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Si Jésus était un révolutionnaire, pourquoi autant de chrétiens antillais sont-ils aussi conservateurs ?

Steve Gadet
Si Jésus était un révolutionnaire, pourquoi autant de chrétiens antillais sont-ils aussi conservateurs ?

L’Evangile change votre façon de concevoir la vie en société. Il a une dimension clairement politique alors pourquoi autant de chrétiens évangéliques guadeloupéens et martiniquais n’ont pas de conscience politique ? Et pour ceux qui estiment en avoir une, pourquoi elle ne se traduit pas de manière plus concrète concernant les grands problèmes qui touchent le pays ? À la sortie de l’église, demandez-leur s’ils pensent que c’est une bonne chose qu’un.e chrétien.ne s’engage en politique, ils vous diront en majorité non. Demandez-leur si c’est une bonne chose qu’un.e chrétien.ne s’engage tout court dans le pays pour ou contre certaines grandes questions. Ils seront peut-être moins sceptiques et encore. Mais, demandez-leur s’ils ont suivi les derniers revirements de la scène politique locale ou nationale, ils sauront surement vous donner tous les détails. Demandez-leur si leur église devrait prendre position publiquement pour certaines causes, ils vous diront non mais demandez-leur leur avis sur ces causes, ils ont souvent une opinion précise. D’où vient cette apathie pour la dimension publique de la politique ? Peut-être d’un mélange entre la fonction traditionnelle de la religion chrétienne dans nos pays dominés et l’héritage de la laïcité. La communauté évangélique traditionnelle est zélée pour ne pas se mélanger « au monde » et ne surtout pas se mélanger aux autres manifestations de la chrétienneté au pays. Garder les mains théologiques pures est très important pour certains d’entre eux au point de leur faire perdre du discernement. Parfois les membres d’églises ont déjà résolu certaines contradictions mais leurs dirigeants sont encore englués dans des schémas anciens. D’autres fois, les dirigeants ont résolus des constradictions que les membres de leur église cultivent encore. Donc s’approcher d’un chrétien d’une autre dénomination c’est prendre le risque de ne plus être pur, irréprochable. Venir à une manifestation qui n’est pas organisée et contrôlée par eux de A à Z n’est pas pensable même si la cause est humaine, noble.

Néanmoins, sur certaines questions, ils conservent beaucoup de points de vue et d’attitude hérités du catholicisme. Ils ajoutent juste un verni évangélique mais en profondeur, il y a très peu de différences de conceptions malgré leurs efforts pour être différents. La fonction anesthésiante de la religion en est un par exemple. De protestant, ils ne portent souvent que le nom parce qu’ils ne protestent pratiquement jamais contre quoique ce soit et ne mettent jamais un pied en dehors des lignes. Ceux qui osent parmi eux sont vite diabolisés, mis au placard ou ignorés royalement voire boycottés par les autorités écclésiales. Mais Dieu merci, la liberté de penser et l’éducation sont deux ingrédients qu’ils ne peuvent pas enlever à un être humain.

Malgré les nombreuses tentatives de subversion du christianisme des gouvernements européens et de pluisieurs institutions, Jésus, lui, était un révolutionnaire politique. Pourquoi tant de croyants ont du mal reconnaître cette évidence ?  Dire cela va choquer certains d’entre eux parce que le Jésus sur lequel ils se concentrent est apolitique. Ils oublient ou ignorent que c’est quelqu’un qui a vécu sous la domination coloniale romaine. Dans son temps, César dirigeait le pays qui dominait son peuple. Jésus savait ce que c’était de ne pas pouvoir être pleinement libre, pleinement soi-même à cause d’un régime politique oppressant. Pourquoi les versions de la Bible que nous avons minimisent cet aspect des choses ? Les mouvements religieux chrétiens sous nos latitudes ont été rendu apolitiques pour une raison bien précise. On la connaît : maintenir le statuquo esclavagiste, colonial et néocolonial. Pourquoi les mêmes évangiles dans d’autres coins du monde ont contribué à des révoltes de personnes réduites en esclavage ou à des mouvements sociaux révolutionnaires ? Si tout est fait pour gommer l’aspect politique de la vie de Jésus, ce n’est pas anodin. Les forces conservatrices n’ont aucun intérêt à ce que les chrétiens pensent à Jésus de cette façon aussi. Et pourtant le Jésus politique n’exclut pas le Jésus religieux.

