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Symbole de la Noire aliénée pour Frantz FANON, Mayotte CAPECIA n’était pas celle qu’il croyait

Marie-Noëlle RECOQUE-DESFONTAINES
Symbole de la Noire aliénée pour Frantz FANON, Mayotte CAPECIA n’était pas celle qu’il croyait

Quand sort, en 1952, l’ouvrage «  Peau noire masques blancs », Mayotte CAPECIA, devient sur la lancée, à travers la démonstration de Frantz FANON, le parangon de l’Antillaise aliénée. FANON voit en Mayotte, l’auteur de « Je  suis martiniquaise » paru en 1948, un  double parfait de son personnage romanesque et la condamne sans appel. Mais grâce à une biographie écrite par Christiane P.MAKWARD, nous savons aujourd’hui que le roman  est en fait le fruit d’une création collective masculine élaborée chez un éditeur parisien, à partir du journal écrit par un Blanc, lieutenant de marine et pétainiste. L’écrivaine Mayotte CAPECIA n’existait  pas.

 

En 1952, qui est Frantz FANON ? Frantz Fanon est né en 1925, à la Martinique. En 1943, il part en dissidence, rejoint les Forces Françaises Libres et participe à la libération de la France mais en butte aux discriminations, il aura le sentiment de s’être trompé en livrant ce combat. En 1946, il commence des études de médecine à Lyon avant de se spécialiser en psychiatrie. En 1952, Frantz FANON publie au Seuil « Peau noire, masques blancs », un essai qu’il voulait intituler « Essai sur la désaliénation du Noir » et dans lequel il étudie tout un panel de complexes engendrés par l’idéologie dominante coloniale dans le psychisme des Noirs antillais.  Il avait voulu présenter ce texte comme thèse lui permettant d’obtenir son diplôme de médecin, le jury s’y était opposé. En 1952, Frantz FANON est un jeune homme de 27 ans, l’année suivante il prendra son poste de psychiatre à Blida, en Algérie ; il n’est pas encore le militant qu’on connaîtra par la suite, le maître à penser de nombreux intellectuels du Tiers-Monde, l’auteur des « Damnés de la terre ».

 

En 1952, qui est Mayotte CAPECIA ? En 1952, Mayotte CAPECIA a 32 ans. Elle a publié, chez Corrêa, deux romans à forte connotation exotique « Je suis Martiniquaise » (1948) et « La Négresse blanche » (1950) qui ont eu l’heur de plaire dans la presse et le milieu littéraire parisien. Jolie femme, mère de trois enfants, arrivée à Paris ruinée, elle a écrit son autobiographie « pour chasser son cafard ». C’est du moins ce que l’auteur se plaît à raconter car elle se plie volontiers aux sollicitations des médias. « Je suis Martiniquaise » devient un best seller et Mayotte une romancière en vue. Flanquée de sa sœur Reine, sa jumelle parfaitement identique, elle hante les lieux à la mode fréquentés notamment par Joséphine Baker.  

 

Ce que F. FANON reproche à Mayotte CAPECIA : Dans « Peau noire, masques blancs », (Chapitre II : La femme de couleur et le Blanc »), FANON consacre au cas de Mayotte une dizaine de pages annoncées par la déclaration suivante : « Je suis Martiniquaise » est un ouvrage au rabais, prônant un comportement malsain. Selon FANON, l’auteur Mayotte CAPECIA souffre d’un puissant complexe d’infériorité en tant que Noire par rapport au Blanc et son roman, qu’il pense autobiographique, illustre ce complexe de façon magistrale. Il lui reproche de vouloir blanchir la race et de tendre vers une « lactification » programmée. C’est vrai que le personnage de Mayotte passe son temps à rechercher un Blanc qui voudrait bien l’épouser.

 

Ce que F. FANON ne sait pas : F.FANON ignore qui est, en réalité, cette Mayotte CAPECIA dont il a fait le parfait stéréotype de la femme noire aliénée. C’est en 1999, grâce à une enquête fouillée menée par Christiane P.MAKWARD (Professeur d’Université aux Etats-Unis), que la véritable identité de Mayotte nous est entièrement révélée, ainsi que l’authentique genèse de son œuvre. Mayotte CAPECIA n’existe pas, il s’agit du pseudonyme de Lucette COMBETTE, une Martiniquaise quasiment illettrée. Ses romans sont des fictions coécrites par des auteurs masculins anonymes dans l’antre commercial d’un éditeur et qui s’inspirent du journal tenu par un des amants de Lucette, un Blanc lieutenant de marine pétainiste, à qui elle a raconté sa vie.

 

Christiane P. Makward reproche à Fanon, avec une certaine virulence, « de confondre pour les besoins de sa cause un personnage « Mayotte » et un auteur « Capécia » qu’il accable mais dont il ne se soucie pas de découvrir l’identité ». Christiane MAKWARD n’est-elle pas injuste avec FANON puisqu’on sait que la fausse Mayotte CAPECIA payait de sa personne et se présentait publiquement en tant qu’auteure des deux romans qu’elle n’avait pas écrits. C’est seulement en 1993, que la véritable identité de Mayotte fut connue et Christiane MAKWARD n’a-t-elle pas dû mener une longue enquête pour mettre à jour le pot aux roses ? Il faut noter qu’au moment de la parution de « Je suis Martiniquaise », seule, la comédienne Jenny ALPHA nota « une absence d’unité dans le style » et pressentit donc une anomalie.

