Accueil
Aimé CESAIRE
Frantz FANON
Paulette NARDAL
René MENIL
Edouard GLISSANT
Suzanne CESAIRE
Jean BERNABE
Guy CABORT MASSON
Vincent PLACOLY
Derek WALCOTT
Price MARS
Jacques ROUMAIN
Guy TIROLIEN
Jacques-Stephen ALEXIS
Sonny RUPAIRE
Georges GRATIANT
Marie VIEUX-CHAUVET
Léon-Gontran DAMAS
Firmin ANTENOR
Edouard Jacques MAUNICK
Saint-John PERSE
Maximilien LAROCHE
Aude-Emmanuelle HOAREAU
Georges MAUVOIS
Marcel MANVILLE
Daniel HONORE
Alain ANSELIN
Jacques COURSIL

PROPOSITION DE DISCOURS D'ADHESION A L'O.N.U. DE LA REPUBLIQUE INDEPENDANTE DE LA MARTINIQUE

Par Thierry Caille
PROPOSITION DE DISCOURS D'ADHESION A L'O.N.U. DE LA REPUBLIQUE INDEPENDANTE DE LA MARTINIQUE


Nous proclamons solennellement en ce jour où, curieuse et amusée, la société des Nations nous invite à sa table, la déclaration d'existence de la nation martiniquaise libre.

 



Qu'est-ce qui fonde une nation ? Une terre, un peuple, une histoire, une culture, une langue, une religion, une volonté...

Une terre, nous n'en avons pas ni par l'héritage de nos ancêtres, ni par conquête, ni par traité reconnu. Nous avons été spoliés des plateaux rouges, des savanes sèches et des fleuves limoneux de notre terre d'Afrique par des tribus hostiles et vendus aux négriers français. Emigrants par la volonté abjecte des peuples conquérants, nous occupons la terre des indiens caraïbes massacrés par les mercenaires très chrétiens des rois de France et d'Espagne. Mais nous décrétons nôtre et inviolable l'île de la Martinique. Que notre conscience nationale s'imprègne de cette réalité, l'appartenance à un rocher volcanique infime, perdu en mer.

Un peuple, nous n'en avons pas ni par les gènes fixés d'une race ni par les us et coutumes d'un peuplement long et stable. Nous sommes au contraire le peuple le plus indéfini qui soit. Au sang sombre et noble des tribus du Congo, du Sénégal et des Mozambique, s'est mêlé le sang des négriers, des colons et des prêtres blancs et les sangs syphilitiques des marins, des coureurs de mers et des écumeurs de rade de tout pavillon, de toute origine. Nous sommes le musée vivant des races humaines, l'exposition universelle des métissages. Notre présence sur cette île est trop brève, trop aléatoire et trop variable pour que l'on se réfère à un peuplement. Notre terre n'est qu'un havre de transit pour le repos des oiseaux migrateurs, l'escale ensoleillée de tous les équipages et le refuge des apatrides. Rien n'est moins fondateur chez nous que le temps. Mais nous décrétons peuple martiniquais l'union chamarrée des êtres humains vivant à ce jour sur le sol insulaire ainsi que tout individu, groupe ou peuple assujetti à travers le monde par les systèmes politiques ou économiques flétrissant la condition humaine, par les systèmes de pensée ou de croyances asservissants la liberté inconditionnelle de l'homme. Nègres, hommes blancs, mulâtres, hommes rouges d'Australie, hommes bleus du désert, indiens et métis, juifs russes, perses et arabes vivant à ce jour sur notre sol sont désormais citoyens de la Martinique. Qu'ils se multiplient et entrecroisent avec harmonie leurs teintes variées pour créer l'homme métis nouveau, confluent, épissure de toutes les races, héritier et noble gardien du patrimoine génétique de l'humanité.

