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Le billet du jour

PETIT LEXIQUE DE LA VIOLENCE VERBALE DU PPM

PETIT LEXIQUE DE LA VIOLENCE VERBALE DU PPM

   Comme dans toutes les enceintes politiques de par le monde, les hémicycles des conseils général et régional de la Martinique ont toujours été le lieu de joutes verbales sans concessions, parfois féroces, d’autres fois homériques. Cependant, il est à noter qu’aucune joute physique ne s’y est jamais produite comme on en voit de temps à autre aux parlements japonais, bulgare, ukrainien ou mexicain. Personne ne s’y flanque de gifles ni ne balance de dossier, voire pire, de chaise, à la figure de ses opposants. Aucune bagarre générale n’a jamais eu lieu ni à l’Avenue des Arawaks ni à Plateau Roy comme on en a pu voir de tristes exemples dans certains pays, pourtant pas forcément les plus pauvres ni les plus déchirés par des conflits ethniques ou religieux.

   Ce constat signifie-t-il pour autant que nos conseillers généraux et régionaux seraient, toutes tendances confondues de gentils garçons et de charmantes dames parfaitement respectueux (-ses) de leurs adversaires et donc des règles de la démocratie ?

Il n’en est bien évidemment rien.

Simplement deux raisons expliquent que jusqu’à il y a trois ou quatre ans une relative sérénité régnait lors des réunions de nos deux assemblées locales. Tout d’abord, ces élus, quoiqu’ils affichent, savent pertinemment que leur pouvoir est limité, voire très limité, dans un état jacobin au sein duquel malgré la décentralisation, l’Etat, à travers ses services déconcentrés, demeure très présent. Des analystes tels qu’Edouard Glissant ont été jusqu’à qualifier notre personnel politique d’ « élites de représentation » ne servant qu’à masquer et donc à justifier un système colonial qui a dû s’adapter à la modernité. Outre, ce pouvoir limité, nos élus ont toujours été dans le mimétisme de leurs collègues de l’Hexagone chez qui la respectabilité ou l’apparence de respectabilité fait partie de la panoplie du parfait élu local ou national : costume-cravate, voiture de fonction, français fleuri, sourire-Colgate de rigueur et tutti quanti. Certes, quelques élus nationalo-indépendantistes sont venus parfois chahuter ce consensus, mais pas au point de le détruire, se contentant, par exemple, de délaisser le costume-cravate pour la chemise à manche longues ou la guayabera. Ou encore de parsemer leurs discours en français d’expressions ou de proverbes en créole.

   Or, depuis l’accession de la nouvelle majorité PPM au pouvoir à la Région, il y a quatre ans, tout cela a radicalement changé. L’équanimité habituelle des plénières a volé en éclats et le langage s’est subitement débridé pour atteindre, chez certains, des sommets dans la violence verbale, cela tant en français qu’en créole. Les éclats de voix, les interruptions brutales de celui qui a la parole, les insultes et même les doigts d’honneur (Camille Chauvet, conseiller régional PPM) sont devenus monnaie courante.

Examinons un certain nombre de termes qui constituent ce langage d’une violence sans précédent  employé par le PPM dans l’enceinte de nos assemblées locales.

   __ « Monsieur-dos-d’âne » : surnom se voulant comique attribué au chef de l’opposition, Daniel Marie-Sainte, ingénieur de formation dont la compétence est unanimement reconnue et pour cause puisqu’il a fait quasiment toute sa carrière dans la ville-capitale, plus précisément à la mairie de Fort-de-France à l’époque d’Aimé Césaire. Ce surnom a émané de l’irritation qu’éprouve la majorité régionale chaque fois que DMS pointe du doigt une erreur ou une anomalie dans un dossier technique soumis aux conseillers régionaux.  Erreur ou anomalie, mais aussi et surtout élément suspect comme dans l’affaire de l’attribution du marché des enrobés (construction et entretien des routes).

   __ « Yich méchan » : expression utilisée en plénière par un président de Région, Serge Letchimy, visiblement hors de lui et dont la forme complète est « sé  pa an sel yich méchan an manman ka fè » autrement dit « Une mère ne met jamais au monde un seul enfant méchant ». Cette expression, qui peut paraître obscure dans notre société décréolisée d’aujourd’hui, signifie que lui, le Président de Région, peut parfaitement sortir de sa fonction et faire le coup de poing avec l’adversaire. D’ailleurs, dans cette séquence, il continue à s’adresser à un conseiller de l’opposition en lui lançant « Sé lè ou lé, la ou lé ! » (C’est quand tu veux, où tu veux !). Cette rodomontade, digne d’un petit « major » de cour de récréation, a été dûment filmée et circule en boucle sur le Net.

