Accueil
Aimé CESAIRE
Frantz FANON
Paulette NARDAL
René MENIL
Edouard GLISSANT
Suzanne CESAIRE
Jean BERNABE
Guy CABORT MASSON
Vincent PLACOLY
Derek WALCOTT
Price MARS
Jacques ROUMAIN
Guy TIROLIEN
Jacques-Stephen ALEXIS
Sonny RUPAIRE
Georges GRATIANT
Marie VIEUX-CHAUVET
Léon-Gontran DAMAS
Firmin ANTENOR
Edouard Jacques MAUNICK
Saint-John PERSE
Maximilien LAROCHE
Aude-Emmanuelle HOAREAU
Georges MAUVOIS
Marcel MANVILLE
Daniel HONORE
Alain ANSELIN
Jacques COURSIL

" PAR ESSENCE, LA CULTURE CRÉOLE EST OUVERTE ET HOSPITALIÈRE "

" PAR ESSENCE, LA CULTURE CRÉOLE EST OUVERTE ET HOSPITALIÈRE "

{ {{" Dans le monde créole, il n'y a pas que des racines africaines, il y a également des ancêtres venus de l'Inde ; pour certains, des ancêtres chinois ; sans parler de nos ancêtres colons européens ", note la directrice de l'Institut Catholique de Maurice

Coédité par la maison belge Lumen Vitae et l'initiative éditoriale mauricienne Marye-Pike, le livre de Danielle Palmyre, Culture créole et foi chrétienne sera lancé, demain, avec une préface de l'évêque de Port-Louis, Maurice Piat. Se situant au croisement des sciences humaines, principalement l'anthropologie, et de la réflexion croyante d'une théologienne, Danielle Palmyre jette sur son pays, la société dans laquelle elle vit et le groupe humain dont elle est issue un regard à la fois rigoureusement lucide et marqué par une espérance. Au moment où l'île Maurice officielle célèbre son Festival Kreol, notre invité de cette semaine affirme : " Il faut que l'Évangile aille jusqu'à la racine de la culture pour devenir un instrument de libération sociale, motivant les chrétiens et les créoles à s'en inspirer pour agir dans la société, pour la transformer "}} }

{{Vous avez choisi une racine de flamboyant pour illustrer votre livre "Culture créole et foi chrétienne" qui sera présenté samedi. Lorsque vous parlez d'identité créole, cette image est très symbolique et rappelle le poème d'Edouard Maunick qui proclame que ses racines viennent de tous les continents ?}}

Oui… Ce n'est pas une chose originale que j'invente. Ce qui caractérise les cultures créoles au sens large, c'est la complexité. C'est l'idée que j'ai voulu évoquer à travers cette image de couverture. Une complexité telle qu'on n'arrivera pas à démêler les différentes racines à l'origine de cette culture. Il faut faire avec cette complexité actuelle en se disant qu'on doit aussi faire le deuil de racines originelles qu'on pourrait retracer et vers lesquelles on pourrait revenir. Il y a tout ce mythe du retour vers les racines ancestrales. En même temps, je dis que dans la complexité actuelle, il y a des traces ancestrales qu'il faut assumer totalement. C'est un peu une identité composite qu'il n'est pas facile de cerner et dont il faut respecter la complexité.

{{Vous parlez en quatrième de couverture de déconstruction et de reconstruction. Que voulez-vous dire ?}}

Vous savez bien que l'histoire des mondes créoles est liée à la colonisation. Lorsqu'on parle d'une culture qui va naître dans un contexte aussi oppressif que l'esclavage, on ne peut penser que c'est une culture qui a émergé tranquillement, sereinement. Il y a eu oppression. Il y a eu violence. Il y a eu prohibition, interdiction, rejet. Certaines parties des cultures anciennes, originelles ont été perdues, irrémédiablement. C'est pour cela que je parle de déconstruction involontaire de la part des créoles mais volontaire de la part des colons. Déconstruction de l'humanité qui était déjà là. Des représentations de la culture de l'autre. Du côté de l'esclave, il y a eu une reconstruction. L'esclave est un créatif, un être humain. L'être humain est créatif de culture. À partir de tous ces morceaux d'épaves qu'il a recueillis, il a construit quelque chose de neuf. Dans le mot créole, à l'origine, on peut voir le verbe créer, nouvelle création, quelque chose d'original.