Le Jésus que je veux connaître mieux n’a pas été exécuté seulement à cause de ses positions religieuses. Il a été exécuté parce qu’il s’est mit debout face aux forces politiques oppressantes de son temps. Il a été exécuté parce qu’il gênait l’establishment religieux et politique. Le Jésus que beaucoup trop de chrétiens évangéliques veulent connaître c’est celui qui a souffert sans rien dire, qui n’était préoccupé que par les choses d’en haut et qui n’avait pas d’opinion sur ce qui se passait dans la société, sur des choses graves et concrètes comme l’injustice socioéconomique, les inégalités basées sur le sexe, la race ou encore l’exploitation des personnes ayant moins de ressources. Cette vision traditionnelle de Jésus nous fait du tort surtout qu’elle est incomplète. On ne peut pas se résoudre à le voir uniquement dans le cadre de notre piété individuelle. Les chrétiens évangéliques antillais doivent rajouter un autre angle à leur vision de l’évangile, c’est la dimension sociopolitique. Le Jésus doux qui accepte tout, le Jésus spirituel élevé au dessus des problèmes matériels n’est pas réaliste ni factuel. En 2019, les chrétiens évangéliques martiniquais et guadeloupéens doivent dévelloper une conscience politique. Nombre d’entre eux savent parler politique entre amis ou en famille le dimanche au déjeuner mais traduire leurs idées de façon concrète dans la société s’avère compliqué. C’est un défi qu’ils doivent relever ! Les temps le réclament parce que jusqu’à preuve du contraire, on vit dans la même Martinique et la même Guadeloupe avec les mêmes défis sociétaux à gérer.

Jésus était un révolutionnaire politique. Cela ne veut pas dire comme cela l’implique aujourd’hui qu’il a monté un parti pour aller aux élections ou qu’il a initié un mouvement social en Galilée. Cela ne signifie pas non plus qu’il voulait renverser l’Empire romain de l’époque par les armes. Comme l’explique brillament le Dr. Obery Hendrick dans son livre Les politiques de Jésus, cela veut dire qu’il ne proclamait pas seulement un changement des cœurs individuel mais qu’il réclamait aussi un changement radical des structures économiques, politiques et sociales dans son contexte autrement dit dans l’Israël colonisé. Cela veut dire que s’il avait pu mettre en place toutes ses convictions, les forces politiques dominantes et les classes dirigeantes de l’époque n’auraient pas pu continuer à rester au pouvoir. Et si elles l’étaient restées, elles auraient eu à se conduire de manière complètement différentes. Cela veut aussi dire qu’une partie importante de son ministère, de son engagement consistait à changer radicalement la répartition du pouvoir, de l’autorité, des ressources et des biens. C’est une dimension qu’on minimise trop souvent dans les mouvements chrétiens en Guadeloupe et en Martinique. On la minimise pour se concentrer sur la relation personnelle du croyant avec Dieu. Le message de l’évangile est incomplet vu comme ça. C’est une vision qui est innofensive pour les forces conservatrices économiques et politiques qui profitent du système en place et qui impactent nos vies au quotidien de mille et une manières.

J’ai des amis qui me disent qu’ils n’adopteront jamais la religion de leurs anciens maîtres. Je comprends leur position mais lorsqu’on parle de la religion des maitres en parlant du christianisme, il faut clarifer une chose. Jésus n’était pas européen ! La chrétienté n’est pas née en Italie, en France ou aux Etats-Unis  même si ces pays ont amplifié son influence ! Jésus a vécu en Palestine, dans un endroit où il ne pouvait pas être blanc et avoir les yeux bleus. Ces représentations ont été au service d’un projet de domination que je rejette. L’Afrique est présente à maintes reprises dans la bible. La chrétienté était sur le contient bien avant l’arrivée des européens. Pourquoi tant de chrétiens évangéliques diabolisent ce qui vient d’Afrique ? Pourquoi ils diabolisent le panafricanisme ? Et même s’ils pourrait avoir des réserves, pourquoi ne font-ils pas la différence entre l’aspect politique et l’aspect spirituel ? Pourquoi ils n’arrivent pas à reconcilier sereinement identité et religion ? Toutes ces zones d’ombre favorisent l’aliénation et ne nous rendent pas service. Comment se fait-il que l’Ethiopie, l’un des rares pays non colonisés par les europées ait embrassé la religion chrétienne depuis le 4ème siècle ? Comment se fait-il que son ministre des affaires étrangères, récipiendiaire du prix nobel 2019, soit un homme politique de premier plan et un chrétien protestant ? Comment se fait-il qu’il n’y aucun débat sur ces questions dans la majorité des églises évangéliques aux Antilles ?

