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Robert Oppenheimer : les deux visages du père de la bombe atomique

Laëtitia Favro
Robert Oppenheimer : les deux visages du père de la bombe atomique

Le parcours et la personnalité de Robert Oppenheimer, l'homme qui a permis Hiroshima, sont retracés dans deux romans : "Trinity", de l'Américaine Louisa Hall, et "Oppenheimer", du Canadien Aaron Tucker.

Seize juillet 1945. ­Alamogordo, Nouveau-Mexique. ­Visage contre terre dans une tranchée, un homme décompte les ­secondes précédant le déchaînement d'une "violence inconnue jusque-là sur terre", dont il est en partie responsable. A quoi songe-t‑il au moment où ­Trinity, la première bombe atomique de l'Histoire, explose dans le désert ? Se récite-t‑il ces vers de John Donne, qui lui auraient inspiré le nom de sa créature : "Forcez mon cœur, Trin-Un, qui jusqu'ici mon être/Par chocs, souffles, rayons, tentiez de convertir!"?

Un génie au destin contrarié

Au moment où Trinity libère dans la vallée du Rio Grande l'énergie ­accumulée au cours de trois années de recherche top ­secret, ­Robert ­Oppenheimer entre, à 41 ans, dans le cercle restreint des scientifiques dont les découvertes ont changé la face du monde. Directeur scientifique du projet ­Manhattan visant à développer, au cours de la Seconde Guerre mondiale, une arme ­nucléaire bientôt utilisée sur le Japon, à Hiroshima et Nagasaki, le "père de la bombe atomique" fascine en ce qu'il s'inscrit dans le mythe du rêve américain (en même temps qu'il le défie).

Fils d'un émigré allemand aux Etats-Unis, ­Oppenheimer est recruté par l'armée américaine en dépit d'accointances communistes qui lui seront reprochées en 1953 pendant le maccarthysme. Ecarté en raison de son opposition au développement d'armes thermonucléaires, que ses recherches ont pourtant facilité, il est réhabilité en 1963 et termine sa carrière à l'Institute for Advanced Studies, qui devient, sous son impulsion, un centre de recherche fondamentale de premier plan. Polymathe, maîtrisant aussi bien l'allemand et le français que le latin et le sanskrit, il fait partie de ces génies au destin contrarié, dont les découvertes représentent à elles seules "une arme capable de détruire notre planète".

Portrait kaléidoscopique

Cette dualité est au cœur de deux ouvrages parus ce printemps : ­Trinity, de l'Américaine Louisa Hall, et Oppenheimer, du Canadien Aaron Tucker. Centrés sur la personnalité à la fois brillante et trouble de l'éminent physicien, leurs récits reviennent sur quelques moments clés de son parcours, de ses études à Harvard à ses séjours à Saint John, l'une des îles Vierges des Etats-Unis, au large desquelles ses cendres ­seront répandues à sa mort, en 1967.

"Mettre au jour certains secrets génère le besoin d'en découvrir d'autres"

Trinity s'ouvre sur un homme traqué qui en juin 1943, en pleine guerre mondiale, dévie de l'itinéraire convenu avec la Sûreté américaine pour rejoindre sa maîtresse, Jean Tatlock, à San ­Francisco. ­Oppenheimer est alors un homme marié et bénéficie d'une habilitation de sécurité du plus haut ­niveau. Il d­irige le projet ­Manhattan, ­développé dans le laboratoire de Los ­Alamos à la suite de l'attaque de Pearl ­Harbor, à un moment où ­beaucoup pensent que San Francisco et Los ­Angeles seront les prochaines cibles d'une frappe ennemie. Pourtant, Oppenheimer dévie. "Mettre au jour certains secrets génère le besoin d'en découvrir d'autres, surtout s'il s'agit d'un homme dans la position d'Opp", confie Sam Casal, l'un des agents du FBI chargés de sa surveillance.

Son témoignage rejoint celui des six autres protagonistes dont le chemin rencontre la trajectoire du scientifique de génie : de l'ancien disciple au collègue de Berkeley, de sa secrétaire à la journaliste chargée de rédiger son portrait, tous décrivent un Oppenheimer différent, saisi à un moment précis de son existence. Le portrait kaléidoscopique qui émane de ces témoignages rend de manière saisissante la complexité d'un homme dont les recherches ont servi à la mise au point d'une arme capable d'anéantir l'humanité, et interroge la possibilité de vivre confronté à cette terrible réalité.

Quelle responsabilité face à l'histoire?

S'il est avéré qu'Oppenheimer s'est opposé au développement des armes thermonucléaires à la suite des bombardements de Hiroshima et de Nagasaki, son adhésion au projet Manhattan questionne la corrélation entre les avancées scientifiques et l'usage que leurs détenteurs leur réservent. Oppenheimer croyait-il, comme l'affirme une laborantine présente à Los Alamos en 1945, que l'arme nucléaire dissuaderait les nations d'entrer en guerre et permettrait d'"en finir avec toutes les armes", que sa violence mettrait enfin "un terme à toute autre forme de violence"?

"Le scientifique et la science s'amalgament et se prolongent symbiotiquement"

La question de la responsabilité face à l'histoire traverse également l'Oppenheimer d'Aaron Tucker, dont la chronologie éclatée s'intéresse, à l'instar du roman de Louisa Hall, aux multiples facettes de l'homme au chapeau pork pie et au regard bleu acier. En mai 1945, sa silhouette à cheval se découpe sur les contreforts entourant le laboratoire de Los ­Alamos. La "lumière vaporeuse du Gadget" n'a pas encore été libérée, et le physicien profite d'une échappée pour méditer sur le fait que "le scientifique et la science s'amalgament en un 'expérimentateur', se prolongent symbiotiquement comme le crayon dans la main de l'écrivain cesse d'être un objet en soi pour devenir pratiquement une partie de lui". Dès lors, ­Oppenheimer comprend que l'arme atomique sur le point de naître ne pourra plus jamais se dissocier de son nom.

Saisir les aspirations d'un homme

Si l'ouvrage de Louisa Hall ­repose sur les récits personnels de narrateurs ayant tous fréquenté l'éminent scientifique, le roman d'Aaron ­Tucker propose quant à lui une plongée méditative dans les pensées du physicien, recréées à partir d'éléments attestés de sa biographie et de leur libre appropriation par l'écrivain. Les deux textes se répondent néanmoins et permettent au lecteur d'approcher, entre horreur et fascination, un sujet commun dépassant de manière vertigineuse la personne d'Oppenheimer pour rejoindre l'histoire du XXe siècle et de l'humanité.

Ignorant les canons de la biographie classique et sa linéarité souvent ­indigeste, Oppenheimer et Trinity ne prétendent pas dévoiler les secrets de l'homme, mais tentent plutôt d'incarner, à travers des gestes, des anecdotes et le témoignage de ceux qui l'ont connu, le mystère de son génie. Oppenheimer quitte dès lors son funèbre piédestal pour revenir parmi les mortels, partagé entre ses aspirations au progrès et l'étau d'une société en guerre qui l'a tantôt encensé, tantôt broyé.

Trinity, de Louisa Hall, 332 pages, 21 euros.

Oppenheimer, d'Aaron Tucker, 296 pages, 19 euros.

 

Post-scriptum: 
© Sipa Le parcours et la personnalité de Robert Oppenheimer, l'homme qui a permis Hiroshima, sont retracés dans deux romans : "Trinity", de l'Américaine Louisa Hall, et "Oppenheimer", du Canadien Aaron Tucker.

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