSELLES…

EVA ET SERENA, BEAUTES DIVERSELLES…

Tous les goûts sont dans la nature, dit-on. Sauf que nos goûts sont fort peu naturels depuis que nous avons repoussé la nature hors de notre vie quotidienne pour la parquer dans des « espaces verts », sinistres enclaves où tentent de survivre palmiers royaux solitaires, asphyxiés par nos gaz d’échappement, et massifs de bougainvillées ou d’allamandas étiques. Aujourd’hui, nos goûts sont façonnés par les médias__journaux, radios et surtout télévision et Internet__et « façonnés » semble même être un euphémisme puisqu’en réalité, il conviendrait mieux de dire « formatés ».

Témoin nos goûts en matière d’esthétique. D’esthétique féminine surtout. Pendant des lustres, Hollywood aidant, nous avons fantasmé sur les beautés occidentales : Jane Mansfield ou Rita Hayworth, pour les Anglo-saxonnes ; Gina Lollobrigida ou Sophia Loren, pour les Latines. C’était à l’époque de l’âge d’or du cinéma, quand les salles obscures étaient vraiment plongées dans le noir et que le spectateur avait vraiment les yeux rivés à l’écran (et pas sur son portable, à consulter discrètement ses SMS). C’étaient les années 50-60. Le mitan du siècle qui vient de s’écouler. Une éternité donc.
Si l’esthétique euro-américaine régnait sans partage (peau blanche, yeux bleus ou verts, cheveux lisses), étrangement les canons de beauté s’agissant du corps féminin lui-même, de sa forme, étaient un peu partout les mêmes. Par exemple, en pays créole, était vantée la « femme en formes » justement ou la « fanm kosto », chose qu’on peut traduire par « pulpeux », « galbé » ou « bien en chair », la minceur nous étant une notion inconnue et la maigreur quelque chose que nous honnissions. Si bien qu’au niveau du corps, il n’y avait guère de différence entre Hayworth, Lollobrigida d’un côté et de l’autre nos câpresses créoles, nos « mulatas » sud-américaines ou nos « fatma » arabes. Nous partagions tous, d’un bout à l’autre de la planète, le goût d’un corps féminin situé à l’exact opposé du corps masculin. Comme disait mon grand-père, qui n’avait jamais quitté sa campagne du Vauclin :

« Une femme, c’est rond. Un homme, c’est plat. »

Et puis, au tournant des années 70-80, une sorte de révolution s’est produite en Occident quant à la perception du corps féminin et à la norme de beauté liée à celui-ci : la minceur est devenu un « must ». Sauf que, pour ma part, j’ai toujours éprouvé la plus grande difficulté à comprendre ce qui, pour un Occidental, distingue « minceur » et « maigreur ». Quand on me montre une femme « mince », je ne vois, le plus souvent (mais peut-être ai-je besoin de consulter un ophtalmo) qu’une maigrichonne. De plus, la fameuse minceur semble être quelque chose de bien peu naturel (tiens-tiens ! on en revient à Dame Nature) puisqu’elle ne peut être obtenue qu’à coups de régimes drastiques, de coupe-faims ou d’exercices physiques éprouvants. La lutte pour les droits des femmes a été remplacée, chez beaucoup, par la lutte pour le ventre plat et contre la culotte de cheval. A l’inverse, la rondeur semble être dans l’ordre des choses puisqu’il n’y a aucun effort à faire pour l’obtenir.

« Il faut souffrir pour être belle », dit-on. Ah bon ? Tout dépend de ce que l’on appelle « belle », les amis. Si être belle, c’est être plate comme une morue séchée, avoir des seins microscopiques ou un arrière-train en forme d’assiette, alors là, d’accord. En Côte d’Ivoire, fort heureusement, il existe deux concours de « miss » : l’un, calqué sur les critères occidentaux modernes (« minceur » exigée) ; l’autre sur les critères africains traditionnels (« rondeur » obligée). Aux Antilles, nous gagnerions à imiter nos cousins de l’autre côté de l’Atlantique puisque, mimétisme aidant, tous nos concours de beauté sont alignés sur la norme franco-occidentale. Encore que les hommes occidentaux sont en fait de fieffés hypocrites, eux qui disent tout bas que s’ils aiment parader au bras d’une femme mince, ils préfèrent de beaucoup une femme ronde dans leur lit. Mon grand-père, qui avait un humour tranchant, avait coutume de régler le problème d’une phrase :

« {Ola ou ja wè an manawa ki meg ?} » (Où avez-vous déjà vu une prostituée maigre ?)

Et il avait raison le bougre, lui qui n’avait jamais voyagé nulle part. Quel que soit le pays où l’on voyage, quel que soit le quartier chaud que l’on visite__à Saint-Domingue, en Thaïlande ou à Terres-Sainvilles__, il saute aux yeux que ce pour quoi un homme est prêt à payer, ce n’est certainement pas la minceur. Au contraire ! Conclusion : nous sommes, nous les hommes, finalement, tous des hypocrites. Nous feignions d’admirer Eva Longoria, cette créature minuscule, nous faisons semblant d’envier Tony Parker, mais au fond de nous-mêmes, nous savons bien que si l’on nous jetait sur une île déserte avec comme seule compagne féminine soit Eva Longoria soit Serena Williams, la tenniswoman noire américaine, nous n’hésiterions pas une seule seconde à choisir Serena. Allez, un peu de franchise, les gars ! Bon-bon, je sais, la société n’est pas une ile déserte, nous sommes constamment sous le regard des autres, entourés par les autres, donc forcément, nous sommes quelque part contraint de nous afficher avec des « minces ». Il faudrait d’ailleurs se demander si cette folie de minceur qui a frappé l’Occident à compter des années 70-80 ne provient pas tout simplement des créateurs de mode, presque tous homosexuels et qui, comme tels, éprouvent de la défiance envers ce que l’on pourrait appeler « les signes extérieurs de féminité » (comme on dit « les signes extérieurs de richesse »). Car ce sont eux qui ont inventé cette abomination qu’est le vêtement « unisex » comme si la poitrine d’un homme était identique à celle d’une femme ! Ce sont eux qui emploient des mannequins anorexiques. De fait, à force de minceur, artificiellement obtenue, le corps d’une femme finit par ressembler à celui d’un homme.

Lequel d’entre nos écrivains aura assez de courage pour rédiger un « éloge des femmes rondes » ? Et par « rondes », nous n’entendons absolument pas obèses comme veulent nous le faire croire les fanatiques de la minceur. Nous distinguons parfaitement une femme ronde (Tina Turner, Serena Williams etc.) d’une femme obèse, l’obésité étant, d’ailleurs, une forme de maladie. Mon grand-père, qui était un vieux cochon, disait :

« {Ki manniè ou pé janbé an fanm ki pa ni bas-karé ?} » (Comment chevaucher une femme qui n’a pas de culotte de cheval ?)

Eh oui, sans doute faudra-t-il écrire aussi un « Eloge de la culotte de cheval »…

{ {{Jean-Laurent Alcide}} }

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