Une histoire nous n'en avons pas. On ne saurait confondre l'histoire coloniale de la France, ses tumultes, ses hontes et son rachat symbolique incarné par la figure immense de l'humaniste Schoelcher, ni l'atténuation progressive de la politique coloniale par l'assimilation lente et l'administration française avec une réelle histoire de Martinique qui fonderait notre nation. Notre histoire commence, messieurs, aujourd'hui. Elle ne s'écrira ni avec le sang, ni avec la haine. Nous renonçons à la vengeance historique, à la rancune facile et pathologique de certains de nos compatriotes qui leur tient lieu de repères existentiels. Hommes libres, notre mémoire de descendants d'esclaves est abrogée. Cultiver la culpabilité de la France revient insidieusement à nous contraindre et nous cantonner dans une condition d'anciens esclaves. Affirmer notre différence par une éternelle référence à la nation française revient à maintenir ce lien, ce joug avec un pays aujourd'hui égal au nôtre par ses droits. Oui, nations attentives, notre histoire est un livre vierge, tâchons d'écrire des pages plus belles que vos mémoires souillées de barbarie. Pour garantir cette virginité constituante, nous dissolvons tous les partis indépendantistes qui ont pris voix chez nous et exilons leurs chefs. Les discours nourris de haine, de concupiscence et de rancune à l'égard de toute nation qui a pu par le passé porter atteinte à notre dignité sont caducs, frappés d'obsolescence et censurés. Le devoir de mémoire n'est pas pour nous, nous avons seulement le devoir de pardon.

Une culture nous n'en avons pas. Nous ferions assez rire le monde en nous référant avec respect et délectation à l'antillanité ou quelque invention de la même eau qui tendraient à élever au rang de culture les quelques traditions héritées du passé colonial et français et qui enferment bon nombre de nos compatriotes dans un culte étroit et source d'ostracisme de nos particularités et de notre géographie bien loin de cette lente émanation des vieilles civilisations que l'on nomme culture. Le mot est, hélas, trop souvent présent dans leurs discours enflammés pour en masquer l'absence. Il n'y aura pas de musée du bakoua ou de l'igname ou de la yole et l'on détruira le musée de la canne pour le rendre à la France. Notre culture étant vierge comme notre histoire nous puiserons avec discernement et bon goût dans le patrimoine des cultures et sans préjugé aucun. Nous invitons les poètes et les saltimbanques, les érudits et les conteurs, les philosophes et les sculpteurs, les peintres et les musiciens, les danseurs et les penseurs de toute origine et de toute tendance à profiter de notre doux climat. Nous saurons nous enrichir de leur présence pour fonder une culture ouverte au monde. Nos ministères des affaires étrangères et de la culture sont pour des raisons historiques, géographiques et morales confondus. Nous opérerons cependant à quelques modifications symboliques.

L'année astrale n'aura plus qu'un seul mois, héliembre, de 365 jours. Le calendrier julien est abrogé. Nous compterons le temps à partir de la date de naissance de François Dominique Toussaint, dit Toussaint-Louverture, en 1743 en Haïti. Notre fête nationale aura lieu le 143 héliembre de chaque année correspondant à l'anniversaire du 23 Mai 1848 date d'autoproclamation de l'abolition de l'esclavage par les martiniquais. Le drapeau national qui flotte sur l'ajoupa général du comité insurrectionnel est rouge carmin, or et turquoise, pétale d'hibiscus, rhum vieux et mer des Caraïbes. L'hymne national est la complainte populaire du docker de Volga-plage arrangée par l'orchestre philharmonique de Césaire-ville ex Saint-Pierre. La nouvelle monnaie battue par la Banque Nationale de la Martinique qui sera édifiée à Behanzin-ville ex Sainte-Marie, en souvenir du dernier roi du royaume d'Abomey exilé sur notre île, sera le lambi indexé sur le cours de la langouste au marché du Vauclin. L'Opéra national de Martinique, conservatoire des danses antillaises sous la direction des plus grands chorégraphes caribéens résidera à Léopold Sédar Senghor-ville ex Saint-Anne. La commune de Schoelcher sera débaptisée pour abolir les références françaises et se nommera désormais Jean-Jacques Dessalines-ville.

