« poursuivre l’élan de la lave première »
A.Césaire
Tout comme les quatre milliards d’individus de la planète, nous des îles, nous sommes rentrés dans cette réalité traumatisante de la pandémie la plus aliénante de tous les temps, elle se nomme « Covid 19 ou coronavirus » et comme tout ce qui appartient au pays France, confinés nous le sommes.
Notre relation avec le reste du monde existe seulement par le truchement du Net et du portable, la télévision nous informe sur, selon elle, nous devons savoir.
Nous, qui en d’autres temps ne pouvions exister sans le réflexe de « faire famille », rentrés à pieds joints dans les mœurs de l’autre et de l’indifférence des pays riches et des zones privilégiées, nous avons appris ce qu’est l’indifférence. La préoccupation pour nos semblables, ceux de l’Arc caribéen, ne figure pas en tête de liste et, après avoir répondu à la question phare « Qu’allons-nous manger aujourd’hui » rien d’autres ne semble nous atteindre. Nous attendons… nous attendons quoi au fait ??? La fin du monde parbleu ! C’est ce que dirait Aimé.
Face à cette inertie obligatoire du confinement, je lis, je m’instruis, et je m’interdis de me remplir les oreilles des infamies qu’on nous lance à longueur de journées. Les bagarres des mandarins entre eux, les exactions de l’industrie pharmaceutique même les saloperies que l’on tente de faire aux pays d’Afrique, je ne les écoute pas. J’entends les autres régions de France et leur désarroi. La plus durement touchée, l’Alsace, je l’entends dire que « plus jamais ». Plus jamais, aucun gouvernement, qu’il soit jupitérien ou autres, ne décidera de la fin du monde chez elle.
En Janvier 2020, L’OMS avait annoncé la crise du Covid en Europe, l’Etat français et son gouvernement a ignoré les précautions et les réserves, Il a préféré se taire, quitte à virer de son poste le ministre de la Santé.
Un an avant, les « Gilets Jaunes » avaient battu les pavés de Paris pour obliger les Services Centraux de l’Etat de se bouger, l’Hôpital en France était sous perfusion. Au lieu de cela, Jupiter décideur, et qui entend décider, est demeuré sourd aux appels. Députés, Sénateurs, tous ont préféré mettre la nouvelle sous le tapis, l’ex-banquier, devenu président de la République est persuadé que si le fric l’a installé au pouvoir, le fric l’aiderait à sauver la France d’une pandémie.
En applaudissant les soignants de ce pays, comme ils le feraient pour un spectacle ou un match de foot, les Français font semblant d’ignorer que l’être humain est ce qu’il y a de plus précieux dans ce monde et que sa santé est de plus en plus fragile, compte-tenu de la gabegie de l’environnement et des effets nocifs infligés à la terre.
Depuis des décennies, l’hôpital public se voit traiter commue une boutique, sans aucun plan Marshall à l’horizon, pour suppléer aux besoins d’un « kous kouri »* une catastrophe
Face aux malades et aux mourants qui n’allaient pas manquer d’arriver, seuls les mensonges et les avanies, des humiliations pour les soignants incapables de faire leur métier parce que sans moyens .
Et nous ? nous à huit mille kilomètres, séparés de quatre cents bornes de la prochaine île, incapable de nous porter secours, car les centres de santé ne sont pas mieux que ceux de la région Est de France.
Il y a forcément dans ce confinement des interrogations qui ne nous laissent pas de répit.
Que sera demain, pour nous des îles ? Le Maréchal Jupiter, qui n’a jamais connu un jour sous les drapeaux, nous dit que « La France est en guerre », pour ma part, je n’en sais rien, car je ne sais pas contre qui. Je sais cependant que nous, nous sommes en guerre contre nous-mêmes, car de nos ressources internes, celles qui dépendent seulement de nous, qu’en savons-nous et que faisons-nous ?
La récession mondiale provoquée par ce temps d’arrêt qui a l’air de vouloir durer, n’est pas une petite affaire elle aura forcément des répercussions.
Air France et Air Caraïbes, tremblent de tous leurs zincs, car elles ont déjà été sommées de suspendre ce cordon ombilical qui nous relie à l’Autre-bord.
Depuis bientôt quatre cents ans que nous sommes arrivés sur ces bouts d’îles, nous de l’Arc caribéen, qu’avons-nous fait par nous-même et, comment dans la logique d’un engagement humaniste et politique, où sommes-nous inscrits ?
Quelques-uns des nôtres, ont contribué par un travail intellectuel et par leurs œuvres littéraires à endiguer différentes formes d’exclusions et d’inhumanité utilisées pour maintenir l’arrachement. Ces autres, ces nous-mêmes, ont tenté par leur écrit de déconstitutionnaliser la colonisation dans la conscience indigène. Si ces frères en humanisme d’hier, ont tenté de sauver certains d’entre-nous du poison de l’esclavage, de mettre à mal l’entreprise de déculturation, ils ont lutté pour cet idéal d’une magnanimité assumée dans un universel dit-on réconcilié , mais ils ne sont pas tout à fait parvenus à retirer le vers dans l’arbre.
Affronter l’Histoire et son risque, est l’œuvre d’un peuple et non celle de quelques hommes. Et, parce que nous sommes ceux qui ont dit non à l’ombre - c’est Aimé qui l’a dit- il est grand temps d’envisager un lendemain apaisé.
Cessons là, tous ces atermoiements de l’idéologie coloniale où le racisme se greffe sur le rapport de dépendance externe. Il faut commencer à en finir, en poursuivant l’élan de la lave, celle des années soixante-dix.
Nantie de leçons d’humilité et de lucidité, que nous ont laissé, les Glissant, les Placoly les Aliker et bien d’autres, nous avons besoin d’une voix, et des millions de vouloirs pour endiguer le manque.
Bannissant l’horrible « nèg kont nèg » se peut-il qu’il n’existe pas parmi nous, nous de la Caraibe, une voix pour l’Histoire ? Allons nous disparaître dans ce cloaque mondialiste ? Alors que nous savons, depuis que nous sommes dispersés, au milieu des flots, sur cette bande d’îles, au-delà de nos différences, ensemble nous pouvons résister. La modernité ne nous a pas appauvris, car nous le sommes par nature, Si nous nous défaisons de nos chaînes, la modernité nous sera très utile, pour affermir d’autres liens et projeter qui sait, un avenir.
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