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QUELQUES OBSERVATIONS À PROPOS DE L’ARTICLE DE M. HENRY PETITJEAN ROGET

par Hughette Bellemarre
QUELQUES OBSERVATIONS À PROPOS DE L’ARTICLE DE M. HENRY PETITJEAN ROGET

QUELQUES OBSERVATIONS À PROPOS DE L’ARTICLE DE M. HENRY PETITJEAN ROGET : UNE APPROCHE ANTHROPOLOGIQUE DU CONTEXTE
DE LA RÉVOLTE, MADININ’ART 19-2-09

Dans Madinin’Art du 19-2, Mr Henry Petitjean Roget nous propose « Une approche anthropologique du contexte de la révolte » sous-entendu en Guadeloupe.

Cet intitulé semble promettre une analyse scientifique, de même que la bibliographie et les titres universitaires déployés à la fin de l’article. Qu’en est-il exactement ?

Examinons d’abord les efforts de l’auteur pour constituer la société guadeloupéenne en un objet d’étude anthropologique.

Il commence par énoncer péremptoirement une particularité, selon lui, de cette société : « les mots qu’utilisent ses membres ne disent pas ce qu’ils veulent exprimer. L’exprimé se situe presque à chaque fois dans le registre du non-dit. »

Curieusement pourtant, il prend les exemples de sa démonstration chez les Martiniquais ! En effet, dit-il, ceux-ci ne désignent le serpent que par les expressions : « la bête longue » ou « la cravate », ce qui est la marque, « somme toute » (!) d’ « une société précapitaliste ou traditionnelle qui a conservé des relations étroites avec son environnement naturel » ! Hum ! Est-ce que l’on ne frôle pas les qualifications de prélogiques, voire d’humanités encore engluées dans l’animalité ?! L’auteur s’en défendrait énergiquement ! Soit, mais contrairement à ce qu’il semble croire, les Antillais n’ont inventé ni la métaphore, ni la périphrase euphémique. Les Romains ne disaient pas : « il est mort », mais : « il a vécu » et pour le cas où Mr Henry Petitjean Roget estimerait « que ceux-ci avaient gardé des relations étroites avec leur, etc.… » remarquons qu’aujourd’hui les Français disent dans la même situation : « il est parti », leurs journalistes ajoutant parfois : « des suites d’une longue et douloureuse maladie », et tout le monde comprend de quoi il s’agit !

Poursuivant son analyse, notre anthropologue remarque que le slogan guadeloupéen, repris depuis en Martinique : « La Gwadloup sé tan nou …sé pa ta yo » : « se situe, lui aussi, dans le registre du dit non dit ! » En effet, pourquoi « yo » et pas « zot » se demande l’auteur ? Et si, là encore, c’était une loi du genre ? Ce qui prime pour ceux qui contestent collectivement l’ordre établi c’est de s’adresser au « nous » qui se constitue, qu’il faut resserrer, par opposition à tous les autres, aux ennemis :

« Ah ! ça ira, ça ira, ça ira,
Les aristocrates, on les pendra …» Ça ira

« Ils viennent jusque dans nos bras
Égorger nos fils… » La Marseillaise

« Nos chefs, … ces cannibales…
ils sauront bientôt que nos balles
sont pour nos propres généraux ! » L’Internationale

Mais, nous dit l’auteur, ici le « ils » n’est pas nommé : nous sommes en présence d’un « langage camouflé » qui « permet un artifice pour rejeter l’animosité sur un objet caché ! » Encore une fois, remarquons qu’en cela les Guadeloupéens n’ont aucune exclusivité :

« Ils ont tué Jaurès ! »

« ils ne passeront pas »

Ils, ce sont les autres, le groupe adverse, dont on a fait, dont on fera l’inventaire ailleurs. Pour le cas qui nous intéresse, ce « yo » peut être très précisément déduit du nom du Collectif , « Liyannaj Kont Pwofitasion » : ce sont les exploiteurs de toute origine ; il est explicité par le slogan repris en Martinique : « an bann profitè volè, nou kaï fouté yo déro » et développé dans un poème déjà ancien du Guadeloupéen Hector Poulet : « Twa twa toupatou » qui distingue, par une analyse de classe et non de race, les enfants du pays et les ennemis des enfants du pays :
« E mi zanfan péyi-la /…./ po nwè/ po jòn/ po wouj/ po chapé/ po blan
/Nou byen foutépanmal/ Nou sav sé zanfan péyi-la….