Une langue nous n'en avons pas. Nos dialectes oualof, malinké, mossi, yarouba ou ibo et tant d'autres ont fondu dans le vesou. Du latin de messe nous ne voulons pas. Le français et l'anglais, l'espagnol et le portugais sont trop tachés du sang des découvreurs d'amériques, des trafiquants d'esclaves, des colons épris du seul profit. Ne nous reste que notre maigre patois, le créole qui deviendra langue officielle lorsque nous aurons traduit et consigné à la Bibliothèque Nationale Schoelcher le Poème de Parménide et tous les textes philosophiques qui l'ont suivi, les manuscrits de la Mer Morte et les hiéroglyphes égyptiennes, les anthologies poétiques russe et chinoise, les droits anglo-saxon et romain, la littérature générale des nations avec l'assentiment de l'Académie Créole qui fixera peu à peu les règles et les usages de cette langue à inventer.

Une religion nous n'en avons pas sauf peut-être celle du rhum. Nous rejetons celle qui tenait la lance des conquistadores, celle qui tenait le fouet des gardes-chiourmes, celle qui tenait les édits des nations coloniales, celle qui nous tenait à genoux, pauvres gueux en haillons, devant le regard méprisant de quelque vieux missionnaire syphilitique et goutteux. Joseph Ratzinger et ses émissaires sont indésirables sur notre sol. D'ailleurs nous avons abandonné sur une yole en mer des Antilles évêque, moines, nonnes et porteurs de soutanes. Nous balayons toute fête chrétienne, simagrées et processions pour un culte laïque de l'humanisme nègre et nouveau. Nous trouverons bien un dieu et des anges à nos âmes tropicales dont la rémission des péchés sera accordée chaque année par décret gouvernemental. Seront détruits tous les lieux de cultes chrétiens, juifs et musulmans ainsi que les lieux de réunion et d'abrutissement des églises, sectes et confréries bigarrées qui croissent comme chiendent sur notre île.

Une volonté, nous n'en avons pas sinon d'incliner nos humbles existences à la nonchalance où nous invitent nos tropiques languissants. Une vision non plus, un destin encore moins. Nous aspirons à l'oubli et à la tranquillité, à la transparence des nations vierges de mémoire trouble, lucides sur leur dérisoire importance dans le pitt politique planétaire. Il faut réfléchir au destin des micro-nations insulaires. Nous nous soumettons à la loi infaillible de la dérive des continents et nous voguons avec notre flotte d'îles antillaises vers les môles d'Amérique centrale doucement poussés par les alizés. Mais pour ce qui est des alliances, des allégeances et des stratégies géopolitiques, nous hésitons encore entre le Nord et le Sud, entre l'austral et le boréal, et aussi entre l'Est et l'Ouest. Nous revendiquons la conscience et la volonté politiques respectables du pêcheur de bonite, du mangeur d'ignames et du coupeur de canne, tous grands buveurs de rhum. Nous serons vigilants à cette tribune des progrès des nations à s'entre-tuer joyeusement, des progrès politiques et économiques qui étranglent et saignent l'immense majorité de la planète dans l'indifférence et les pieuses résolutions de vos Comités permanents à la botte de quelques Etats hégémoniques. Mais daignez accorder l'oubli et le respect à cette Martinique, libre, loyale et naissante, dérivant insoucieuse sous l'éternel soleil des tropiques. Nous ne représentons aucun enjeu stratégique ou économique et aspirons à un destin pacifique sous la protection unanime des nations.