   __ « Chien abiyé an moun » : cette expression inédite qui signifie « Chiens habillés comme des êtres humains » a été utilisée lors d’une crise de colère mémorable de Catherine Conconne, 1è vice-présidente du Conseil régional, et cela encore et toujours dans l’enceinte de la collectivité, à l’encontre des élus du groupe dit des « Patriotes » c’est-à-dire de l’opposition, majoritairement composée d’élus du MIM (Mouvement Indépendantiste Martiniquais). Il faut savoir que dans l’histoire antillaise, le chien, chasseur d’esclave, a été très longtemps et même après l’abolition, l’animal le plus honni. En créole, quand on veut dire à quelque « Espèce de salaud que tu es ! », on lui lance « Sakré chien ki ou yé ! ». D’ailleurs, une saloperie se dit « an kout chien », littéralement « un coup de chien ». L’insulte donc de C. Conconne n’est donc pas anodine du tout. Elle ne rejette pas seulement l’opposition dans l’animalité, elle l’assimile aussi aux…chasseurs d’esclaves, c’est-à-dire aux esclavagistes d’autrefois !!!

 

   __ « Vermine à karchériser » : cette expression a été utilisée sur sa page Facebook par le conseiller régional du PPM, Camille Chauvet, à l’encontre de la présidente de l’Université des Antilles, coupable, aux yeux du PPM d’une machination machiavélique inouïe. A savoir : faire venir la Cour des comptes à l’Université des Antilles en 2011 afin qu’il constate un déficit de 10 millions d’euros dans la comptabilité de celle-ci (alors même qu’à l’époque elle n’était qu’une simple enseignante), ensuite se faire élire présidente de l’Université des Antilles en 2013, puis porter plainte contre le CEREGMIA en 2014 et suspendre ses deux dirigeants, Fred Célimène et Kinvi Logossah, tout cela dans le but d’obtenir la 2è place sur la liste que conduira le MIM aux élections pour la Collectivité unique en 2015 !!! Bref, un complot réalisé sur 4 années, si on comprend bien digne de Machiavel. Ce scénario est tellement grotesque qu’il ne fait même plus rire. Toujours est-il que voir un conseiller régional traiter une présidente d’université de « vermine » et menacer publiquement (sur Facebook) de la « karchériser », se servant, chose révélatrice pour un élu soi-disant de gauche, d’une expression qu’avait utilisée Nicolas Sarkozy lequel voulait « karchériser les banlieues » c’est-à-dire les débarrasser de ses Nègres et ses Arabes, reflète bien la mentalité sans foi ni loi de la majorité au pouvoir à la Région. Il faut rappeler que le même Chauvet s’était autorisé à détourner une photo officielle émanant de l’Elysée sur laquelle la présidente de l’Université figurait aux côtés du président François Hollande en mettant une tête de…chien à la première. Décidément l’imaginaire du chien hante nos parvenus !

   __ « Prof au rabais » : expression utilisée par C. Conconne à l’encontre de la conseillère d’opposition qui tentait de la calmer, ce même jour où elle avait traité l’opposition de « chien abiyé an moun ». Cette expression reflète le complexe d’infériorité de personnes qui n’ont pas pu ou qui n’ont pas su poursuivre des études supérieures et qui, à la moindre, occasion, cherchent à rabaisser les diplômés. Guerre de classes…

   __ « Maître Loulou » : expression se voulant ironique utilisée contre le conseiller d’opposition Louis Boutrin, avocat de profession, coupable d’avoir démontré, textes à l’appui, que le président de Région violait le Code des Collectivités territoriales en déclarant dans les médias qu’il avait refusé la démission de sa 1è vice-présidente mise en examen pour « délit d’abus de biens sociaux et banqueroute ». En effet, S. Letchimy ne dispose aucunement du droit, selon la loi française, ni d’accepter ni de refuser la démission d’un élu. Mais revenons à l’expression « Maître Loulou » : le fait de mettre côte à côte un titre et pas n’importe lequel puisqu’il n’est accordé qu’aux seuls avocats et un surnom, « Loulou », a pour objectif de ridiculiser ledit titre. En clair, de dire que l’analyse juridique faite par Louis Boutrin est nulle et non avenue. Sauf que ce dernier n’est pas qu’avocat, il est aussi docteur en droit, diplôme certes non obligatoire pour exercer cette profession, mais que possèdent tout de même peu de ses confrères en Martinique. Là encore, on est dans une sorte de revanchardisme qui n’ose s’avouer comme tel.