Mé/ Mi lènmi zanfan péyi-la/…/I blan/i jòn/ i nwè/ i po chapé
/Nou byen foutépanmal/Nous sav sé lènmi zanfan péyi-la …
/Pas/I ka viv si péyi-la/Evè swè/Evè san zanfan péyi-la…

- poème que, par parenthèses, il faudrait faire lire à tous ceux qui taxent le mouvement actuel de racisme !

Le non-dit ne caractérise donc pas particulièrement la société guadeloupéenne. En fait, affirmer le contraire relève d’une volonté de faire de celle-ci, non pas seulement un objet scientifique, mais, en marge des autres humanités, un peuple étrange, voire étranger. Aussi l’auteur énumère-t-il les autres « particularités » de la société guadeloupéenne et elles sont de taille !

Les Guadeloupéens sont aliénés, ils ne s’aiment pas : le Blanc « reste chaque fois la référence en tant qu’individu et comme couleur ». Certes, cela peut être vrai encore de nos jours pour certains. Mais est-ce parce que la beauté du blanc s’est imposée, s’impose objectivement aux autres races ou bien est-ce le résultat des rapports de force économiques, politiques et culturels que des peuples de race blanche ont imposé et continuent encore d’imposer au reste de la planète ?

Notre anthropologue ne nous le dit pas ! Pourtant, il sent l’importance de l’esclavage pour comprendre la situation et les sentiments actuels des Guadeloupéens, il en parle longuement et à plusieurs reprises, mais ses interprétations sont curieuses :
Les Guadeloupéens se pensent non pas comme descendants d’esclaves, mais comme fils d’esclaves, « le fait historique est aboli au profit d’une réalité actuelle », et ils en ressentent « une souffrance permanente et odieusement insupportable ». Aussi répètent-ils très souvent encore aujourd’hui : « nou pa esklav » car ils sont traumatisés parce que, en 1802, « Delgrès n’a pas gagné », qu’ils considèrent celui-ci dans leur inconscient comme « un perdant » et que l‘abolition définitive de l’esclavage leur a été « concédée par la République, le maître blanc fantasmé (l’auteur répète trois fois ce mot ou ses dérivés en quelques lignes !) » et par « des penseurs et des êtres éclairés », bref, parce qu’ils ont participé à leur libération non par une révolte, mais par « des sursauts de révolte » !!!

Quel subtil distinguo ! Si les Guadeloupéens se sentent encore esclaves, ne serait-ce pas tout simplement parce qu’ils estiment que depuis l’esclavage, les structures de leur société et, tout particulièrement de la propriété, n’ont pas suffisamment changé et qu’ils expriment ainsi leurs revendications de conditions de travail qui respectent leur dignité d’êtres libres ? Pour tous les peuples du monde, l’esclave c’est le symbole du travailleur surexploité, rappelons-nous :

« Foule esclave, debout, debout! »

Mais notre anthropologue préfère voir dans la souffrance guadeloupéenne l’effet de la maladie mentale : « Nous vivrions dans une société analogue (…) à l’une de celles (que de précautions oratoires !) que l’ethnopsychiatre G. Devereux a (…) qualifié de pathologiques normales ». Et si le profane veut savoir ce que cela signifie, Mr Henry Petitjean Roget explique : « c’est-à-dire une société dans laquelle la névrose collective établit la normalité des comportements. » Et voilà, … CQFD !

Cependant l’auteur, bon prince ou bon thérapeute, entrevoit dans la grève générale la psychothérapie de groupe qui pourrait permettre « la fin de ce repli confortable dans la rébellion d’un état névrotique que l’on pourrait qualifier d’infantile.» Bien sûr, il ne s’agit pas ici de reprendre le cliché du nègre « grand enfant », se défend vertueusement notre anthropologue, mais, affirme-t-il, « utilisé dans le contexte d’examen des manifestations discursives d’une crise sociale, avec les outils que fournit l’anthropologie ( ! ) », cela signifie (je résume) que les Guadeloupéens sont dans une phase d’opposition à l’autorité. Donc que la rupture des négociations ne saurait être imputée à l’intransigeance de l’autre partenaire, mais uniquement au système traditionnel d’éducation qui alterne « permissivité la plus totale et ferme répression, soudaine et imprévue » et qui « par l’absence de bornes mises à l’infini possible du vouloir, débouche immanquablement sur l’insatisfaction perpétuelle » !

