Accueil
Aimé CESAIRE
Frantz FANON
Paulette NARDAL
René MENIL
Edouard GLISSANT
Suzanne CESAIRE
Jean BERNABE
Guy CABORT MASSON
Vincent PLACOLY
Derek WALCOTT
Price MARS
Jacques ROUMAIN
Guy TIROLIEN
Jacques-Stephen ALEXIS
Sonny RUPAIRE
Georges GRATIANT
Marie VIEUX-CHAUVET
Léon-Gontran DAMAS
Firmin ANTENOR
Edouard Jacques MAUNICK
Saint-John PERSE
Maximilien LAROCHE
Aude-Emmanuelle HOAREAU
Georges MAUVOIS
Marcel MANVILLE
Daniel HONORE
Alain ANSELIN
Jacques COURSIL

Présentation de "Mythologie du vivre-femme" de Corinne Mencé-Caster par Dominique Aurélia

Présentation de "Mythologie du vivre-femme" de Corinne Mencé-Caster par Dominique Aurélia

   Vendredi 22 avril dernier, le récent ouvrage de Corinne MENCE-CASTER, "Mythologies du vivre-femme" éditions Persée (Paris) a été présenté au Centre nautique des Anses d'Arlets, à l'invitation du service culturel de cette ville, par Dominique AURELIA, maître de conférences en Etudes anglophones à la faculté des Lettres et Sciences humaines de l'Université des Antilles. Le public était venu en nombre.
   Voici le texte de sa communication...

Mythologies du vivre-femme

Essai sur les postures et impostures féminines (Corinne Mence-Caster)

 

Professeure des universités, agrégée d’espagnol, titulaire d’une habilitation à diriger des recherches en traductologie et linguistique hispanique, Corinne Mencé-Caster est présidente de l’université des Antilles depuis 2013. Auteure de plusieurs ouvrages dont Langage et représentation du monde dans La Célestine (2008), Penser l’entre-deux. Entre hispanité et américanité, (2005). Aide-mémoire de grammaire espagnole, (2005), Un roi en quête d’auteurité (2011), elle écrit aussi de la fiction sous le pseudonyme de Mérine Céco: La mazuka perdue des femmes-couresses (2013), Au revoir Man Tine (2016).

Mythologies du Vivre-femme, Essai sur les postures et impostures féminines est une œuvre qui oscille entre l’étude savante et la réflexion militante.

Si l’on procède à un bref état des lieux des publications sur la question aux Antilles, on relèvera un certain nombre d’ouvrages sur la notion de famille et de masculinité mais bien peu sur la femme antillaise. On peut citer les articles et ouvrages auxquels l’auteure fait référence :

- Myriam Cottias «  la séduction coloniale : damnation et stratégie des femmes antillaises 17ème et 19ème siècles », 2001

-De l’esclave à la femme poto-mitan : mariage et citoyenneté dans les Antilles françaises 17ème et 19ème siècles ,2002

-L’ouvrage collectif dirigé par Sylvie Octobre  « Pratiques culturelles, production des identités et questionnement des frontières de genre »paru en 2014.

On peut s’interroger sur cette quasi -absence de travaux relatifs à cette question mais aussi y dénoter en préambule, une sorte de fixation de certaines constructions et de certains concepts tels la matrifocalité et la  femme potomitan. Car, si on peut considérer ces problématiques dépassées, elles sont bien à l’œuvre dans les sociétés antillaises du 21ème siècle, comme le démontre Mencé-Caster tout au long de son étude.

Il s’agit donc pour l’auteure qui parle à partir de son lieu (la société martiniquaise) de constater, de dénoncer, d’écorcher de vieux stéréotypes, de déchiffrer des postures qui dérivent vite en impostures pour énoncer de nouvelles pistes afin que naissent les voix des femmes.

