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Rêve de cinéma créole

Serghe Kéclard
Rêve de cinéma créole

       Nous avons proposé à une trentaine d'écrivains (es) antillais (es) de nous révéler leur rêve le plus improbable, le plus fou. Non pas de ces rêves banals que tout un chacun fait durant son sommeil mais de ceux qui nous habitent en plein jour, qui nous hantent, nous poursuivent tout au long de notre vie. Serghe KECKLARD, écrivain martiniquais, est le premier à se jeter à l'eau...

 

***

 

  Ce matin, ou hier, dans la soirée, - je ne sais plus précisément - je suis allé consulter une plate-forme de Streaming gratuit afin de  visionner un film.

  Je fais, alors, défiler les vignettes colorées, aux titres, généralement, en Anglais, Français, plus rarement en Hindi ou Wolof. Que vois-je, ahuri, un titre en Créole. Qui plus est, martiniquais : An plézi sanmanman ; comédie dramatique et thriller.

  Deux vignettes plus loin, un autre titre en martiniquais, Bitako a puis un autre encore Farizet Léranski. Je n'en reviens pas. Suivent, sans discontinuer, des murs d'affiches en créole. De temps à autre, un étasunien, un britannique et épisodiquement, un français. Je me rends compte que le cinéma martiniquais, à l'instar de Nollywood, rayonne dans le monde. Que ce soit sur «Netflix», «Amazon», «Iwanaka» ou «Hulu», les réalisations martiniquaises ne se comptent plus.

  Que s'est-il passé pour que l'art cinématographique en Martinique, Siléma-bòkay, encore balbutiant jusqu'en 2021, soit, aujourd'hui, en 2030, une industrie, indiscutablement, prospère ? La réponse à cette épineuse question me sera donnée sur plusieurs fronts :

-D'une part, l'explosion des littératures martiniquaises en français mais surtout en créole.  Chaque année, en effet, depuis 2020, une cinquantaine d'ouvrages en tous genres - nouvelle, roman, récit, théâtre, horreur - en langue co-officielle, sont publiés. Et partant, des histoires originales ancrées dans la réalité du pays, nourrissent la dramaturgie du 7ème art. Scénaristes, réalisateurs et réalisatrices puisent, allègrement, dans les imaginaires créoles véhiculés par ces littératures. Elles et ils y trouvent, indubitablement, matière à construire  des univers dignes d'être montrés au reste du monde, en dépit des préjugés tenaces, battus en brèche depuis. Que ce soit Fanm blan Jilo-a, Erna Salomon, Kavalié, salié vo danm ! oben Goumen épi lavi-a, pour ne citer que quelques titres dans la foisonnante production littéraire, la langue et plus largement, la culture créoles ont permis l'explosion d'une écriture cinématographique inventive. Ni produits de niche, ni cinéma-ghetto, l'art dramatique martiniquais, parce qu'enraciné, parle  à l'humanité.

- D'autre part, l'implication de producteurs martiniquais ou / et étrangers,- privés ou institutionnels - qui, conscients des enjeux considérables en termes de visibilité d'une culture riche et forte (parce qu'assumée par le plus grand nombre), et de rentabilité (les retombées économiques dans le secteur entrepreneurial de Martinique, de  la diaspora antillaise en France, de la Caraïbe et sur le continent africain), n'hésitent pas à investir des sommes conséquentes dans cette industrie, véritable locomotive.

- De plus, les équipes techniques, d'un professionnalisme incontestable -réalisateur(trice), assistant-réalisateur (trice), scripte, chef-opérateur(trice),cadreur, steadycameur, assistant(e)-opérateur(e), chef électricien, chef opérateur son, chef décorateur, perchman,  régisseur général, HMC, chef machiniste et directeur ou directrice de production... - sont souvent sollicités en dehors du territoire martiniquais.

- Enfin, les actrices et les acteurs (de 7 à 77 ans) évoluant dans leur langue maternelle ou matricielle, formé(e)s, au Conservatoire martiniquais d'art dramatique, - à la gestuelle et à la rythmique créoles, entre autres choses - suivent des cours au Conservatoire de Cuba, aux USA et en France. Elles et ils se confrontent, également, à l'extraordinaire créativité du cinéma nigérian et d'Afrique du Sud. La mise en place d'une convention avec l'Education nationale(recentrée, désormais, sur les problématiques endogènes)  via les écoles, les collèges et les lycées, favorise des vocations dans des domaines multiples gravitant autour du cinéma (critique de cinéma, écriture de synopsis, de dialogues, décors, etc.)

- Le public, qui se voit, dorénavant, sur petits et grands écrans, dans des histoires qui évoquent milieux et paysages familiers, avec des personnages inspirés par lui, ne boude pas son plaisir. Quelle jubilation intense, en effet, pour lui, de voir des films martiniquais sous-titrés en japonais, swahili, anglais, français, allemand... !   

  En définitive, on comprend bien mieux, pourquoi le cinéma martiniquais, vers lequel lorgnent les grands majors de l'industrie internationale, a autant le vent en poupe. La création d'un festival annuel, adossé à une cérémonie de remise de prix - Danma-a -  qui se déroule, chaque 22 mai, à la Savane des Esclaves, lui confère légitimité et authenticité.

Le rêve, depuis l'enfance, nourri par moi, transmuté par les mots, est devenu réalité... 

 

                                      «Mon rêve de cinéma», Serghe Kéclard, mai 2021

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