{{Dans le cadre de cette recherche de l'identité créole, il est beaucoup question d'esclavage, vous dites qu'il faut savoir quelquefois faire le deuil de ses racines…}}

Il faut l'assumer. Il ne faut pas le nier. Il ne faut pas se complaire éternellement. L'esclavage a été un traumatisme dans la conscience collective et donc créole. On connaît la lutte des Noirs pour leur libération dans différents contextes, dont les États-Unis. Il faut revenir au lieu du traumatisme. C'est valable en toute psychologie élémentaire pour pouvoir l'assumer et le dépasser. Il est sain de faire un retour vers l'histoire, cela fait partie de l'histoire créole, de reconnaître, de l'assumer et d'aller plus loin. Il ne faut pas l'oublier ; il ne faut pas l'occulter et en faire un sujet de victimisation éternelle. Il ne faut pas l'oblitérer et faire comme si cela n'a jamais existé pour calmer le jeu. Ce serait une mauvaise politique.

{{Toujours dans le cadre de cette recherche de l'identité, on a observé pendant longtemps une tendance de retour vers ses racines africaines à travers le Centre culturel africain. Il a été question d'africanité. On n'a pas l'impression que ce courant a pris de l'ampleur. Pourquoi cela ?}}

Il y a plusieurs facteurs qui expliqueraient cela. Lorsque je parle de traumatisme, il s'agit d'un véritable traumatisme, d'un refoulement collectif. Pour beaucoup de créoles, il est infamant de reconnaître qu'on est descendant d'esclave ou d'avoir eu des ancêtres esclaves, ou de faire partie d'une histoire où il y a eu l'esclavage. Pourtant, ils ne sont que des victimes de cette histoire. Il y a une difficulté dans le monde créole à assumer cela. Ce n'est pas moi qui le dis. Ce sont les créoles eux-mêmes lorsqu'ils s'expriment qui le disent. Il y a donc cette tentation d'occultation. Et puis le Noir a été dénigré dans le processus de l'esclavage, ce qui explique le regard négatif qui est posé sur tout ce qui a trait à l'esclavage et à l'Afrique. Ce qui est une erreur, parce que l'Afrique n'est pas définie par l'esclavage. Il y a des cultures magnifiques sur le continent. Donc se relier à l'Afrique oui, pas seulement par le biais de l'esclavage. Dans le monde créole, il n'y a pas que des racines africaines, il y a également des ancêtres malgaches. La culture malgache est différente des cultures africaines. Il y a eu une grosse proportion de Malgaches qui ont été à l'origine du peuple créole. Il y a eu d'autres. Il y a de l'Indien dans le monde créole. Nous avons des ancêtres venus de l'Inde ; des ancêtres tamouls ; pour certains, des ancêtres chinois ; sans parler de nos ancêtres colons européens. Précisément, c'est cela la complexité. C'est pourquoi j'ai un peu de peine à réduire le monde créole à l'Afro-créole. Je reconnais l'Afro-créole, mais le terme créole implique toutes ces racines, toute la complexité.

{{Peut-on dire que le concept de créolité est accepté plus facilement ?}}

Je n'utilise pas tellement le terme créolité qui désigne un courant littéraire. La culture créole est une culture complexe qui s'abreuve de différentes sources. La réduire à une de ses composantes serait réducteur parce qu'une partie des créoles ne s'y reconnaîtrait pas ou qu'à moitié. Il faut inclure cette dimension africaine et malgache. Je préfère parler de "créolisation" qui est utilisé en linguistique pour parler du contact entre deux cultures qui produit une langue et au niveau anthropologique pour parler de contact entre deux cultures différentes pour produire une nouvelle culture. Je fais abstraction pour le moment du contexte historique. Le monde créole mauricien est né dans le contexte de l'esclavage et de la colonisation dans le système de plantation. Les mondes créoles sont des créations du choc des cultures dans le système de plantation au moment de l'esclavage dans le contexte plus général de la colonisation. Les mondes créoles bien sûr ont évolué pour devenir des mondes à part entière avec une culture propre.