L’ouvrage se décompose en 3 chapitres:

-Genre, discours féministe, féminin

-Repenser le rôle social des femmes

-Le monde au féminin: entre vécu et mythologies

Je propose d'examiner quelques concepts que l'auteure utilise tel que celui du genre qui est un concept issu des sciences humaines et sociales pour affirmer l'importance de l'environnement social et culturel dans la construction de l'identité sexuelle de chacun. En effet, au moment de l'enfance nous ne faisons pas qu'apprendre notre appartenance à l'un des deux sexes. Nous intégrons aussi--souvent de manière implicite--les valeurs et les rôles sociaux associés par les adultes à cette appartenance. : Je "joue aux petites voitures et non à la poupée" parce que je suis un garçon. Je "joue à la poupée et non aux petites voitures" parce que je suis une fille. Construites très tôt au cours du développement mental, de telles associations conduisent à la fois à une identité sexuelle (perception d'être soi-même de genre masculin ou féminin) et à des "rôles de genre" qui contrairement au sexe biologique sont socialement et culturellement construits. De ce fait, les rôles de genre et l'identité sexuelle (ou identité de genre) permettent à l'âge adulte la reproduction de certaines inégalités inscrites de longue date entre hommes et femmes, aujourd'hui encore en matière par exemple de salaire, d'accès à certaines professions et à certains statuts. Et c'est bien là tout le problème et aussi tout l'intérêt des travaux consacrés depuis une soixantaine d'années aux "constructions genrées" et aux "rapports de sexe" sous l'impulsion historique des "études de genre" ("gender studies") inspirées notamment de Simone de Beauvoir--et de son célèbre "On ne naît pas femme, on le devient". Il ne s'agit pas de nier les différences biologiques entre hommes et femmes, mais de dévoiler l'origine éminemment sociale et donc le caractère en réalité arbitraire de l'inégalité des sexes dans de multiples domaines.

A la lumière de cette question Corinne Mencé -Caster s'interroge:

« La question, jugée sans doute pernicieuse par certains, que pose le genre est la suivante : sur quoi se  fonde-t-on pour déclarer, par exemple, que les femmes sont faites pour le gouvernement domestique et les hommes pour la guerre ? (p.34)

Puis elle aborde la question du genre dans les territoires ayant subi l'esclavage et la colonisation. Existe-t-il un machisme propre aux sociétés créoles ou plus largement aux sociétés post-coloniales? Peut-on parler d’un universalisme des théories féministes au regard de la position des femmes noires aux Etats-Unis et dans la Caraïbe ?

Pour répondre à cette question l'auteure examine le Black Feminism aux Etats-Unis, désignation apparue dès 1833 avec la création de la Female Anti-slavery Society.

Cette question de la catégorisation de la femme noire a été réactivée dans les années de revendication des droits civiques aux Etats-Unis. En effet, elle souligne la nécessité, dans les sociétés post-esclavagistes, de penser les relations homme (noir)/femme (noire) pas uniquement en termes de sexe mais aussi de race (Blancs versus Noirs).

Le même questionnement est à l’œuvre dans le débat des femmes musulmanes et de la problématique du voile.

Quand religion et identité s’articulent de manière intime et sont perçues par d’autres femmes comme une forme déguisée du patriarcat, comment les femmes musulmanes « occidentales » perçoivent-elles le nous des autres féministes sinon comme exclusif sinon excluant ?

La question se complexifie lorsque Corinne Mencé-Caster met en évidence la notion de « féminité pieuse » à la lumière des travaux de Christine Delphy et de Claire Donnet:

« [..] La construction de la « féminité pieuse » n’est pas incompatible avec ce qui pourrait se définir, chez elles, comme une forme de féminisme, dans la mesure où elles s’efforcent de tendre vers un modèle de femme musulmane, instruite, libre et prête à revendiquer la place qui lui revient dans le couple et la société. Au lieu d’apparaitre comme un instrument d’oppression qui les empêche d’exprimer leur beauté, leur sensualité, et ce faisant, leur liberté, la hijab est revendiquée comme un accessoire de mode, au service d’une relation particulière de la croyante avec son Dieu. » (p44-45)

 

Dans le chapitre 2, l’auteure explore avec une grande acuité un aspect de la question de la construction de la masculinité dans les sociétés européennes et antillaises.

