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TOPONYMIE

TOPONYMIE

_ J'ai égrené le rosaire des luxuriances, la polyphonie des métissages coloniaux,
_ la polychromie des parlers, des races, des croyances et des cultures.
_ J'ai égrené le rosaire antillais du Nord du Golfe du Mexique au delta de l'Orénoque,
_ de Cuba, d'Haïti, de Saint-Domingue à Trinité et Tobago,
_ de la Jamaïque, de Porto Rico à la Grenade, à Aruba, des Bahamas, des îles Vierges à Curaçao,
_ d'Anguilla, des Caïmans, de Saint John, de Saint-Kitts-Nevis aux Grenadines, à la Barbade, aux Roques.
_ Puis j'ai rôdé autour de ton corps alangui de l'Océan Atlantique au Canal de la Dominique,
_ de la Mer des Antilles au Canal de Sainte-Lucie, de crique en crique de pointe en cap.

_ Je t'ai connue à la pointe Duchaxel sur les asphaltes fumants du tarmac de l'aéroport du Lamentin,
_ moite touffeur jaillie dans les douanes, les cohues et les nonchalances de l'aérogare.
_ Je t'ai connue d'abord sans fard sur le polder sans charme de Fort-de-France,
_ triste ville coloniale, alignée et les joyeuses foutailles d'imbrications de promiscuités
_ sur les versants de Trénelle et de Sainte-Thérèse,
_ bordéliques et crasseuses architectures des termitières antillaises.
_ Je t'ai connue à Fond Lahaye et Ravine Touza à Schoelcher,
_ sur les sables noirs du Cap enragé à Case-Pilote, au Canton Suisse au Morne-Vert,
_ à Bellefontaine à l'ombre des Pitons du Carbet, Piton Dumouze, Piton Boucher, Piton de l'Alma.

_ Je t'ai connue à la Porte d'Enfer à Fonds-Saint-Denis, sur la ravine Thieubert au Carbet,
_ sur les sables volcaniques de Saint-Pierre, Pompéï tropicale, calme et déserte.
_ Je t'ai connue au Tombeau des Caraïbes à Pointe Lamare, à l'Anse Céron au Prêcheur,
_ au Morne Sibérie sous la Pelée endormie, au Pain de sucre, à la crête Citron, au Piton Mont Conil,
_ dans le canal de la Dominique à Grand'Rivière, à Crassous de Médeuil à Macouba,
_ dans les plantations de bananiers et d'ananas de Basse-Pointe,
_ à la Vierge de la Calebasse à l'Ajoupa-Bouillon, dans les forêts de balisiers et d'anthuriums de Morne-Rouge.
_ Je t'ai connue à Carabin et Fond Gens Libres au Lorrain,
_ dans les jardins d'ignames de Bezaudin, de Pérou à Sainte-Marie.

_ Je t'ai connue nostalgique en calèche et madras à l'Habitation Lagrange au Marigot.
_ J'ai caboté sur les anses, les pointes, les îlets de la Presqu'île de la Caravelle, ton rameau au vent.
_ Je t'ai connue sur les savanes de Saint-Joseph et Gros-Morne, à Bois Lézards, Croix Blanche, Bois d'Inde,
_ au Morne des Olives, à Fonds Cacao, à Pelletier et Vert-Pré.
_ Je t'ai connue aux marchés de langoustes et de dorades
_ aux petits matins de Trinité et du Robert dans les senteurs marines des poissonnières créoles.
_ Je t'ai connue dans les champs de canne du Robert et du François, à Casse-Cou, Four à Chaux,
_ à Courbaril, Chopotte, au Bois Soldat, à Grands Fonds et Mansarde Rancée, à Fond Giromond.

_ J'ai connu tes paisibles zébus fauves qui ruminent sous les flamboyants à Bois Blanc, à Solitude,
_ à Grande Case au Saint-Esprit, à Paquemar, à Beaujolais, à la Pointe de Massy-Massy au Vauclin.
_ Je t'ai connue à la Vierge des Coolies, au Morne des Pétrifications,
_ à Malgré-Tout, sur les sables des Salines, sur les farines de l'Anse Trabaud et de l'îlet Chevalier à Saint-Anne.
_ Je t'ai connue sur les cailloux chauffés du Piton Crève-Cœur, au Morne Courbaril près du Marin,
_ au Rocher Zombis des Blocs Erratiques de Rivière-Pilote.
_ Je t'ai connue dans la distillerie de Trois Rivières à Sainte Luce.
_ Je t'ai connue dans le pitt à Ducos sur la crête rouge d'un coq belliqueux,
_ dans la mangrove et les palétuviers de Rivière-Salée, de Pointe Vatable à Fond Mulâtre aux Trois-Ilets,
_ sur les sables blancs de l'Anse Cafard sous le Morne Clochette au Diamant.

