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Mort d’un poète

Vali pour Boris Gamaleya

Vali pour Boris Gamaleya

« et plus ne dormirai en ta barque d’oubli / diaphane vaguant en ton éternité / mais rendu au pays du soleil et des pluies / à l’ajoupa misère entre les bilimbis / invisible oukoulou de l’été bengali ». Vali pour une reine morte.
Boris Gamaleya est mort. Fé rézonn roulèr !

Boris Gamaleya en « réserve d’éternités »


Lorsqu’une voix s’éteint, qui nous est chère, nous nous sentons soudain infiniment muets. Et pourtant, pour saluer et fêter cette voix en allée, nous nous devons d’en entretenir aussitôt la mémoire.

Boris Gamaleya, l’immense, le complexe et le torturé Boris Gamaleya, vient de nous quitter. Lui qui a notamment écrit ceci : « L’éternité est si vite passée. À la prochaine ! »

Nous voilà donc saisis de l’ardente nécessité de l’évoquer. Certes, il a d’ores et déjà formulé cet avertissement : « L’éternité respire par le dos ». Nous le voyons ainsi partir le visage désormais tourné vers d’autres univers, mais si nous voyons sa silhouette s’éloigner sans pouvoir lui adresser face-à-face la moindre parole de salut et d’adieu, il nous reste son œuvre pour maintenir un entretien sacré.

Boris Gamaleya, 2010.

Une île intérieure propice à la méditation fidèle


« ni mausolée n’est une île ni mot isolé »… Nous inspirant de cette formule de lui, nous pouvons tenter d’associer les mots pour qu’ils fassent une île intérieure propice à la méditation fidèle.

Né à la Réunion [Saint-Louis] le 18 décembre 1930 d’une mère créole et d’un père ukrainien, Boris Gamaleya a publié en 1973 son premier livre, « Vali pour une reine morte », poème d’exil à la fois lyrique, épique et dramatique.

Cette œuvre a été conçue pendant les années 60, tandis que son auteur, assigné en résidence métropolitaine — comme tant d’autres fonctionnaires de l’outre-mer réfractaires à la politique alors menée dans ces contrées [1] —, apprenait le russe en Sorbonne.

6 septembre 1961 : arrivée à l’aéroport d’Orly des exilés victimes de l’ordonance Debré. Ils sont accueillis par des Réunionnais progressistes et solidaires de la région parisienne, dont Boris Gamaleya.
De gauche à droite : Clélie Gamaleya, Max Rivière, Boris Gamaleya et Gervais Barret.
Paris, 6 septembre 1961. (Source Témoignages)


L’île natale est nommée « Russie noire »


Son père, mort accidentellement alors que lui-même était dans sa petite enfance, ne lui avait en effet légué de la culture slave qu’une absence brûlante. Dans les derniers vers du livre, l’île natale est nommée « Russie noire ». Toute l’entreprise littéraire et politique de Boris Gamaleya tient dans cette expression : mettre ensemble en les entrelaçant des régions éloignées du monde, de l’esprit et du cœur.

Ce premier livre fait date dans l’histoire de la poésie réunionnaise, car il signale l’avènement d’un engagement à la fois poétique et politique dans la destinée de cette île, et, au-delà, dans le devenir du monde.

C’est à ce titre que, dans les années 70, Gamaleya recueille, auprès des conteurs réunionnais, une très grande partie de leurs trésors oraux, ou qu’il publie, en 1978, son deuxième ouvrage, « La mer et la mémoire – Les langues du magma », marqué par le souci d’accompagner et de fêter les militants et les martyrs de l’autonomie.

1969 : La revue "Réalités et perspectives réunionnaises" publie un extrait du "recueil à paraître" — qui sera édité en 1973 — de "Vali pour une reine morte", de Boris Gamaleya.

FILIP BARRET - 7 POEMES DE FEU - EXTRAIT N°1

Une géopoétique étendue au monde entier


Lorsqu’il aura, au nom de l’imprescriptible liberté du créateur, pris des distances définitives avec des acteurs politiques qui auraient bien voulu l’inféoder, il portera son engagement sur le terrain infini d’une géopoétique étendue au monde entier.

Avec sa pièce de théâtre « Le Volcan à l’Envers ou Madame Desbassyns le Diable et le Bondieu » (1983), ce sont les mythes fondateurs de l’identité réunionnaise qui sont revisités, bouleversés et dépassés.

Dans le recueil « Zanaar parmi les coqs ou Le Fanjan des Pensées » (1987), l’archipel des Mascareignes et la Grande Île malgache forment un espace-temps traversé par les cultures du monde en même temps qu’il les traverse de ses singularités.

