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PARTIE 1: 27 JANVIER 2010, 65 ÈME ANNIVERSAIRE DE LA FIN D'UN «CRIME CONTRE L'HUMANITÉ»

PARTIE 1: 27 JANVIER 2010, 65 ÈME ANNIVERSAIRE DE LA FIN D'UN «CRIME CONTRE L'HUMANITÉ»

Tu portais dans ta voix comme un chant de Nerval
Quand tu parlais du sang jeune homme singulier
Scandant la cruauté de tes vers réguliers
Le rire des bouchers t'escortait dans les Halles
Tu avais en ces jours ces accents de gageure
Que j'entends retentir à travers les années
Poète de vingt ans d'avance assassiné
Et que vengeaient déjà le blasphème et l'injure

Je pense à toi Desnos qui partis de Compiègne
Comme un soir en dormant tu nous en fis récit
Accomplir jusqu'au bout ta propre prophétie
Là-bas où le destin de notre siècle saigne

Debout sous un porche avec un cornet de frites
Te voilà par mauvais temps près de Saint-Merry
Dévisageant le monde avec effronterie
De ton regard pareil à celui d'Amphitrite
Enorme et palpitant d'une pâle buée
Et le sol à ton pied comme au sein nu l'écume
Se couvre de mégots de crachats de légumes
Dans les pas de la pluie et des prostituées

Je pense à toi Desnos qui partis de Compiègne
Comme un soir en dormant tu nous en fis récit
Accomplir jusqu'au bout ta propre prophétie
Là-bas où le destin de notre siècle saigne

Et c'est encore toi sans fin qui te promènes
Berger des longs désirs et des songes brisés
Sous les arbres obscurs dans les Champs-Elysées
Jusqu'à l'épuisement de la nuit ton domaine
O la Gare de l'Est et le premier croissant
Le café noir qu'on prend près du percolateur
Les journaux frais les boulevards pleins de senteur
Les bouches du métro qui captent les passants

Je pense à toi Desnos qui partis de Compiègne
Comme un soir en dormant tu nous en fis récit
Accomplir jusqu'au bout ta propre prophétie
Là-bas où le destin de notre siècle saigne

La ville un peu partout garde de ton passage
Une ombre de couleur à ses frontons salis
Et quand le jour se lève au Sacré-Cœur pâli
Quand sur le Panthéon comme un équarissage
Le crépuscule met ses lambeaux écorchés
Quand le vent hurle aux loups dessous le Pont-au-Change
Quand le soleil au Bois roule avec les oranges
Quand la lune s'assied de clocher en clocher

Je pense à toi Desnos qui partis de Compiègne
Comme un soir en dormant tu nous en fis récit
Accomplir jusqu'au bout ta propre prophétie
Là-bas où le destin de notre siècle saigne

Aragon
Robert le Diable

 

                                   Le 27 janvier 1945, les troupes soviétiques entraient dans le camp d'extermination d'Auschwitz, extermination des juifs d'Europe, nommée dans le langage courant «Shoah ». Cette date a été retenue pour commémorer le souvenir de ce qui fut «un crime contre l'humanité», ce dernier terme ayant été créé lors du procès de Nuremberg qui jugea, les responsables nazis.

                                   Il va de soi que d'autres crimes antérieurs ou postérieurs à l'extermination des juifs d'Europe, méritaient ou méritent l'appellation de «crimes contre l'humanité». Je pense à un qui lui fut antérieur «la traite négrière», ou à un autre qui fut antérieur aussi mais qui perdure aujourd'hui «le colonialisme». Il y eut d'autres génocides, parfois oubliés comme ceux des aborigènes d'Australie ou plus encore «l'extermination des indiens d'Amérique» par les conquistadores. La liste est longue certains «crimes contre l'humanité» ont été «oubliés», ou ne sont «jamais commémorés» et ne le seront jamais. Pire, certains «crimes contre l'humanité», perdurent et ne sont pas près d'être jugés et encore moins d'être commémorés, avec autant de fastes que l'est, en ce jour la «Shoah». Je veux surtout parler du «colonialisme».