L'accession à l'indépendance n'a coûté la vie, rappelez-vous, qu'à une centaine de fûts de vieux rhum Clément. Nous avons nuitamment embarqué le 51 héliembre 258 sur deux ou trois cargos-bananier l'administration de la République française, dans les charivaris d'un soir de carnaval. Nous étant débarrassé sans peine des fièvres paludéennes tropicales, ce fut un jeu d'enfant d'éradiquer le fonctionnaire français, tropicalisé et arénicole, préfet et ronds-de-cuir, doryphores administratifs, hommes de loi et hommes de mains, militaires et parasites divers. Chaque fonctionnaire en activité, le mot est-il juste, s'est vu confisquer ses avoirs et ses biens acquis à user le sable de nos anses en échange d'une symbolique fleur d'hibiscus. Avant de quitter la rade de Fort-de-France, le Préfet français de l'ex département de Martinique s'est vu notifier le premier décret, promulgué par le Comité Insurrectionnel, à transmettre au Président de la République française :





Au nom du peuple martiniquais, libre, souverain et inaliénable, au nom de la mémoire rémanente de nos ancêtres des terres rouges d'Afrique noire, vol immobile de cendre des gypaètes mémorables, au nom de l'amnistie souhaitable et accordée des conquêtes, des annexions, des viols, des pillages, des évangélisations et des décervelages, au nom de l'amnistie souhaitable et accordée de tous les esclavages, de l'assujettissement indigne de la personne humaine, déclarons, ce jour, indépendante l'île de la Martinique. Les lois de la République Française sont abrogées. L'amnistie est décrétée pour tous les délits d'opinion, de maraudage et de vol, hormis les crimes de sang et les crimes contre-révolutionnaires soit les crimes de collaboration avec le régime français des classes politiques, intellectuelles ou économiques qu'un Tribunal insurrectionnel se chargera d'examiner. Nous procédons aux arrestations et incarcérations des suspects susnommés. Nous gelons les avoirs français et annexons les possessions de l'administration française, établissements publics, structures économiques, financières, militaires et sociales. Nous prolongeons pour une durée indéfinie les festivités du carnaval afin de mettre en œuvre le Gouvernement provisoire et décrétons la loi martiale.





Mesdames et Messieurs les membres du Conseil de sécurité et de l'Assemblée générale, nous avons dû prendre un certain nombre de mesures politiques propres à conduire notre pays vers un Etat de droit. Ont été dissous tous les partis politiques, les syndicats et chambres consulaires issus de l'ancien régime. Ont été assignés à résidence leurs représentants et en particulier la classe politique martiniquaise gravement compromise avec le pouvoir exécutif antérieur. Par ailleurs cette classe politique, courroie de transmission, corrompue, enrichie par le système précédent et trop soucieuse d'occuper les palais républicains français, ne représente pas le peuple martiniquais, ni la nouvelle dignité que nous souhaitons lui donner. Serons détruits les insultants Conseils départementaux et régionaux, obscènes édifices aux portes de nos bidonvilles. Le gouvernement provisoire s'installera dans un simple palais antillais de mahogani, d'acajou et de palissandre, clair et fleuri, qui sera édifié dans le quartier de Trénelle ou de Volga-plage en banlieue de Henri Christophe-ville ex Fort-de-France. Le statut particulier des premiers colons, ex-négriers, ex-planteurs, ex-mercenaires, d'installation sur l'île antérieure à la nôtre et aujourd'hui détenteurs du pouvoir économique réel, réunis sous le terme générique de békés a été examiné. Une alternative leur a été proposée, soit la confiscation sans recours des biens, titres ou avoirs et le cargo-bananier, soit l'assimilation et le financement de notre jeune démocratie. Nous les laisserons libres de conduire leurs affaires dès lors qu'ils respecteront les futures lois sociales fondées sur la dignité nouvelle du martiniquais et s'acquitteront de l'impôt particulier que nous leur fixerons. Nous supprimons pour les autres composantes du peuple martiniquais tout impôt, taxe et commissions. L'appareil de l'état sera réduit à l'essentiel, les structures allégées et humanisées, le train de vie modeste, ni faste, ni pompe tapageurs.