Certains chercheurs mettent en évidence les modalités de la construction de la masculinité en Occident montrant comment elle est fondée sur la notion de la virilité (force physique, maitrise des émotions etc). Des mutations se sont opérées au fil du temps avec les revendications des mouvements féministes qui ont redéfini les rôles et les rapports sociaux de sexe induisant une crise de la masculinité et même une "émasculation "des hommes :

« Il semblerait que la « crise de la masculinité »puisse s’appréhender comme l’ébranlement des valeurs traditionnelles, fondatrices d’une masculinité, enracinée dans une virilité intangible » (p.63)

Qu'en est-il de cette masculinité dans les sociétés antillaises si on prend en compte le contexte de l'esclavage et de la colonisation?

On peut considérer, selon l’auteure qui s’inspire des travaux de Myriam Cottias que la "dévirilisation " que subissent les hommes occidentaux aujourd'hui est au fondement de la construction de la masculinité des esclaves.

Dans un article publié en 2009 et intitulé "Redevenir un homme en contexte antillais post-esclavagiste et matrifocal" Stéphanie Mulot explique que l'importance attribuée à la conquête des femmes et aux exploits sexuels prend sa source dans le vécu de l'esclavage, les esclaves n'ayant qu'un statut d'amants occasionnels, le maitre étant le seul homme en titre.

« Il importe » ajoute Corinne Mencé-Caster, «  de prendre en compte les contraintes fortes auxquelles répondaient, au sein de l’habitation-plantation, les formes de relations sexuelles entre esclaves : étreintes furtives et angoissées, sourdes et mal maitrisées, frustrations » (p.67)

Faisant référence aux termes créoles qui désignent le fait d’avoir un rapport sexuel, fortement connotés de violence et de lutte : « koké,piné,gréné,fouré,raché,krasé,zayé,déchiré,manjé,fannli,batli, bay an kou baton »(p67)

On en conclut que la femme antillaise apparait alors dans de telles images comme une adversaire à soumettre et à battre plus qu’une partenaire à honorer ou un corps à aimer.

Dévirilisation/ revilirisation

La reconquête de cette dévirilisation historique s'opère dans les cultures urbaines, à travers  les scènes de clips fortement sexualisées et très transgressives (drogue, alcool, soumission sexuelle des femmes).

Toutefois, selon Roger Cantacuzène "modèles d'éducation, virilité ostentatoire et déficit d'expression de l'intime dans la construction sociale de la masculinité en Martinique" (2013), on peut constater une évolution des mentalités masculines aux Antilles sans doute liée aux discours de contestations féministes, à la mondialisation qui propose d’autres modèles. Ce changement de comportement se traduit dans leur investissement dans la fonction de père et de compagnon, de la distance critique que ces « nouveaux pères » montrent par rapport aux comportements de leurs pères (multipartenariat, errance sexuelle).

Cependant, pour Mencé-Caster, la déconstruction réelle de cette masculinité (virilité/ puissance/ autorité) est toujours en gestation et se complique en raison de l’imaginaire de la « matrifocalité » toujours bien prégnant, bien ancré dans les sociétés antillaises.

Pour étayer ses propos, l’essayiste se fonde sur les ouvrages de Gracchus les lieux de la mère (1986) et de Livia Lésel le père oblitéré (2003). La mère focale et le père absent sont des images constantes et élaborées au fil d’une histoire particulière et réactivée dans chaque famille par le biais de l’éducation. Selon Lésel, le père, dans les sociétés antillaises, est toujours représenté par la mère de manière dévalorisante et négative .Ainsi les femmes sont-elles inconsciemment figées dans la posture de la maternité sacralisée, détentrices d’un pouvoir castrateur qui les maintiennent dans la représentation de la femme/mère et les éloignent du pouvoir politique. Elles vont donc illustrer et perpétrer cette représentation à travers leurs rapports à leurs brus (épouse et maitresse) en incitant la légitime à adopter un comportement « maternel » avec leurs fils / époux. Et l’auteure de faire le constat que :

« Dans les sociétés antillaises, le primat de l’identité maternelle attribuée aux filles tend à les enfermer dans une vision de la féminité, fortement circonscrite par la maternité ». (p101)

 

Existe-t-il un discours féminin/ féministe identifiable hors la victimisation ?quelles réponses offrent les écrivaines antillaises?