{{Le Festival international créole et la création de la Fédération des Créoles Mauriciens sont autant de manifestations nouvelles dans le monde créole mauricien. Comment les avez-vous accueillies ?}}

Il est important qu'il y ait de la reconnaissance. Il est important que la culture créole soit reconnue comme création originale, comme la première étape du mauricianisme. La culture créole est la première culture qui a émergé sur le sol mauricien. Il ne faut pas négliger cela. C'est la culture de base du Mauricien, si un mauricianisme doit émerger dans notre pays. Cela ne doit être que sous l'effet d'une créolisation. Peu importe l'extension qu'on donnera à ce terme. Ce phénomène de reconnaissance, de l'émergence de la mauricianité à travers le créole est extrêmement important. Il est important que les politiques le reconnaissent et que les Mauriciens moyens le reconnaissent. Peu importe les moyens qu'on utilise. Il est important que cette reconnaissance puisse se faire.

{{Comment éviter que cette démarche devienne sectaire ?}}

On vit dans un monde très étrange. En même temps, on parle de multiculturalisme. Si on en parle, c'est qu'on reconnaît que, dans le monde, il y a des cultures différentes les unes des autres. Pourquoi la culture créole serait-elle une menace pour le multiculturalisme ? La culture créole a ceci de particulier : elle est une culture qui a pris des apports de différentes cultures. J'aime bien le mot hospitalier. Elle donne l'hospitalité à beaucoup de réalités différentes. Elle ne peut pas, par définition, être sectaire. Qu'il y ait des groupes de personnes, des individus, des hommes politiques qui utilisent la question créole pour en faire une question sectaire, c'est quelque chose qui vient après. Il y a une intention idéologique. Mais, dans son essence, la culture créole est ouverte et hospitalière. Dans le contexte mauricien, la culture créole était comme oubliée. Elle était taboue. On n'avait pas le droit d'en parler. Si une culture créole existe, il faut bien qu'on permette à ceux qui se reconnaissent de cette culture de s'exprimer ; d'exister ; de chercher les moyens de vivre en harmonie dans ce pays et d'occuper la place qui leur revient de droit. On vit dans une société multiculturelle. Il faut que dans le multi, il y ait cette diversité et que la culture créole puisse simplement exister.

{{Nous avons noté le mot "naufrage" dans la présentation de votre livre… Il y a donc eu naufrage quelque part ?}}

Bien sûr, l'esclavage est un naufrage humain considérable. C'est un naufrage réel parce que vous savez qu'entre l'embarquement des esclaves et leur arrivée à Maurice, il y a eu des naufrages réels, des bateaux ont coulé, d'autres ont jeté par-dessus bord des milliers d'hommes et de femmes. C'est un naufrage culturel. Ces hommes et ces femmes lorsqu'ils sont arrivés ici ont perdu leur identité et tout ce qu'ils étaient pour devenir des instruments d'une politique économique et pour travailler dans les champs pour leurs maîtres. Si ce n'est pas un naufrage, je ne sais pas ce que c'est. Il faut se relever de ce traumatisme.

{{Pouvez-vous parler de votre livre ?}}

C'est une recherche qui a un côté biographique. On s'intéresse à quelque chose qui nous touche de près. Cette thèse est née de ma recherche sur l'étude du comportement religieux dans le monde créole. On a fait une étude sur la religion populaire en 1993. Je portais beaucoup de questions. J'ai voulu sonder davantage l'identité, la culture, les représentations religieuses du monde créole et essayer de comprendre, avec des outils scientifiques, ce qui s'est passé et ne pas m'en tenir aux clichés, aux stéréotypes qui étaient véhiculés dans la société mauricienne et qui sont toujours véhiculés chez les créoles et chez le reste de la population. Je me suis basée sur les techniques scientifiques, celles de la sociologie, de l'anthropologie, de l'ethnologie. Comme je suis théologienne, j'ai voulu voir quel était l'apport du christianisme au monde créole. Quels étaient les liens entre ces deux mondes. Si l'on parle du christianisme dans le monde créole, à quelle condition ce christianisme peut-il être libérateur pour le monde créole. Pas seulement un christianisme qui lui a été imposé au moment de l'esclavage.