                                   Le mal étant le propre de l'homme, quoi qu'on en pense un crime reste un crime et un «crime contre l'humanité» reste un «crime contre l'humanité». Il ne faut pas polémiquer là-dessus. Ce serait hiérarchiser le crime. Peut-on le faire? Doit on le faire? Non. Le crime contre un seul homme, quel qu'il soit, a autant de «valeur», si je peux employer ce mot, que le crime contre des millions. Par ailleurs le terme de «crime contre l'humanité» ne saurait s'attacher uniquement à l'extermination d'un nombre élevé d'être humains. Le terme doit être précisé. Je préfèrerais «crime contre l'homme» au sens où Franz Fanon définissait l'homme.

                                   Toutefois, même si nous sommes loin d'inventorier les «crimes contre l'homme» et de les juger et de les commémorer, il ne faut pas opposer les crimes, quels qu'ils soient. Il faut même adhérer à toute commémoration. C'est une stratégie beaucoup plus juste, plus humaine, plus pacifique et probablement plus efficace que le refus de commémorer tel ou tel crime. Car le devoir de mémoire, n'est pas un devoir sélectif. La mémoire à transmettre à nos enfants doit s'enrichir de tous les crimes possibles afin que ceux-ci perçoivent et prennent conscience que le mal et le crime sont le propre de l'homme pour qu'ils œuvrent plus tard contre eux-mêmes d'abord et contre tous les crimes, sans distinction.

                                   Je me dois de rappeler trois éléments. Le premier fut le discours de Gaston Monnerville, nègre de Guyane, sur le parvis des «droits de l'homme», au Trocadéro, à Paris, le 13 octobre 1933, à propos du «drame juif» auquel il apportait toute sa compréhension, son soutien aux juifs d'Europe, lui le nègre digne, 8 ans avant la décision effective de la «solution finale» formulée par Goering à Einrich, en 1941. Le grand Monnerville ne faisait pas de différence entre un juif d'Europe et un nègre, simplement parce que tous deux, étaient pour lui des hommes. Après avoir manifesté son soutien, et le combat pour lequel il s'engageait envers les juifs, simplement son combat pour «l'homme» il finit son discours par ces mots: «Il n'y a pas de vertu sans courage». Propos surprenants, mais qui donnaient la mesure, de la quête intérieure et noble de Monnerville, la quête de la dignité, sa dignité.

                                   Plus tard Aimé Césaire allait plus loin, osant débuter son «discours sur le colonialisme», paru en 1958, par une analogie, peut-être provocante, mais subtile et pédagogique, en associant «nazisme et colonialisme» dans une forme d'analogie, de similitude, dont le sens était celui de Monnerville, la déshumanisation, la chosification de l'homme.

                                   François Spirlet, 86 ans, a vécu, lui, les camps de la mort et la colonialisme au Congo belge. Il aboutit à cette synthèse que colonialisme et nazisme sont identiques, l'homme déshumanisé. Il est un fervent défenseur du devoir de mémoire. C'est sa dignité.

                                   Mais si vous voulez de plus grands noms que le sien, l'historien Pierre Vidal-Naquet, au seuil de sa vie a lui aussi abouti à la même conclusion. Il doit y en avoir beaucoup d'autres à travers le monde qui ont réalisé l'analogie.

                                   Quelle différence entre un enfant gazé à Tréblinka, un enfant phosphorisé à Gaza, un enfant noir rendu esclave, un enfant aujourd'hui ou hier qui subit ou a subi, le mépris du colonialisme? Aucune!

                                   La mémoire de leur destruction, physique ou mentale, est la même. Le devoir de mémoire est absolu et ne se divise pas en devoir nécessaire pour les uns et devoir à oublier pour d'autres. Le devoir du mal ne devrait s'en tenir, partout qu'à la mémoire du préjudice subi, du mal fait à l'homme. Il est clair que  le devoir de mémoire est hélas utilisé, récupéré à l'insu de ceux qui ont subi le crime. Il faut accepter ce devoir de mémoire pour les victimes et non pour l'utilisation que l'on fait de ce devoir de mémoire, quoi qu'il en coûte. C'est là que se situe le courage et la vertu, c'est là que se situe la dignité. Un exemple les noirs à travers le monde sont souvent, sauf quelques uns, irascibles, concernés par l'extermination des juifs d'Europe et refusent le devoir de mémoire pour des crimes qui ne les concernent pas. D'autant que ceux qui les concernent sont largement ignorés. C'est une forme de racisme et un mauvais calcul.

