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Stéphane Madkaud : "La traçabilité du rhum Madkaud, rhum de terroir, est totale"

Stéphane Madkaud : "La traçabilité du rhum Madkaud, rhum de terroir, est totale"

MONTRAY KREYOL : Les rhums Madkaud viennent de gagner la médaille de bronze pour leur cuvée Castelmore VSOP à Madrid, à quoi correspond cette récompense au niveau international ? Qu'a de particulier cette cuvée ?

Stéphane MADKAUD : Le RhumFest Madrid, aussi appelé « Congrès International du Rhum de Madrid »,  est historiquement le premier festival à  avoir récompensé les rhums Madkaud. C’était en 2013, nous avions reçu le bronze pour le rhum blanc et l’argent pour le rhum vieux. Aujourd’hui, nos cuvées « Castelmore » reçoivent l’Or en rhum blanc et le bronze en rhum vieux VSOP. Entretemps, tous nos produits « Héritiers Madkaud » ont été primés dans diverses manifestations à savoir à Hong Kong (2013), Paris (2014), Madrid encore (2014, 2015, 2016) et Berlin (2015).

Ces manifestations internationales indépendantes sont d’une grande importance pour nous dans la mesure où nous n’avons pas accès au concours général agricole (CGA) organisé chaque année à Paris par le ministère de l’agriculture. En effet, ce concours n’est ouvert qu’aux propriétaires de distilleries, alors que nous ne sommes que des  négociants, dégustateurs, propriétaires de marque. Les concours internationaux indépendants sont donc les seuls moyens que nous avons de tester la qualité de nos produits face à des jury d’experts, mais aussi face à la concurrence, qu’elle soit locale (car on retrouve toutes les marques martiniquaises de rhum dans ces concours également) ou internationale. A ma connaissance, le RhumFest Paris (où nous avions également reçu une médaille d’or en 2014 pour notre rhum blanc) et le RhumFest Madrid sont les  compétitions les plus importantes pour le rhum au niveau mondial.

Sur le plan œnologique, nos produits qui sont tous 100% agricoles et AOC sont caractérisés par leur rondeur, c’est-à-dire qu’ils sont peut agressifs en bouche. Les rhums blancs sont plutôt en dominante végétale avec un goût de canne fraîche en milieu de bouche et de zest ou de fruits mûrs en fin de bouche. Nos rhums vieux ont la même souplesse et douceur en bouche avec des notes de moka et de café grillé portés par les tanins des fûts de chêne. Les cuvées « Castelmore » récemment primées à Madrid sont en plus particulièrement « affinées », rondes et subtiles.

 MONTRAY KREYOL : La première distillerie Madkaud date de 1895, il y a donc 160 ans, et se trouvait d'abord dans la commune du Lorrain, puis dans celle du Carbet. Pouvez-vous nous en rappeler l'histoire et celle de son fondateur ?

Stéphane MADKAUD : C’est en fait l’inverse qui se produit : tout démarre au Carbet en 1895, puis les affaires s’étendent rapidement au Lorrain.

En fait mon aîeul Félicien Madkaud est effectivement un Lorrinois de naissance. Mais pour des raisons que nous ignorons, il quitte sa famille et se retrouve distillateur dans les années 1870s – 1880s sur l’habitation Duvallon située à Fond Capot, à la limite entre le hameau de Bellefontaine et la commune du Carbet.

Ce qui est remarquable chez Félicien, c’est qu’il est un fils d’esclaves initialement rattachés à une habitation de la Grande Anse du Lorrain. Avant l’abolition de l’esclavage, son père se nomme simplement « Louis » et porte le matricule n° 105. Sa mère est une « négresse Congo » née en Afrique et se nomme « Monique ». Ils ne prennent le nom de « Madkaud » qu’en 1849 en référence à L’Amiral Mackau, homme politique français auteur des lois abolitionnistes de 1845 qui permettent notamment aux esclaves d’avoir quelques possessions, et éventuellement de racheter eux – mêmes leur liberté. Mackau est un personnage que mes ancêtres semblaient particulièrement affectionner, au point d’en revendiquer le patronyme !

Félicien Madkaud a la chance de naître en 1857 et ne connaît donc pas la servitude, mais vit avec ses parents et ses huit frères et sœurs au Lorrain dans les conditions de pauvreté propres aux personnes de leur condition. Il va tout de même à l’école, mais il y va les pieds nus, avec une simple ficelle pour tenir son pantalon.

Il devient tout de même distillateur à Fond Capot sur l’habitation Duvallon du Carbet, habitation qui est une sucrerie – distillerie, le rhum de mélasse étant alors la principale production rhummière de l’île. Son destin va basculer à la faveur de la crise sucrière des années 1880s, crise qui ruine bon nombre de propriétaires de l’époque. On ne sait trop dans quelles circonstances, Félicien épouse en 1893 la fille d’un négociant bordelais. Elle se nomme Marie, c’est une mulâtresse, et elle est héritière de son père. C’est vraisemblablement ainsi que Félicien Madkaud peut racheter l’habitation « Fond Capot » dont il était l’employé, puis l’habitation « Bellevue » qui se trouve sur le territoire de Case Pilote. Il est officiellement répertorié dans l’annuaire de la Martinique de 1895 comme distillateur et propriétaire de ces deux distilleries. Il reconvertit immédiatement la distillerie de Fond Capot en distillerie agricole : c’est la naissance du rhum Madkaud.

Ce n’est que par la suite que Félicien a les moyens de revenir vers ses proches pour changer leur condition. Ainsi, sur le territoire du Lorrain cette fois, il permet à son grand frère Augustin d’ouvrir une distillerie à « La Dupuis » en 1906, puis en ouvre lui – même une autre à « Macédoine » en 1920, et enfin, il en offre une à son neveu Louisy en 1924 : il s’agit de la distillerie « La Digue » qui maintiendra vivante la renommée des rhums Madkaud jusqu’à nos jours.  