Les enseignements de Jésus ont été institutionalisés à un moment donné et récupérés par des gouvernements européens. Ces mêmes gouvernements ont utilisé la religion chrétienne pour légitimer leurs croisades coloniales. Je ne me reconnais pas dans cette subversion du christianisme. Ceci dit, c’est comme quelqu’un qui utilise une certaine marque de voiture pour aller faire un braquage. Si je dis que je n’utilise plus ces voitures là à cause du braquage, c’est que je ne fais pas la différence entre l’outil lui-même et le projet du braqueur. Les intentions et l’utilisation que le braqueur en a fait n’enlèvent pas à la voiture ses qualités de départ : pouvoir m’acheminer d’un point A à un point B. Je veux arrêter de boire l’eau polluée et remonter à la source. Encore une fois, l’utilisation que les gouvernements racistes européens ont fait de la religion chrétienne n’annule pas la pertinence des enseignements et de la vie extraordinnaire de Jésus le Zélote qui a vécu en Palestine.

La charité ne sera pas suffisante pour changer l’état du pays. Il ne nous faut pas seulement traiter les symptômes du mal mais nous devons  remonter aux racines systémiques du mal. La plupart des chrétiens seront d’accord pour dire que Jésus était radical au niveau spirituel mais dès que vous essayez de dire qu’il était aussi radical au niveau politique,  qu’il était opposé aux puissances politiques oppressantes de son époque, ils tirent le frein à main. Les conséquences tragiques de cette vison des choses c’est que beaucoup d’entre eux ne se mettent jamais en position pour combattre les problèmes économiques et politiques concrets dont eux aussi peuvent être victimes. 2009 a été un moment de réveil pour beaucoup d’ailleurs. Personne n’était épargné. Tout le monde devait à minima réflechir, s’organiser ou carrément prendre position.

L’abolition de l’esclavage n’est pas arrivée parce que les personnes réduites en esclavage priaient, parce qu’elles allaient à l’église régulièrement ou parce qu’elles étaient capables de réciter des passages de la Bible par coeur. La liberté physique dont nous bénéficions aujourd’hui est arrivée parce que plusieurs personnes ont cogné contre le système esclavagiste, s’en sont plaints, ont lutté ouvertement ou secrètement contre lui. Si tu manges les mangues de la liberté aujourd’hui, c’est parce que quelqu’un a jugé bon de planter l’arbre. Il nous reste d’autres combats à mener pour que nos enfants mangent leurs mangues demain donc ne dis pas que ça ne sert à rien ou que ce n’est pas le plus important. Quelqu’un l’a fait en pensant à toi il y a des siècles. C’est à ton tour maintenant de le faire pour quelqu’un d’autre. Ce qui est embétant, c’est que cela va te demander de prendre des chemins où le rejet, l’incertitude, la marginalisation et les critiques seront présentes. Aucun chemin pour plus de justice et d’épanouissement n’est securisé, balisé et protégé à 100 %.

L’évangile de Jésus-Chist a clairement une dimention politique donc sa vision de la vie avait une dimension politique. L’un des défis des chrétiens évangéliques martiniquais et guadeloupéens est de déflorer cette dimension politique et de la mettre en oeuvre face aux Goliaths qui se dressent devant l’avenir de nos pays. Pas besoin d’une majorité. Les grandes secousses ont souvent été impulsées par des minorités organisées et déterminées. Pas besoin de tout réinventer. Des cercles et des personnes convaincues existent déjà. Pas besoin d’être d’accord au milimètre près sur tout. Etre d’accord sur l’essentiel suffit et de temps en temps faire le point pour s’ajuster. Pas besoin d’attendre les conditions parfaites ni l’assentiment des autorités qu’elles soient intellectuelles, écclésiales, patronales ou que sais-je encore. Nous devons avoir confiance en nos propres capacités de changer la donne. Pas besoin de brandir la carte de ta religion partout. Le meilleur moyen d’en faire la preuve, c’est d’être authentique, d’être humain, bienveillant et solidaire. Il ne suffit plus de lancer de grands slogans, il faut expliquer par quels moyens on pense changer le système. Trop souvent, les gens qui veulent faire exploser le système ne donne pas d’informations concrètes sur l’après donc leur démarche ne génère pas de confiance. Au mieux, on génère une révolte mais nous avons plutôt besoin d’une révolution, un changement qui se traduit dans les institutions. Je crois en la puissance des idées. C’est en prenant le temps d’expliquer les ressorts et les conséquences de nos choix, en partageant la connaissance dans une langue accessible et en décloisonnant les domaines qu’on va réussir à convaincre. Il faut rejoindre des organisations qui militent pour la transformation concrète de notre société et pour que fassions peuple. Oui, pour que nous devenions un NOUS plus groupé, plus fort et plus lucide. Les petits nous chacun de leur côté arrangent les forces conservatrices. Elles sont trop contentes de nous voir éparpillés. Batissons des ponts tant que possible et rejoignons dans nos luttes respectives. Ce NOUS qui résonnait fort dans les rues de Fort-de-France et de Pointe-à-Pitre, c’est celui là qu’on doit retrouver et lui donner une nouvelle traduction. Une traduction alternative. Une traduction politique, économique, sociétale, agricole et culturelle...

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