Certains morts ont de l'avenir. Ils deviennent, non pas des fantômes, mais des ancêtres doués de parole et capables, quelquefois, d'écouter les vivants. Frantz Fanon, par exemple. Emporté par une leucémie, en 1961, un an avant l'indépendance algérienne pour laquelle il s'était battu, le psychiatre martiniquais a laissé derrière lui une oeuvre d'une puissante radicalité. Et un cercle d'opiniâtres fidèles qui, en dépit du temps, poursuivent le dialogue avec lui. Parmi eux : le grand écrivain américain John Edgar Wideman. Son roman, évidemment inachevé – comme le laisse entendre son titre –, explore mille et une pistes.
En voici une, qui ouvre le récit : un type comme vous et moi (presque...) décide, près d'un demi-siècle après avoir lu Les Damnés de la terre (Maspero, 1961), le dernier livre de Fanon, de lui écrire.
DOUBLE DE FICTION
L'auteur s'invente un masque, un double de fiction, un prénommé Thomas, qui vit à New York et reçoit chez lui, un matin, un colis effrayant : il y a une tête coupée dedans. Pour "corser l'affaire", explique l'auteur, une fiche accompagne le macabre paquet, où a été écrite, justement, une phrase de Fanon : "Nous devons immédiatement porter la guerre chez l'ennemi. Le harceler sans répit. Lui couper le souffle." Le début d'un polar, d'une enquête à suspense ? Le Projet Fanon fait mine d'y ressembler.