_ Enfin je t'ai connue aux Anses d'Arlet sur ce bouquet de criques bleutées,
_ Petite Anse, Anse Chaudière, Le Bourg, Grande Anse, Anse Dufour et Anse Noire,
_ des fonds poissonneux de la Pointe Burgos aux gommiers drus qui hérissent le Morne Larcher.

_ J'ai parcouru les luxuriants velours de tes atours moirés d'éternelle courtisane,
_ des épaisses forêts turquoise aux essences rares du Nord,
_ aux bleus indigo des savanes paisibles du Sud,
_ des panaches blancs des champs de canne aux olivâtres bananeraies
_ des mangroves mystérieuses au doux bombement des mornes, tes mille seins,
_ des étals de pêcheries aux marchés chamarrés,
_ explosion de couleurs des jardins créoles, des fonds marins giboyeux
_ dans le grasseyement d'un dialecte coloré.
_ J'ai parcouru les passements, les ganses de dentelle, de tes déshabillés vert pâle
_ en crêpe satin, sur les sables des anses, guipure d'écumes fine.
_ J'ai exploré tes cases, tes villages, tes hameaux, tes Fonds, tes zones, tes bidonvilles,
_ toutes tes nostalgiques Habitations, toutes tes usines et tes administrations,
_ toutes tes distilleries, phares et balises de mon voyage antillais.
_ Môles, jetées, pontons, anses, havres, baies, pitons, mornes, montagnes,
_ cartographe appliqué, j'ai étudié la topographie et la géographie érotiques de ton corps.
_ J'ai arpenté à la bibliothèque Schoelcher les sentes poussiéreuses de ton histoire.
_ J'ai su les noms de tous tes souteneurs, de tous tes amants, douce catin.
_ Mille fois j'ai baigné mon corps dans tes eaux violacées aux reflets mauve, parme, tes eaux d'étreinte.

_ Noble hétaïre, courtisée et vaincue par tous les Colomb, les Vespucci,
_ par les conquistadores de tout pavillon, par tous les équipages sans feu ni lieu,
_ longtemps, j'ai rêvé de te posséder.
_ Ménade pensive, mémoire des lupercales nègres, des fornications démentielles des antillais,
_ des zouks lascifs et des hâtives étreintes dans les champs de canne,
_ mémoire des naturelles saignées de sèves éruptives des martiniquais,
_ mémoire des lâchés d'eaux séminales sur les improbables terres sentimentales
_ où fleurissent les vanilles odoriférantes et les orchidées rares et précieuses,
_ longtemps, j'ai rêvé de te posséder.

_ Ce fut un soir d'hivernage sur l'herbier de thalassies près des fonds blancs de l'anse Trabaud
_ sous l'œil des pluviers des salines et des bécasseaux.
_ J'avais bu quelque philtre alcoolisé pour prendre courage.
_ J'ai effeuillé lentement tes voiles en tarlatane, tes caracos de soie vert absinthe,
_ tes volants en singalette, en tussah guède, ta tunique de crinoline émeraude.
_ J'ai troussé tes cotillons de taffetas vert tilleul, ta lingerie de surah léger lamé d'or,
_ j'ai ôté ta chemise de brocart menthe, ta guêpière de satin irisée comme un fragment de quartz,
_ tes bas fins de faille bleu nuit et enfin ton ultime et intime vêtement,
_ cuticule flottante de gaze gansée d'argent.
_ Et je restais là, pensif.

_ Je contemplais ta nudité sous le fanal lunaire, sous les prismes des eaux tièdes.
_ Longtemps mes yeux parcoururent la planisphère de ton corps immense,
_ se heurtaient à cette peau satinée et huileuse couverte d'onguents, de parfums et d'essences.
_ Je respirais à plein traits le benjoin et le jasmin, l'ambre gris, le musc et la civette,
_ exhalaisons capiteuses de tes phérormones perverses.
_ J'ai baigné mon regard dans le lac mystérieux de tes yeux pâles.
_ Pour toi mon algazelle, antilope blanche d'Afrique enfuie en mer,
_ j'ai dit les lais des ménestrels, les odes, les sonnets des trouvères courtois,
_ les épopées des aèdes disparus, les stances tristes des poètes romantiques,
_ les épigrammes sombres des derniers Rimbaud, des derniers Baudelaire,
_ les élégies lyriques et brûlantes des éternels amants.

_ Pour toi seule, dans la révélation de ta nudité offerte et troublante.

_ Puis, dans le vent et la solitude de la nuit,
_ je suis parti les yeux bas, triste et rêveur,
_ sans même effleurer ta douce peau de houri,
_ loin de toi, mon seul amour,
_ mon amante secrète,
_ mon île,
_ ma Martinique.

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