Un certain pragmatisme nous incline à reconnaître que notre pays ne possède aucune ressource hormis nos pêches désuètes, nos bananes subventionnées et nos champs de canne. L'indépendance que nous avons déclarée devra entraîner des révisions sévères des modes de vie du peuple martiniquais calqués à ce jour sur les modèles de consommation des pays productivistes occidentaux. Si le choix d'un modèle économique a de fait peu d'intérêt pour gérer la misère future, il nous faudra désormais regarder vers nos îles voisines de Sainte Lucie et de la Dominique pour juger de l'enrichissement que procure l'indépendance. Nos experts économiques nous suggèrent de diviser au moins par dix notre niveau de vie ce qui n'est rien pour ceux qui n'ont rien et peu pour ceux qui ont peu. Quant aux autres, les martiniquais ambiguës qui se sont enrichis des mannes de la République Française tout en revendiquant des aspirations identitaires, ils leur faudra choisir. Nous tenons encore pour eux des cargos-bananier. Notre île peut nous nourrir si nous développons une agriculture vivrière efficace, des pêches raisonnées et quelques plantations de canne pour notre breuvage national. Et a-t-on jamais vu un humble pêcheur martiniquais appeler le FMI pour régler ses dettes de rhum et assurer sa subsistance. Telle est la règle, messieurs, que nous imposerons à notre peuple debout, la réduction drastique des besoins sauf pour la consommation de rhum et la fornication. N'est pauvre sur notre île que celui qui se croit tel, tant que nous maîtriserons la croissance démographique ce qui est un vaste problème compte tenu de nos mœurs priapiques. Il nous faudra cependant trouver de nouvelles ressources. Nous décrétons l'impôt sur le soleil auquel sera soumis tout ressortissant chlorotique des pays à climat rigoureux qui viendra s'avachir sur nos sables lénifiants. Nos femmes seront tarifées et l'anthurium sera indexé sur le cours de l'or. Pour l'énergie nous remplacerons l'automobile par la yole collective et le cabrouet tiré par nos zébus. L'île est petite, on marchera à pied sous le soleil de notre pas nonchalant. Ainsi voici tracées quelques lignes directrices de notre économie future, de notre misère future, noble et élégant prix à payer de l'indépendance dont nous mesurons les conséquences.

Nos forces armées navales, terrestres et aériennes sont composées de 50 yoles de nos arsenaux, d'un vieux canon rouillé récupéré à Césaire-ville dans les cendres de la Pelée, de 4 compagnies de 200 pêcheurs, charbonniers des mornes et repris de justice amnistiés, tous enrôlés de force et armés de coutelas mal aiguisés ainsi que d'un cerf-volant d'observation. Mais nos principales forces sont les blandices de nos femmes martiniquaises, altières et voluptueuses, et les cris des manmailles de crève-la-faim, et le souffle cyclonique des dieux des Houassas, des Yoroubas, du Songhai, du Bornou, du Kanem, d'Achanti, du Djoukoun, du Yatenga, du Chillouk, du Royaume des Lacs, des Mossis et des Xhosas, et les flots torrentueux du Congo, du Zaïre et du Zambèze, et le chant lancinant des esclaves du Haut-Nil, et la puissance des sèves, des énergies naïves du Nouveau-Monde, et le tocsin des nouvelles nations libres sur les cendres fumantes des vieilles civilisations.

Le gouvernement provisoire proposera par référendum une constitution au peuple martiniquais. Celui-ci choisira librement l'approbation ou le cargo-bananier. Nous souhaitons que s'exprime l'opposition mais si possible d'exil, des Comores ou de Nouvelle-Sibérie par exemple. Car nous imposerons la liberté au peuple martiniquais par la force s'il le faut.