MONTRAY KREYOL : La loi sur le contingentement du rhum antillais de 1930 a durement affecté les distilleries "mulâtres" au point qu'il n'en demeure qu'une seule aujourd'hui. N'ayant plus de distillerie à vous, l'héritier de la dynastie Madkaud, comment parvenez-nous à maintenir la marque en vie ? Le rhum Madkaud parvient-il à tenir la dragée haute à Neisson, St-James ou JM ?

Stéphane MADKAUD : suite à la période de la guerre 1914-1918 qui a vu la Martinique produire des quantités énormes de rhums afin de soutenir la France dans son effort de guerre, le législateur impose en effet dès le milieu des années 1920s des contingents afin de réguler le marché du rhum. Le but est d’éviter toute surproduction risquant de déstabiliser le marché à la baisse. Chaque distillerie se voit donc dotée d’un contingent en fonction de la moyenne de ses volumes de production observés entre 1913 et 1922. Disposer d’un contingent est donc un privilège et ceux qui n’en disposent pas doivent malheureusement disparaître, ou alors vendre leur production à ceux qui disposent d’un contingent.  Mes aînés ont eu la chance de disposer de contingents jusque dans les années 1970s. Ainsi, dans les années 1930s, la distillerie du Carbet, au nom de mon arrière grand – père Léonce Madkaud, ainsi que deux distilleries du Lorrain au nom de son cousin Louisy, détiennent chacune à la fois un contingent dit « local » et un contingent « export ». Mais ces contingents sont faibles au regard de ceux des grandes exploitations békées.

La crise des années 1960s donne cependant le coup de grâce à beaucoup de distilleries de Martinique et de Guadeloupe, suite à l’application des lois sociales relatives à la départementalisation. Et à la suite de problème familiaux, la distillerie du Carbet doit fermer en 1969 comme des centaines d’autres à la même période.

Nos cousins du Lorrain résistent un peu, mais doivent à leur tour fermer la dernière distillerie familiale,  « La Digue », au milieu des années 1970s. Mais pour eux, l’aventure ne s’arrête pas là : car ils ont en effet la possibilité et surtout la volonté, toujours munis de leurs contingents de production, de rejoindre l’imposante distillerie de Sainte – Marie, en même temps que Bally et Maniba. Cette distillerie fait alors office de groupement de producteurs. Et c’est au travers de différents partenariats avec cette même distillerie « multi – marques » que le rhum Madkaud  a finalement pu traverser les dernières décennies, jusqu’à aujourd’hui.

C’est aujourd’hui sur un partenariat nouveau, avec ce même producteur, que je m’appuie pour la production de nos nouvelles cuvées. Cette alliance nouvelle nous permet peu à peu de revenir dans la cour des grands, de faire à nouveau jeu égal avec les plus grandes marques locales sur le plan de la qualité, et d’accéder aux principaux marchés d’exportation. Il ne nous manque sans doute maintenant qu’un peu plus de notoriété….  

MONTRAY KREYOL : Peut-on vraiment parler de terroir s'agissant du rhum puisqu'il semblerait que les distilleries s'approvisionnent un peu partout à travers la Martinique depuis un certain nombre d'années ?

Stéphane MADKAUD : on peut tout d’abord clairement parler de « terroir martiniquais » au sens large du terme, c’est là le principe même de l’AOC – Martinique, qui est, il faut le rappeler, la seule AOC du monde pour le rhum.

Néanmoins, si on veut affiner la question des terroirs au sens « communal du terme », il arrive en effet que la notion de traçabilité fasse débat, surtout à l’export, sachant que certaines mises en bouteilles de rhum local destiné aux marchés étrangers se font hors du département…  Je crois cependant que dans la plupart des cas, la traçabilité est des plus rigoureuses sur le marché local. Et pour nous autres « Héritiers Madkaud », ladite traçabilité est totale dans la mesure où toutes nos bouteilles, qu’elles soient vendues localement ou à l’export, sont remplies à la Martinique. 

MONTRAY KREYOL : Quelles sont, hormis cette cuvée qui vient d'être couronnée en Espagne, les autres produits que vous proposez ?

Stéphane MADKAUD : j’ai travaillé ces deux dernières années sur la cohérence de notre gamme. Elle se compose au total de cinq produits, vendus au travers de deux marques distinctes, à savoir « Héritiers Madkaud », en référence au Carbet, et « Madkaud – La digue », la marque du Lorrain.

La marque « Héritiers Madkaud » comporte deux cuvées, comportant chacune deux produits, un rhum blanc, et un rhum vieux. Nous avons les cuvées « Castelmore », un rhum blanc 50° et un vieux 40° VSOP (de 4 à 5 ans d’âge), et les cuvées « Renaissance », avec aussi un rhum blanc 50° et un rhum vieux VO (de 3 à 4 ans d’âge). Ces quatre produits ont tous été primés lors de concours, comme je l’ai déjà expliqué, en présence des « gros mordants » locaux et internationaux. L’appellation « Renaissance » est toutefois récente, puisqu’elle a été lancée en cette année 2017, en l’honneur de l’anniversaire des 160 ans de la naissance du fondateur, le fils d’esclaves à la fois Lorrinois, Carbétien, et Bellifontain, Félicien Madkaud.

Par ailleurs, le rhum du Lorrain, « Madkaud – La Digue », est aussi commercialisé pour satisfaire la demande des fidèles sur la côte atlantique de la Martinique, et majoritairement au Lorrain.

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