   Le temps et la place manque pour analyser les autres écarts de langage fréquemment utilisés par les élus de la majorité régionale à l’encontre de l’opposition. Constatons simplement qu’ils sont récurrents et qu’ils dénotent une mentalité de « Neg ki wè lajan ta » (litt. « personnes ayant tardivement eu accès à l’argent ») autrement dit, en bon français, de parvenus. Quelle que soit la raison d’un tel comportement, il est tout simplement inadmissible et doit être combattu avec la dernière énergie.

 

Cela n’aurait pas porté à conséquence si nous n’étions pas entrés dans l’ère des nouvelles technologies grâce auxquelles on peut enregistrer ou filmer quelqu’un à son insu et avec un simple téléphone portable. Cela aurait eu un impact moins dévastateur si les plénières n’étaient pas également enregistrées et diffusées en intégralité à la télévision, louable initiative au départ qui vise à informer le citoyen, mais qui, au final, à cause desdits dérapages verbaux trop fréquents, hélas !, l’afflige plus qu’autre chose.

   A quoi cette intrusion de ce qu’il faut bien appeler « la canaillerie » au sein de nos assemblées est-elle due ? Pourquoi la plus que centenaire (pour le Conseil général) et cinquantenaire (pour le Conseil régional) sérénité qui y régnait n’est désormais plus de mise ? Là encore, on peut invoquer diverses raisons. Il y sans doute dans un premier temps l’accession aux responsabilités politiques de gens issus de classes sociales dominées qui ne sont pas habituées à l’hypocrisie du langage petit-bourgeois ou qui  ont décidé délibérément de s’en affranchir. Pas besoin d’être expert en histoire et en sociologie pour se rendre compte, en effet, que de même que la classe békée, qui détenait l’ensemble des leviers politiques jusqu’à la fin du XIXe siècle, a été remplacée par la bourgeoisie mulâtre jusqu’aux années 60 du siècle écoulé, cette dernière a été remplacée à son tour par la petite bourgeoisie (souvent « de commune ») laquelle est en train d’être évincée depuis quelques années par les classes populaires. On a trop vite remisé Marx et les analyses de classes aux oubliettes. Or, les classes sont des structures qui dépassent les individus tout en les encadrant. Il arrive, certes, que certains « trahissent » leur classe, tels ces Békés qui épousaient des Négresses, mais cela reste toujours des phénomènes marginaux. En Martinique, en fait, il s’agit plus d’ « ethno-classes », comme disent les anthropologues, que de « classes » stricto sensu à cause de la présence de l’élément racial, fondateur de notre société.

   Une deuxième explication tient au « revanchardisme » de certains élus qui se souviennent d’avoir été parfois humiliés, à l’école notamment, mais aussi dans leur vie professionnelle, par des personnes de la grande bourgeoisie békée, de la bourgeoisie mulâtre ou encore de la petite-bourgeoisie. Leur attitude agressive, à la limite de la grossièreté, une fois élus témoignent d’un désir de choquer, de montrer que ce sont eux qui désormais détiennent le pouvoir et d’indiquer aux autres classes qu’elles doivent maintenant s’incliner devant eux. C’est pourquoi ils brandissent fièrement à la moindre occasion le nom de leur quartier d’origine, quartier plébéien et défavorisé (Trénelle et Bord de Canal sont les plus cités ou alors quelque hameau campagnard reculé).  La brutalité du langage des élus de la majorité actuelle relève donc, à y regarder de plus près, de la très banale « guerre de classes ».

   Cela justifie-t-il pour autant qu’on doive le leur pardonner et s’incliner devant les insultes, les doigts d’honneur et autres menaces ? On remarquera que les débris de l’ancienne bourgeoisie mulâtre qui se sont ralliés politiquement à eux, par opportunisme plus que par conviction de toute évidence, se gardent bien de sombrer dans de telles extrémités langagières. On notera aussi que pour eux, l’ennemi n’est pas la grande bourgeoisie békée (puisqu’on va jusqu’à planter l’Arbre de la Réconciliation avec elle, sur une « Habitation » en plus et cela avec le plus riche de la caste) ; il n’est pas non plus l’ancienne bourgeoisie mulâtre, aujourd’hui en décadence, au sein de laquelle, comme on vient de le voir, beaucoup se sont ralliés au nouveau pouvoir. L’ennemi de ce dernier est la petite bourgeoisie. Mais cela est une autre histoire et nécessiterait une analyse plus approfondie…

 

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