Illustration extraite du supplément au N° de septembre 1969 de "Réalités et perspectives réunionnaises"

FILIP BARRET - 7 POEMES DE FEU - EXTRAIT N°2

Pour ouvrir plus encore le poème au monde


« Piton la nuit » (1992) approfondit cette expérience de rencontres fécondantes en la rattachant aux entreprises spirituelles de toute origine : présocratiques, chrétiennes, soufies, hindoues, chinoises, japonaises, etc. Et aussi, pour ouvrir plus encore le poème au monde, en faisant de la page un dispositif d’accueil non seulement des mots et du souffle, mais encore de la musique [présente notamment sous forme d’extraits de partition], du dessin, de la photographie…

Désormais, dans une perspective à la fois proche des Cantos de Pound ou de « The Waste Land » d’Eliot, des livres comme le recueil « Lady Sterne au Grand Sud » [1995], le « roème » [roman-poème] « L’Île du Tsarévitch » [1997] ou la somme, éclatante autant qu’éclatée, formée par « L’Arche du Comte Orphée » [2004], sont les jalons d’un cheminement à la fois singulier et partageable.

En 1998, pour le cent cinquantième anniversaire de l’abolition de l’esclavage dans l’outre-mer, une version nouvelle et condensée du « Volcan à l’envers » est, sous le titre d’Oratorio 1998, mise en musique par Ahmed Essyad, dans le cadre d’une commande de l’État.

 

FILIP BARRET - LA VOIX DU TAMBOUR - VERSION COMPLETE


Une œuvre majeure à (re)découvrir


Avec « Jets d’Aile — Vent des origines » [2005], « Le Bal des hippocampes » [2012] et « L’Entrée en Météore, ou l’étoile à double coq » [2012], « Terrain Letchi » [2016], Boris Gamaleya, tout en se renouvelant formellement à chaque fois, continue d’approfondir sa pratique singulière.

En une cinquantaine d’années, une œuvre majeure s’est de la sorte élaborée, qu’il est impérativement urgent désormais de découvrir afin de lui accorder la juste audience à laquelle, patiemment autant qu’impatiemment, elle a tant aspiré.

Patrick Quillier


J’ai froid. Le ciel est clair. Tout au long du trajet vers la Plaine-des-Palmistes, le babillage de Patrice Treuthardt et de papa me berce. Je renoue avec les sensations de l’enfance quand, à l’arrière de la voiture, je renversais la tête vers le ciel et regardais par la fenêtre, immobile, la course furtive des arbres jusqu’à la nausée. J’attends le malaise promis qui va bientôt me cueillir, ce sentiment d’isolement et d’abandon qui s’empare de moi dès que je dépasse la ligne des 400.

Le ciel est clair et Patrice espère une papangue. Boris et Clélie occupent une petite case souriante adossée à un rempart vertigineux. Ils nous accueillent au barreau. Les retrouvailles sont emplies d’émotion, une émotion pleine de retenue. On suit le poète qui nous précède jusqu’au salon. Les premières minutes de trouble passées, une discussion animée s’installe. Des souvenirs et des espoirs. Des embardées et des éblouissements.

Boris ouvre un vieux placard qui déborde de livres aux pages jaunies et exhibe avec fierté un Parny en russe. Avec Patrice Treuthardt.

Clélie nous offre le café. Elle est belle comme une petite pomme mure. Je me réchauffe. Boris ouvre un vieux placard qui déborde de livres aux pages jaunies et exhibe avec fierté un Parny en russe. Puis nous entraîne dans le jardin. Le rempart en fond de cour me donne le vertige et la rosée dans les herbes a décidé de franchir le cuir de mes bottes.

Boris déniche deux pieds de goyaviers devant un rideau de bambous. Il fait plier la branche la plus chargée, cueille les petits fruits rouges et me les tend sans un mot. Ils sont plus doux que aigres. A mon tour, je choisis sur la branche deux goyaviers sang et les dépose dans la main de Boris.

Près de la cheminée avec Clélie et Boris Gamaleya (à droite). Nathalie Valentine Legros et Jean-Claude Legros à gauche. 2010.

La promenade se poursuit et nous amène au bout d’un sentier bordé de fraises sauvages, jusqu’au creux d’une petite ravine. Il faut escalader de gros galets pour atteindre une flaque d’eau croupie dans laquelle Boris affirme qu’il y a des poissons. Paroles de poète mais rien que des Tikigrotèt !

Il ramasse quelques galets, en choisit un « en forme de chaussure » prétend-il... On croise une madame Grondin avec ses herbages pour la tisane dont quelques branches finissent dans la main de « monsieur Gamaleya ».

Poésie et maloya au menu du déjeuner. Boris déclame. Boris chante. Clélie jubile. Il ressasse et repart sur une fulgurance poétique. Pirouette. Il hésite parfois, au bord du souvenir. Trois papangues tournoient dans le ciel toujours clair.

Boukané-chouchou-rougaildakatine-kafé. Au moment de refermer la parenthèse, les larmes me brûlent les yeux mais je les ravale. On promet de revenir. Vite...

