A l’heure où notre pays la Martinique traverse une crise sans précédent, crise économique, sociétale, écologique, culturelle, à l’heure où elle est menacée par une véritable « bombe démographique » puisque nous sommes le plus vieux « département » de l’ensemble français et que le taux de renouvellement des générations n’est même plus assuré, la question du mariage homosexuel peut paraître secondaire, voire même dérisoire.
Sauf que la Martinique a voté à 70% en janvier 2010 contre ce que la journaliste Lisa David appelle joliment « une poussière d’autonomie » et que nous sommes donc bien obligés de participer aux débats franco-français. Demain, les maires martiniquais seront bel et bien obligés de marier des homosexuels sous peine d’amendes. Ce qui n’est pas le cas des maires saint-luciens, barbadiens, trinidadiens ou grenadiens. Mais, répétons-le, c’est nous et personne d’autre qui l’avons voulu. Il faut savoir assumer ses choix !
Donc la question du mariage homosexuel a été mise sur la table en France et Christiane Taubira, la ministre de la justice, d’origine guyanaise pour ceux qui tendraient à l’oublier, est de par ses fonctions celle qui mettra en œuvre cette véritable révolution du Code civil français. Nous sommes donc sommés, que nous le voulions ou non, de prendre position quand bien même, comme nous l’avons dit, ce n’est pas une question ni urgente ni fondamentale pour la Martinique. Le fait qu’une étude scientifique ait démontré la semaine dernière que le chlordécone ait des effets nocifs sur la croissance des nourrissons devrait, par exemple, nous préoccuper davantage. Mais bon…
Pour ma part, je suis entièrement favorable à cette évolution dans la mesure où elle vise à faciliter la vie de centaines de Martiniquais et de Martiniquaises contraints de se cacher, de dissimuler leur orientation sexuelle et donc de vivre une vie entière de souffrance. D’ailleurs, faut-il rappeler que notre bonne vieille société créole a toujours été plus tolérante envers ce qu’elle appelle les « makoumè » et les « zanmi » (lesbiennes) que son alter ego européen ? Qui ne se souvient pas que dans son quartier, sa commune ou son lieu de travail, il y a toujours eu une de ces personnes que traditionnellement on moquait mais sans insultes ni violence ? Certes, c’était avant que la mondialisation ne rattrape la Martinique, disons avant les années 80 du siècle dernier.
Avant que le rap, le ragga, le dance-hall ne déferlent sur notre île et embrigadent notre jeunesse. Avant que ces musiques ne prostituent l’image de la femme noire dans des clips obscènes, dégradants et odieux tout en diffusant un message virulemment homophobe.
Monsieur le maire du Vauclin se déclare opposé au mariage homosexuel et annonce qu’il ne mariera pas ce genre de couples, cela au nom de dieu ou de la religion, ai-je cru comprendre. Fort bien ! Mais s’est-il jamais une seule fois ému de ces milliers de clips qui déferlent sur nos écrans à longueur de journée et qui montrent les femmes noires dans des postures pornographiques ? S’est-il interrogé sur l’image que cela donne de nos femmes dans le reste du monde ? Car, soyons clairs, je suis loin, très loin d’être puritain ou féministe. Ce qui me gêne dans cet étalage de seins dénudés, de fesses remuées, de simulacres de fornication que donne le rap ou le dance-hall, c’est le fait que ce soit uniquement les femmes noires qui s’exhibent. J’imagine un Japonais, un Indonésien, un Turc, Un Péruvien, un Polonais ou Vietnamien devant sa télé en train de regarder pareil spectacle. Que doivent-ils penser de nous ? Que doivent-ils penser de la femme noire ? Bien évidemment, ces musiques n’ont pas le monopole de la pornographie, mais force est de constater, en comparant simplement les clips de rap avec les clips vietnamiens, polonais, indiens, japonais ou chinois que ces derniers n’atteignent jamais un tel niveau de bassesse et de vulgarité.
Monsieur le maire du Vauclin et tous ceux qui pensent comme vous, pourquoi cette entreprise de prostitution de la femme noire n’a-t-elle jamais choqué vos si rigides principes religieux ?
