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Relire ou découvrir Bertène Juminer

Relire ou découvrir Bertène Juminer

   Né en 1927 à Cayenne, de père guyanais et de mère guadeloupéenne, Bertène JUMINER, grand médecin et grand écrivain tout à la fois, est malheureusement tombé dans un relatif oubli, un peu comme Vincent PLACOLY ou Xavier ORVILLE en Martinique ou encore Florette MORAND ou Gilbert de CHAMBERTRAND en Guadeloupe. Nos politiques s'imaginent qu'il suffit de donner à une rue, un collège ou un lycée, à une bibliothèque ou à tout autre bâtiment public le nom d'un écrivain décédé pour que sa mémoire soit préservée. Or, non seulement il n'en est rien, mais le nom de l'écrivain en question risque, à terme, de devenir un nom de rue. Ce qu'il faudrait, dans nos trois pays (Guadeloupe, Guyane et Martinique), c'est que les autorités locales créent un organisme de protection et de diffusion de notre patrimoine écrit (pas seulement "littéraire" puisque l'écrit recouvre aussi l'histoire, l'anthropologie, la sociologie, la psychologie, l'économie etc.). Il existe bien des aires ponctuelles à l'édition et à la réédition, mais cela demeure très insuffisant.

   S'agissant de Bertène JUMINER, s'il est courant en Haïti qu'un médecin soit également homme de lettres, c'est quelque chose de très rare dans les trois territoires sous tutelle française des Amériques. Nous n'insisterons pas sur sa brillante carrière de Montpellier où il a fait ses études à Tunis où il a exercé, puis à Dakar  avant de s'installer en Guadeloupe où il fut l'un des fers de lance des études médicales au sein de l'ex-Université des Antilles et de la Guyane. B. JUMINER fut un grand professeur de parasitologie tropicale reconnu par ses pairs. Mais il avait, comme on l'a dit, une autre face : celle de l'intellectuel, du penseur et surtout de l''écrivain. Ami de Frantz FANON, il a très tôt pris conscience des ravages de l'assimilation dans les territoires français d'Amérique et son premier roman, Les Bâtards (publié en 1961 chez Présence Africaine comme la plupart de ses livres) en témoigne. La question raciale y est omniprésente, JUMINER étant un héritier du mouvement de la Négritude et son roman étant d'ailleurs préfacé par Aimé CESAIRE en personne. Il y décrit une société coloniale antillo-guyanaise sclérosée, empuantie par les rivalités mesquines, la course aux pseudo-pouvoirs, la détestation de soi et l'acceptation de l'aliénation. On ne peut pas dire qu'aujourd'hui tout cela ait vraiment changé malheureusement et c'est ce qui fait toute l'actualité des Bâtards.
   L'expérience africaine et singulièrement sénégalaise de B. JUMINER va susciter chez lui l'écriture d'un roman, Les Héritiers de la presqu'île(1979), qui se déroule entièrement à Dakar. Cela non plus n'est pas très fréquent car d'autres écrivains tels que Joseph ZOBEL ou Xavier ORVILLE ont vécu, eux aussi, sur le continent noir mais n'y ont situé aucune de leurs œuvres. JUMINER se place donc dans le sillage d'un autre grand guyanais, René MARAN, qui fut le tout premier originaire des territoires français d'Amérique à recevoir le Prix Goncourt pour son roman Batouala. Véritable roman nègre (1921). Dans Les Héritiers de la presqu'île qui se donne à lire comme un roman policier avec un détective qui mène une enquête, on trouve de très beaux portraits de femmes africaines, notamment ceux de Nafissatou, de Mado ou encore de la mystérieuse Fatim jamais trouvée et, en fait, on se rend compte au fil de la lecture que cette pseudo-enquête est en fait une quête : celle de l'identité perdue des Guyanais et autres Noirs des Amériques, celle de l'Africanité rêvée mais partiellement dissoute à jamais. 
   B. JUMINER publiera un dernier roman en 1990 : La Fraction de seconde qui comporte comme sous-titre la curieuse mention "roman guyanais" exactement comme, un siècle plus tôt, le tout premier roman jamais écrit en langue créole, Atipa (1885) de son compatriote Alfred PAREPOU. Sans doute l'auteur a-t-il voulu marquer là une sorte de retour aux sources après ses longs séjours en France, en Tunisie, au Sénégal, en Iran, en Guadeloupe et en Martinique car ce roman comporte un fort élément autobiographique.
   On garde aussi le souvenir d'un homme qui nommé recteur, en poste à la Martinique, de ce qui était à l'époque le rectorat des Antilles et de la Guyane, a entrouvert la porte pour une reconnaissance de l'enseignement de la langue créole au sein de l'institution scolaire. En effet, en 1982, son envoyé spécial à un congrès de créolistes en Guyane, l'écrivain martiniquais Xavier ORVILLE, y lira une déclaration à ce sujet qui fera l'effet d'une bombe. C'st qu'hormis à l'Université où sous la houlette de Jean BERNABE et du GEREC (Groupe de Recherches en Espace Créole) les études créoles avaient pris de l'essor dès 1975, dans l'enseignement primaire et secondaire, c'était le désert. Ou presque : au collège de Capesterre-Belle-Eau, en Guadeloupe, Hector POULLET et Sylviane TELCHID avaient pris l'initiative d'un cours de créole plus ou moins toléré par le rectorat. 
   En plus donc d'avoir été un médecin renommé et un romancier de talent, Bertène JUMINER restera dans notre histoire comme l'un de ceux qui aura permis à la langue créole de sortir du carcan colonial tri-séculaire qui menaçait de l'étouffer...

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