Nathalie Valentine Legros


Derrière la case Boris


Derrière la case Boris
Na la ravine pavé
Derrière la case Boris
Na in pied de goyavier

Nana marmite le diabe
Dans la ravine pavé
Nana marmite le diabe
Pou fait cuit noute manger

Boris gardien papangue
I écrit dann cahier
Boris gardien papangue
Son stylo in sagaie

Papangue dann fond rempart
I vient fait zot parade
Papangue dann fond rempart
I vient fait camarade

Boris i veille le ciel
Son lesprit i vavangue
Boris i veille le ciel
Son coeur lé en papangue

Dans la ravine pavé
Boris i donne anous
Dans la ravine pavé
In galet in caillou

Galet criqué craqué
Raconte zistoire longtemps
Caillou criqué craqué
Quand nous navé vingt-an

Galet rond ti galet
Si la cour i dort pas
Galet rond ti galet
Zistoire i finit pas

En-l’air su la falaise
Bonnet la Marianne
En-l’air su la falaise
Bonnet Rahariane

Derrière la case Boris
Na la ravine pavé
Derrière la case Boris
Na in pied de goyavier

Jean-Claude Legros

(...) Une goutte tinte. Sous les rosiers, les grelets se sont tus. Ris donc encore ! Romps le silence des étoiles. Tu détiens la dernière perle de la mer. Cette pensée : Si l’amour est un éclair dans tous les sens, le vaincu n’est plus seul à assimiler l’autre sans complexe... (...) Boris Gamaleya. Extrait de "Lady zouk mask" - "Piton la nuit", Éditions du Tramail.

Le magma des mots, de Filip Barret à Boris Gamaleya


Un message reçu dans la nuit réveille un souvenir intime. C’est l’ami Filip Barret qui glisse sous la porte entrebâillée une mystérieuse missive « inspirée de l’œuvre du poète réunionnais, Boris Gamaleya ». Remontent en notre mémoire les instants magiques d’une île perchée entre papangues et goyaviers...

« Voici un texte qui m’a été inspiré par l’œuvre du poète réunionnais, Boris Gamaleya, nous écrit Filip Barret. Après avoir passé les années 60 et 70 à militer pour la reconnaissance de la langue créole, Boris Gamaleya est revenu, à partir des années 80, à une poésie en langue française, langue qu’il manie avec élégance. De son trajet à travers la langue régionale, il a rapporté deux destinations de l’imaginaire qu’il développe à travers une multitude de créations verbales protéiformes : « Les langues du magma », « Les langues du feu ». »

Filip Barret. Source : filip-barret.com

On clique sur le lien et la magie opère. Images, couleurs, sonorités, voix limpide aux accents maillés. Magma... Magma des mots. De ce magma, comme dans une quête kobaïenne, émerge la langue natale, qui « casse contour » d’une ligne de paroles insondables. Laissez-vous porter. Rod pa kel koté shomin i vire.

7 Lames la Mer

"J’aime les yeux qui voient le ciel à travers toi / Ce en quoi s’est métamorphosée la lumière" - Boris Gamaleya - "Lady Sterne au Grand Sud"

Salut Boris

salut toi qui rêvais au nom de Potemkine
les Vèzes t’ont prêté leur radeau de balsa
par tes mots tu as fait Ranavalo tsarine
et du vali bambou une balalaïka

la mémoire i sava la mémoire i revient
elle lé pareil la mer elle i monte elle i tsann
écoute marron i chante commandèr i commann
écoute volcan chanter Ombline Desbassyns

est-il diable est-il dieu il a nom Zanahar
de la mer vient la mort habitants du rivage
sauve-toi Nélahé l’enfer est sur la plage
Olivier Levasseur hisse le drapeau noir

papangue imérina milan des hautes plaines
viens descends montre-nous les tombeaux oubliés
Sakalave insoumis sur les remparts glacés
garde la sépulture où repose la reine

salut à toi Boris magicien du magma
que chante dans nos cœurs la voix de Bakounine
dis-nous les grands secret de l’île Morgabine
enivre-nous de poésie et de vodka

Jean-Claude Legros


Nathalie Valentine Legros

Journaliste, Écrivain.
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Notes

[1Le 15 octobre 1960, le Journal officiel publie une 
ordonnance — connue sous les termes de « ordonnance Debré » ou « ordonnance scélérate » —, dont le funeste souvenir est encore ancré dans bien des mémoires.

Ainsi par cette ordonnance, l’Etat français livre-t-il à l’arbitraire du Préfet le sort des fonctionnaires des départements d’outremer. Les premiers « visés » par l’ordonnance se trouvent être des activistes, des militants anticolonialistes, des autonomistes ou des indépendantistes, en majorité communistes ; tous ceux dont les prises de positions ou les actions dérangent le pouvoir en place. Certains d’entre eux sont donc mutés/exilés — ou interdits de retour à La Réunion pour ceux qui séjournaient en France — sans autre forme de procès. Concernant La Réunion, les principales victimes de l’« ordonnance scélérate » sont : Nelly et Gervais Barret / Jean-Baptiste Ponama / Roland Robert / Max Rivière / Bernard Ganzarski / Pierre Rossolin / Jean Le Toullec / Georges Thiébaut / Joseph Quasimodo / Clélie et Boris Gamaleya / Yvon Poudroux / Iris et Daniel Lallemand / Roger Ueberschlag / Marcel Le Guen.

 

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