EVOLUTION
Le mariage homosexuel est une évolution positive vers plus de tolérance envers ceux qui divergent de l’orientation sexuelle majoritaire à savoir les hétérosexuels. Une société se juge au sort qu’elle réserve à ses minorités qu’elles soient sexuelles, raciales, religieuses ou autres. Il n’y a aucune raison que des personnes du même sexe puissent habiter ensemble, se marier ou avoir des enfants par procréation assistée. D’aucuns diront que la cellule familiale père-mère est indispensable au bon équilibre psychologique de l’enfant et que deux parents du même sexe risquent de le perturber. Laissez-moi rire ! Oublie-t-on que depuis toujours en Martinique, il y a une bonne moitié, sinon davantage, d’enfants qui sont élevés sans père dans des familles dites monoparentales, enfants qui n’ont jamais connu la fameuse « figure du père » chère à la psychanalyse ? Sont-ils tous devenus pour autant des aliénés mentaux, des névrosés ou des voyous ? Quand on voit le nombre d’enfants sans père qui sont devenus avocats, médecins, pharmaciens ou politiciens, on peut en douter. D’ailleurs, beaucoup de pourfendeurs de l’homosexualité sont des géniteurs d’enfants sans père, d’ « enfants-dehors » comme on dit en créole, et cela ne les a jamais empêchés de dormir sur leurs deux oreilles. Ces messieurs se préoccupent donc du sort des enfants élevés par des parents du même sexe mais ne se préoccupent pas de savoir si l’équilibre psychologique de leurs enfants-dehors ne sera pas perturbé du fait d’avoir été élevés par des femmes seules. Arrêtons cette hypocrisie ! Je ne suis ni psychologue ni sociologue mais j’incline à penser que ce véritable désastre qu’est la jeunesse masculine martiniquaise depuis une trentaine d’années provient de là. Et les femmes seules n’en sont absolument pas responsables. Les responsables sont ces hommes, hétérosexuels donc, qui les ont mis dans l’état de femmes seules ! Les chiffres sont accablants : 1è année d’université 30% de garçons, 2è année 20%, 3è année 10%. Apparemment cela ne trouble pas non plus le sommeil de nos pourfendeurs de l’homosexualité et du mariage homosexuel.
METHODE
Par contre, les défenseurs de l’homosexualité en Martinique font, à mon humble avis, fausse route de par les méthodes qu’ils utilisent, toutes calquées sur celles qui ont cours en Europe et aux Etats-Unis. Au lieu de convier des historiens, des anthropologues, des sociologues et des psychologues martiniquais à étudier l’image de l’homosexualité au sein de notre culture créole, ils s’emploient à plaquer des discours occidentaux sur notre réalité et à organiser des réunions ou des manifestations « copiées-collées » depuis Paris, Amsterdam, ou New-York. Attitude parfaitement contre-productive qui risque de braquer la population et ne peut que nuire à une cause juste. Nous pâtissons déjà de 390.000 hétérosexuels aliénés, assimilés, les 10.000 homosexuels ne vont tout de même pas s’embarquer dans cet assimilationnisme affligeant !
Un exemple : la « Gay Pride ». Il semblerait qu’ils veuillent en organiser une en Martinique. Je leur dis très simplement : « Vous êtes fous ! Vous allez vous tirer une balle dans les pieds ! ». Pourquoi ? Parce que, messieurs-dames, si vous aviez pris le temps d’étudier notre culture créole au lieu de chercher à nous imposer une manifestation venue d’ailleurs, vous sauriez qu’une « gay pride », une sorte de « gay pride », existe déjà à la Martinique ! Eh oui, durant les quatre jours du carnaval, du dimanche gras au mercredi des cendres, il y a des centaines de carnavaliers masculins qui se déguisent en femme et qui défilent dans les rues à visage découvert. Conclusion : si jamais vous organisez une « gay pride » à la Martinique, elle sera immanquablement confondue avec ces hommes déguisés en femme lors carnaval et là, vous obtiendrez l’effet inverse de ce que vous recherchez. Pourquoi ne solliciteriez donc vous pas des anthropologues, des sociologues et des psychologues pour analyser ce phénomène d’hommes se déguisant en femmes et y prenant de toute évidence un plaisir intense ? Et avec les résultats apportés par ces études, pourquoi n’inventiez-vous pas des formes spécifiques de manifestation pro-homosexuelle ? Des manifestations adaptées à notre culture et à notre mentalité créoles. Pourquoi chercher à reproduire à l’identique ce qui se fait en Europe ou aux Etats-Unis ?
ECHEC
On le voit donc des deux côtés de la barrière__anti-homosexuels et pro-homosexuels__il y a un problème. Ce dernier est le symptôme de notre impuissance à nous regarder et à nous accepter tels que nous sommes. Notre impuissance à faire peuple. Et cela parce que nous refusons d’assumer notre histoire ainsi que la langue et la culture qui en sont issues. Car enfin de quel Dieu parlent nos pourfendeurs du mariage « gay » ? Du Dieu chrétien que l’on a imposé à coups de fouet à nos ancêtres africains, indiens, chinois et autres ? Il suffit par exemple de parcourir le « Nouveau voyage aux isles de l’Amérique » du père Labat pour constater la hargne avec laquelle les premiers colons se sont attelés à détruire ce qu’ils appelaient des « fétiches ».
La question de l’homosexualité en Martinique ne saurait faire l’impasse sur une étude approfondie de ce phénomène au sein de notre histoire tri-séculaire et de notre culture. La défense de la minorité homosexuelle ne peut être efficace qu’en inventant des modes d’intervention qui nous sont propres, pas en « copiant-collant » l’Autre. Toute autre voie est vouée à l’échec.
La lutte antre anti-homosexuels assimilationnistes et pro-homosexuels assimilationnistes ne m’intéresse pas…
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