                                   Une forme de racisme car l'homme est l'homme, partout. Un  mauvais calcul, car si les nègres commémorent l'extermination des juifs d'Europe pour laquelle il sont totalement étrangers, commémorant non la mémoire des juifs d'Europe qui furent exterminés mais tout simplement la mémoire de l'homme qu'il y avait dans ce juif lointain, ils donneront, dès lors, à penser, à réfléchir aux obsédés de la commémoration de la Shoah. En quoi ces nègres viennent-ils commémorer ce qui ne les concerne pas? Penseront certains. D'autres, pires, diront: «oui, nous avons gagné, notre tragédie est enfin reconnue par ces imbéciles comme le plus grand crime contre l'humanité». Ce seront les plus nombreux. Mais certains, plus intelligents et plus rares se diront ceci: «esclavagisés, colonisés, exterminés, ces nègres, possèdent la mesure de l'homme et beaucoup de courage, de vertu et de dignité. A leur corps défendant, ils traitent de l'homme, gardent la mémoire de l'homme bafoué, quel qu'il soit, alors que tout devrait les rendre indifférents.» Et cela passera inaperçu, sera sûrement «contre-productif». Sauf pour quelques-uns, les plus brillants, les plus réfléchis. Sachant qu'un jour l'histoire s'analyse et l'on retrouvera trace de leurs pensées et de leurs actes, celles des pensées et des actes de ces nègres, attitude qui sera, peut-être dans des siècles, largement diffusée.

                                   Je demande pour ces raisons, aux palestiniens au nègres d'Afrique, en particulier aux nègres des townships de Soweto, aux nègres des Antilles et à tous ceux qui furent déshumanisés ou qui le sont encore, à travers le monde de commémorer la «Shoah», pour ces raisons, je répète. En fait, pour cette raison unique, que l'on saura, que l'on s'apercevra, dans des siècles, probablement, qu'ils avaient,ces hommes bafoués, méprisés, une plus grande sagesse, une plus grande connaissance de l'homme que leur contemporains. Qu'ils avaient plus de courage et beaucoup plus de dignité que leur contemporains. Tel est le calcul ou le pari.

                                   Sans effusion excessive, ostentatoire et donc machiavélique, qu'il y ait, ce 27 janvier 2010, en particulier, un Gaston Monnerville, un nègre antillais de haut vol, qui commémore l'extermination des juifs d'Europe. Sagesse ou connaissance de l'homme, calcul ou pari, l'histoire en tiendra compte.

Tout ce que l'homme fut de grand et de sublime
Sa protestation ses chants et ses héros
Au-dessus de ce corps et contre ses bourreaux
A Grenade aujourd'hui surgit devant le crime

Et cette bouche absente et Lorca qui s'est tu
Emplissant tout à coup l'univers de silence
Contre les violents tourne la violence
Dieu le fracas que fait un poète qu'on tue

Un jour pourtant, un jour viendra couleur d'orange
Un jour de palme, un jour de feuillages au front
Un jour d'épaule nue où les gens s'aimeront
Un jour comme un oiseau sur la plus haute branche

Ah je désespérais de mes frères sauvages
Je voyais, je voyais l'avenir à genoux
La Bête triomphante et la pierre sur nous
Et le feu des soldats porte sur nos rivages

Quoi toujours ce serait par atroce marché
Un partage incessant que se font de la terre
Entre eux ces assassins que craignent les panthères
Et dont tremble un poignard quand leur main l'a touché

Un jour pourtant, un jour viendra couleur d'orange
Un jour de palme, un jour de feuillages au front
Un jour d'épaule nue où les gens s'aimeront
Un jour comme un oiseau sur la plus haute branche

Quoi toujours ce serait la guerre, la querelle
Des manières de rois et des fronts prosternés
Et l'enfant de la femme inutilement né
Les blés déchiquetés toujours des sauterelles

Quoi les bagnes toujours et la chair sous la roue
Le massacre toujours justifié d'idoles
Aux cadavres jetés ce manteau de paroles
Le bâillon pour la bouche et pour la main le clou

Un jour pourtant, un jour viendra couleur d'orange
Un jour de palme, un jour de feuillages au front
Un jour d'épaule nue où les gens s'aimeront
Un jour comme un oiseau sur la plus haute branche

Aragon
Un jour, un jour

 

Thierry Caille

Photo du logo : Entrée du camp d'Auschwitz-Birkenau.

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