Au moment où en son 60ème anniversaire le Service militaire adapté (SMA) croule sous les éloges, y compris de la part de ses anciens détracteurs, il est utile de rappeler que cette institution avait subi à ses débuts le même opprobre que le BUMIDOM.
Le SMA avait été accusé d’être une « armée d’occupation coloniale » et pendant plusieurs années, les activistes de l’époque qui se sont embourgeoisés depuis perturbaient chaque année le défilé du 14 juillet qui se déroulait sur le front de mer de Fort-de-France. Ces manifestations prirent fin avec la mort d’une « marchande de pistaches », Mme Lacrampe, qui avait reçu à la tête un projectile destiné aux militaires. Cet épisode sonna donc la fin du cycle d’autant plus que, jour après jour et en divers points de l’île, le SMA procédait à l’ouverture de routes, la construction de ponts, l’édification de cités, etc... Autant de réalisations au cours desquelles les appelés du contingent acquirent une formation et une expérience professionnelles. Aujourd’hui le SMA est, de l’avis de tous, le fleuron en matière de formation des jeunes martiniquais.
On en avait donc fini du fantasme du SMA prédateur et il convenait de concentrer le tir sur le BUMIDOM, l’autre opération qui avait également été bien reçue par les jeunes et leurs parents. Il est vrai que dans les années 1960, ces deux institutions étaient de véritables cailloux dans les chaussures des nationalistes qui voyaient ainsi obscurcir les voies de l’émancipation. Après la chute dès la fin des années 1970 du fantasme du « SMA-armée d’occupation », le marronnier « génocide par substitution » est donc un deuxième poncif qui tombe avec les récents travaux de l’INSEE et de la sociologue Nadia Chonville. Il ne reste donc plus qu’à rendre justice aux jeunes gens, aujourd’hui retraités, qui étaient partis en France par le biais du BUMIDOM, à la recherche d’un avenir meilleur. Le dénigrement de l’institution et de ses usagers avait atteint des sommets quant aux moyens utilisés et eu un effet humain déplorable.
Et de fait, je me souviens de cette conférence-débat organisée en septembre 2007 dans une petite commune du nord péléen. Le sujet traitait précisément du BUMIDOM comme outil du « génocide par substitution », lequel était présenté comme l’objectif du gouvernement. Venant de Fort-de-France et précédé par sa réputation de grand intellectuel, le conférencier avait fait sensation en se faisant accompagner par un pauvre bougre aux airs de romanichel qu’il présentait comme un pur produit humain du BUMIDOM. Le contexte et les assertions qui ont été entendues ce soir-là et qui faisaient partie d’une campagne d’informations, donnent une idée du degré d’intoxication dont la population martiniquaise a été victime, année après année, dans les mornes et sur les rivages. Pour mieux convaincre son auditoire, l’intervenant avait usé d’un second argument tout aussi méprisable. Evoquant une lettre ministérielle qui invitait des métropolitains à élire domicile à la Nouvelle-Calédonie (ce qui avait été envisagée en 1975 pour la Guyane), le conférencier avait carrément affirmé que c’est la Martinique qui avait été concernée. Notons qu’à cette date la Martinique était déjà de loin le territoire d’outre-mer ayant le plus fort taux de population et, de ce fait, considéré comme surpeuplé (voir les chiffres de l’INSEE). En 2007, année de la conférence, la preuve était pourtant largement faite qu’elle n’avait pas été submergée par les Blancs. De telles assertions devant des assistances non averties relèvent d’une franche escroquerie politique. Cependant, le conférencier ne s’attendait pas à ce qu’à l’ombre crépusculaire de la montagne Pelée une voix s’élève pour contredire ses propos et confondre le « témoin » du BUMIDOM. Pour dire à l’assistance que « M. Césaire n’avait pas dit ça » et que la Martinique n’avait pas été concernée par la « lettre de Pierre Messmer ».
Là encore, il y a lieu de se référer aux recherches visées plus haut qui rappellent que les personnes « non natives » vivant en Martinique n’ont jamais été supérieures à 6% de la population. Aussi convient-il d’admettre que faisant l’objet d’un important turn-over, notamment chez les fonctionnaires, ces « étrangers » ont rarement fait souche en Martinique. De même que la majorité des « originaires » martiniquais retournent au pays à la retraite, le phénomène se produit en sens inverse. Ainsi, des patronymes métropolitains ont disparu, qui étaient devenus familiers avec le temps. Enfin, le départ des familles de militaires qui se sont réduites, à la fin du service national et la fermeture des casernes, à celles de la marine nationale et des formateurs du SMA, a entraîné dans des proportions qu’il devrait être facile à évaluer, la diminution de la population non native de la Martinique.
Fort-de-France, le 3 juin 2021
Yves-Léopold Monthieux
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