Malgré l’expression féminine remarquable des écrivaines et femmes de lettres dès le début du 20ème siècle, Suzanne Roussi-Césaire, Paulette et Jane Nardal, Suzanne Lacascade, on peut parler d’un féminisme empêché lorsqu’en 1963 Paulette Nardal écrit:

«  Césaire, Damas, Senghor se sont accaparés des idées que nous avions forgées en les exprimant avec plus d’éloquence et de brio. Nous étions des femmes, certes, mais de véritables pionnières. Nous leur avons indiscutablement tracé la voie » (p86)

Ainsi la question du féminisme reste problématique en dépit de la contestation de l’image toute puissante de la femme-mère véhiculée par des écrivaines contemporaines comme Maryse Condé, Gerty Dambury, Térèz Léotin, Gisèle Pineau, Suzanne Dracius, Nicole Cage, Fabienne Kanor, Mérine Céco.

 

Dans le dernier chapitre consacré au « monde au féminin », l’auteure traite de la question du management au féminin. (On ne peut s’empêcher de penser que cette question est d’autant plus pertinente qu’elle fait écho à sa fonction de présidente d’université bousculée et perturbée parce que perçue comme un management féminin.)

L’auteure démontre que, parce que les femmes, dans l’espace domestique, sont habituées à manager des conflits, à animer une équipe qui n’est autre que leur propre famille, elles peuvent s’avérer très performantes pour mettre du lien et transcender les tensions par l’anticipation et la conciliation dans la sphère publique.

Les femmes doivent donc accepter de ne pas s’auto-censurer, de cesser de rassurer les hommes en déployant la stratégie de la muliérité ou muliébrité définit par Pascale Molinier comme un système de défense développé par les femmes, visant à nier la réalité de la domination qu’elles subissent et à donner l’impression que le socle sur lequel repose la féminité sociale n’est pas menacé. Cette posture/imposture est illustrée par le comportement  des chirurgiennes qui doivent maitriser le geste chirurgical de précision perçu comme « viril ». En effet,  ces femmes développent une stratégie de « féminité mascarade » pour éviter l’agressivité et l’hostilité de leurs confrères en les rassurant sur leur féminité par une touche de maquillage avant d’entrer dans la salle d’opération où elles seront toutes-puissantes.

En conclusion, comment faire émerger une réelle égalité, parité sinon par une « révolution » sociétale, par une nouvelle approche des attributs constitutifs de la féminité et de la masculinité ? Corinne Mencé-Caster appelle à l’instauration d’une véritable réflexion publique à l’instar des sociétés suédoise ou encore italienne.

En fin d’ouvrage, elle propose un carnet de mythologies qu’elle défait et reconstruit afin que se déroule une vraie parole des femmes pour les femmes et pour les hommes car rappelle-t-elle, citant Anastasia Meidan :

«  Le monde est la parole de l’homme. L’homme est la parole du monde. Qui parle dans les gros livres sages des bibliothèques ? Qui parle au Capitole ? Qui parle au temple ? Qui parle à la tribune et qui parle dans les lois ? »

Tel est le cœur du présent ouvrage, dont la pertinence intellectuelle mérite d’être soulignée : réexaminer les modalités d’entremêlement des perceptions traditionnelles et des constructions sociales actuelles pour faire surgir un véritable débat.

 

Image: 

Connexion utilisateur

CAPTCHA
Cette question sert à vérifier si vous êtes un visiteur humain afin d'éviter les soumissions automatisées spam.