 

 Mayotte CAPECIA (1916-1955): Sa vie était un roman.

De toute évidence, Christiane  P.MAKWARD s’est prise d’affection pour Mayotte, et sa biographie tend à vouloir la réhabiliter sur le plan humain. Pour elle, la vraie Mayotte, c'est-à-dire Lucette COMBETTE, était une mère-courage qui a su se débrouiller pour échapper à une fatalité qui avait plus à voir avec son manque d’éducation qu’avec sa couleur. Si elle souffrait d’un complexe, c’était surtout d’un complexe d’infériorité.

Née, avec sa sœur Reine, d’une mère célibataire qui mourut alors que les jumelles n’avaient qu’une douzaine d’années, Lucette  alla voir son géniteur qui proposa d’accepter les deux fillettes dans sa maison si elles pouvaient se rendre utiles auprès de ses nombreux enfants légitimes. Elle refusa cette offre et travailla dans une chocolaterie. A 17 ans, elle se trouva enceinte d’un jeune béké et donna naissance à son premier enfant. Elle en aura trois. Le deuxième avec un Syrien et le troisième sera le fils d’un lieutenant de marine appelé André dans « Je suis Martiniquaise ». André, bourgeois sorti de l’Ecole Navale, officier à bord de l’Emile-Bertin, rencontre Lucette dans le bar tenu par Reine, en 1941, à Fort-de-France. Leur enfant naît en février 1943. C’est la même année qu’André, à bord du croiseur-école La Jeanne, navigue vers d’autres cieux. Mayotte fréquente alors un marin français, qui part à son tour. Elle décide de se rendre en France à sa recherche. Peine perdue. Elle s’installe à Paris en 1946, travaille en tant que couturière et prend des cours du soir pour savoir écrire. André lui a adressé un épais manuscrit dans lequel il raconte leur idylle. Dans un contexte qui reste énigmatique, Lucette apporte ce manuscrit  chez Corréâ, en 1947. Il est jugé non publiable en l’état mais l’éditeur y voit matière à l’exploiter. C’est ainsi que ce texte écrit par un Français  illustrant « un discours emblématique de l’esprit de la classe dominante de la première moitié du XXè siècle » se trouve relu et corrigé par des scribes masculins convoqués par un éditeur en mal de best seller. Lucette COMBETTE publie alors sous le pseudonyme de Mayotte CAPECIA « Je suis Martiniquaise » en 1948 et « La Négresse blanche » en 1950. Grâce à cette supercherie, elle connaît alors un moment de gloire sur la scène littéraire et en profite pleinement ; en plus de la célébrité, elle a les moyens de faire vivre en France sa sœur et ses enfants. Par la suite, Lucette aime un certain Teddy qui l’aime aussi (sans doute un Blanc déjà marié). Atteinte d’un cancer, elle en meurt en 1955, elle a 39 ans.

 

Pour FANON, l’auteur/personnage Mayotte CAPECIA l’aliénée, la complexée, a le tort de se livrer à une quête compulsive du Blanc pour « sauver la race » mais selon Christiane  P.MAKWARD,  au fil de sa vie et de ses amours, il ne s’agissait pas pour Lucette COMBETTE de blanchir la race mais de survivre et de rechercher pour ses enfants et pour elle-même une  sécurité  qui lui  semblait « plus facilement  accessible auprès du Blanc dans son imaginaire de femme antillaise ». Ils ne parlent pas de la même personne mais peut-être disent-ils un peu la même chose. On note que C. P.MAKWARD, pas plus que F. FANON n’est en mesure de rendre précisément à Mayotte et à Lucette ce qui appartient en propre à chacune. Elle a confronté la biographie fictive de Mayotte à la biographie réelle de Lucette et pourtant dans son ouvrage la confusion faite entre le personnage romanesque et la femme qui l’a inspiré, assez souvent, demeure.

 

La célébrité trouble de Lucette COMBETTE nous fait penser à celles des personnalités « people » créées par les médias pour des raisons d’audimat qui passent, aujourd’hui, sur les chaînes de télévision pour des raisons futiles, voire condamnables. Christiane MAKWARD pense que « Née cinquante ans trop tôt, sans doute, elle fut une mutante de la femme sans éducation, partant de rien et s’aventurant finalement  par hasard dans les marges d’un instrument de pouvoir et d’une institution de prestige : la littérature»

 

Au terme de l’enquête de Christiane MAKWARD (abordée d’un point de vue résolument féministe), tout aussi pointue (sur le plan littéraire) que captivante (sur le plan évènementiel), nous savons au-delà de l’imposture révélée, que la vie de Lucette COMBETTE (alias Mayotte CAPECIA) était un roman.

 

    Marie-Noëlle RECOQUE  DESFONTAINES

 

*   « Mayotte Capécia  ou l’aliénation selon Fanon » de Christiane P.MAKWARD, Karthala, 1999                                                     

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