{{Pensez-vous que le christianisme a joué un rôle libérateur ?}}

Je crois que le message de l'Évangile est un message de libération. Je n'invente rien. Une personnalité comme le Mahatma Gandhi a pu utiliser quelque chose pour son œuvre de libération en Inde, des hommes comme Mandela, comme Desmond Tutu et des milliers d'hommes et de femmes l'ont fait en puisant dans l'Évangile et le message du Christ une force libératrice pour l'être humain. Je crois profondément en cela. C'est ce que j'essaie de dégager sur le plan théologique. Lorsqu'on parle d'inculturation, c'est justement permettre à la foi de s'exprimer dans la culture du destinataire. Comment est-ce qu'on pourrait communiquer l'Évangile au monde créole et comment le monde créole pourrait s'approprier l'Évangile pour en faire un instrument de libération aussi bien spirituelle que sociale.

{{Robert Shell, le président désigné de la Commission Justice et vérité pour Maurice s'étonnait qu'il n'y ait pas de traduction créole de la Bible…}}

C'est en cours ; c'est pratiquement terminé. On y travaille avec la Société biblique. Je pense que, dans un an ou deux, cette traduction sera disponible. Bien sûr, c'est une prise de conscience qui vient tardivement. Mieux vaut tard que jamais.

{{Vous dites qu'il faut lier la réflexion sur la culture au développement et à la justice sociale. Que voulez-vous dire ?}}

Je m'adresse surtout aux chrétiens. On a remarqué chez les créoles catholiques, qu'il y a un intérêt pour les questions sociales et politiques. La religion n'est pas assez un moteur de réflexion et d'engagement de type social, de type politique. J'essaie de montrer que penser l'inculturation, c'est-à-dire que l'Évangile puisse s'exprimer dans la culture créole n'implique pas seulement les expressions artistiques, des chants créoles, la Bible traduite en créole ou la messe en créole. C'est nettement insuffisant. Il faut que l'Évangile aille jusqu'à la racine de la culture pour devenir un instrument de libération sociale, motivant les chrétiens et les créoles à s'en inspirer pour agir dans la société, pour la transformer. Pas seulement se réfugier dans les églises, dans les sacristies, mais aller dans le monde, dans la société mauricienne et vivre pleinement.

{{Et la langue créole dans tout cela ?}}

C'est un élément central de la culture. Je ne pense pas qu'on pourrait penser la culture anglaise sans l'anglais et la culture chinoise sans la langue chinoise. La langue créole fait partie du patrimoine culturel créole. En même temps, elle est devenue la langue de tous les Mauriciens. Ma théorie de la créolisation se vérifie au moins sur le plan linguistique. 80 % de la population a été créolisée et parle créole. C'est un phénomène naturel d'osmose entre groupes culturels différents. La langue créole est à la fois une langue qui a émergé du monde créole mais est l'apanage de tous les Mauriciens. Ce n'est pas contradictoire.

Il est, par ailleurs, important de comprendre que le processus de créolisation s'est opéré dans d'autres contextes et a produit des résultats presque similaires. C'est cela le côté international du monde créole. Il y a des mondes créoles qui se ressemblent beaucoup mais qui sont différents, parce qu'ils ont émergé dans des contextes différents. Il y a un sentiment d'appartenance assez large lorsqu'on commence à rencontrer les créoles d'autres parties du monde. On sent qu'on appartient à quelque chose de plus grand.

{{On a connu le "malaise créole" ; aujourd'hui encore, on voit des créoles parmi les plus démunis de la société. Quel regard jetez-vous sur cette réalité ?}}

S'il n'y avait pas eu l'expression "malaise créole", il n'y aurait pas eu de libération. Il faut reconnaître le traumatisme, il faut nommer le mal pour pouvoir l'assumer et le surmonter. Il était important que le malaise qui existe soit exprimé ouvertement et publiquement, qu'il soit reconnu par tous. Mais on diagnostique une maladie pour la guérir. Dans le processus de libération, c'est une étape naturelle.

[www.users.bigpond.com/l_arom/->http://www.users.bigpond.com/l_arom/]

[www.iocp.info->http://www.iocp.info]

Connexion utilisateur

CAPTCHA
Cette question sert à vérifier si vous êtes un visiteur humain afin d'éviter les soumissions automatisées spam.

Pages