Et voilà le travail : les Guadeloupéens en lutte contre la vie chère et pour la reconnaissance de leur dignité sont des névrosés ou au mieux des enfants mal élevés ! L’analyse anthropologique de Mr Henry Petitjean Roget aboutit donc tout simplement aux poncifs de classe les plus éculés ! Elle justifie le point de vue de ceux qui refusent de donner deux francs jusqu’à la mort …de leurs salariés!

Mais à des poncifs de race aussi. En effet, sans jamais le dire (tiens, notre auteur pratiquerait lui aussi le non-dit !) dans toutes ces analyses sur l’esclavage, Mr Henry Petitjean Roget ne vise, bien entendu, que les Guadeloupéens de couleur. ( Par cette dénomination désuète, nous désignons non seulement la majorité d’origine africaine, mais aussi tous ceux, quelles que soient leur origine et leur couleur de peau, qui se sont fondus et se reconnaissent dans le peuple guadeloupéen –voir plus haut la citation d’Hector Poullet.)

Pourtant, l’auteur évoque aussi la minorité béké, mais pour elle, il est beaucoup plus indulgent !

D’abord, il élimine en une phrase et juge en un adjectif (« inadmissibles ») le comportement et l’idéologie békés tels que les a rappelés le reportage de Canal+ .

Ensuite, il nous apprend que les colons se sont « insérés au XVIIe siècle au sein de la société caraïbe insulaire »! Qu’en termes jolis ... ! L’auteur veut-il dire que les békés ont du sang caraïbe dans leurs veines ? (Auquel cas, il devrait se dépêcher de faire part de cette découverte anthropologique à Mr Despointes et à tous ceux qui pensent tout bas ce que celui-ci dit tout haut à propos des métis et de la pureté ethnique!) Ou bien est-ce volonté passionnée de démontrer l’antériorité des békés sur le sol guadeloupéen et d’y prouver ainsi leur légitimité ?

Par ailleurs, si les jeunes Guadeloupéens diplômés ne peuvent pas rentrer dans leur pays, ce n’est absolument pas à cause de l’absence de développement dû au régime colonial ni de la discrimination à l’embauche par le patronat (l’un et l’autre ayant partie liée). C’est, nous affirme l’auteur, entièrement à cause du repli sur soi grandissant des Guadeloupéens qui les rejettent !

Enfin, l’auteur appelle à l’acceptation du métissage culturel et biologique la société guadeloupéenne indistinctement, comme si c’étaient les masses guadeloupéennes qui le refusaient !

On pourrait continuer longtemps comme cela à pointer du doigt les contradictions, les omissions et les partis pris de Mr Henry Petitjean Roget, au risque de lasser le lecteur. Mais celui-ci aura compris que sous une apparente scientificité, le but poursuivi ici par l’auteur est de faire peser la responsabilité de toutes les tares de la société coloniale guadeloupéenne sur les seuls Guadeloupéens (ceux qui précisément en souffrent). Et tout particulièrement d’imputer les difficultés, voire un éventuel échec de la négociation à leur immaturité, à leur névrose, à leur intolérance, et même à leurs difficultés ou à leur refus d’expression !

Et la question de savoir si c’est volontairement ou même consciemment que Mr Henry Petitjean Roget se montre ainsi partial ou subjectif importe relativement peu ; sans doute faudrait-il qu’à l’instar des psychanalystes qui ne le deviennent qu’après avoir fait leur propre analyse, les anthropologues et autres spécialistes de sciences sociales ou humaines commencent par faire l’examen de leur être de classe et de race ! Sinon, c’est là que les non-dits deviendraient imposture !

Huguette Emmanuel Bellemare,
martiniquaise, sociologue de formation,
enseignante du second degré

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