Mesdames et Messieurs, éminents représentants des Nations à l'assemblée générale de l'Organisation des Nations Unies, la République Indépendante de la Martinique vient ce jour vous demander un blanc-seing pour l'histoire. Nous ne souhaitons aucune intervention des institutions spécialisées, FAO, OMS, UNESCO, OIT, FMI et Banque mondiale, ni du Conseil de sécurité, ni de la Cour internationale de justice, tous mandrins et larrons qui ont prouvé par le passé leur inconséquence et leur partialité dans les résolutions qu'ils ont prises et surtout dans celles qu'ils n'ont pas prises. Vous avez devant vous une jeune nation en gésine, une république affranchie, libre et farouche de nonchalance. Pour combien de temps, il appartient à vos consciences déjà bien noires d'en décider. Comme gage de notre adhésion volontaire nous proposons au Secrétariat général de l'O.N.U., M Toussaint Joseph-Rose, 89 ans, pêcheur de crabes aux pieds nus à Marigot, une composition florale délicate de nos plus belles espèces et cinq barriques de rhum vieux de nos meilleures caves.



Nous conclurons par la lecture de ces quelques lignes d'Aimé Césaire



... j'avais amené ce pays à la connaissance de lui-même,

familiarisé cette terre avec ses démons secrets

allumé aux cratères d'hélodermes et de cymbales

les symphonies d'un enfer inconnu, splendide parasité de nostalgies hautaines...



je me tourne à nouveau vers le vent inconnu sailli de poursuites.

je m'en vais

L'Afrique dort, ne parlez pas, ne riez pas. L'Afrique saigne, ma mère

L'Afrique s'ouvre fracassée à une rigole de vermines,

à l'envahissement stérile des spermatozoïdes du viol.



ô morts sans caveçon

je bâtirai de ciel, d'oiseaux de perroquets, de cloches, de foulards, de tambour, de fumées légères, de tendresse furieuses, de ton de cuivre, de nacre, de dimanches, de bastringues, de mots d'enfants, de mots d'amour

d'amour de mitaines d'enfants

un monde notre monde

mon monde aux épaules rondes

de vent de soleil de lune de pluie de pleine lune

un monde de petites cuillers

de velours

d'étoffes d'or

de pitons de vallées de pétales de cris de faon effarouché

un jour ...



Un pays d'anses de palmes de pandanus... un pays de main ouverte ..



J'ai choisi d'ouvrir sur un autre soleil les yeux de mon fils...



Liberté, liberté,

j'oserai soutenir seul la lumière de cette tête blessée.



J'ai acclimaté un arbre de soufre et de laves chez un peuple de vaincus

La race de terre la race par terre s'est connu des pieds

Congo et Mississipi coulez d'or

coulez du sang

la race de terre, la race de cendre marche

les pieds de la route explosent de chiques de salpêtre...



Les cannes à sucre nous balafraient le visage de ruisseaux de lames vertes...



Est ce toi Colomb ? Capitaine de négrier ? Est-ce toi vieux pirate vieux corsaire ?



Ah, vous ne partirez pas que vous n'ayez senti la morsure de mes mots sur vos âmes imbéciles

car, sachez-le, je vous épie comme ma proie...

et je vous regarde et je vous dévêts au milieu de vos mensonges et de vos lâchetés

larbins fiers petits hypocrites filant doux

esclaves et fils d'esclaves

et vous n'avez plus la force de protester de vous indigner de gémir

condamnés à vivre en tête à tête avec la stupidité empuantie sans autre chose qui vous tienne chaud au sang que de regarder ciller jusqu'à mi-verre votre rhum antillais...

âmes de morue.



salvum fac civitatis fundatorem

salvum fac libertatis aedificatorem



Orgie, orgie, eau divine, astre de chairs luxueuses, vertige

îles anneaux frais aux oreilles des sirènes plongées

îles pièces tombées de la bourse aux étoiles



grouillement de larves, talismans sans valeur

îles

terres silencieuses

îles tronquées.



Mesdames, Messieurs, salut, tenez bien raide, ne mollissez pas.







New York, le 158 Héliembre 259






Thierry CAILLE



Connexion utilisateur

CAPTCHA
Cette question sert à vérifier si vous êtes un visiteur humain afin d'éviter les soumissions automatisées spam.

Pages