Peut-on distinguer aussi aisément ce qui "proviendrait du colonialisme" de ce qui nous serait imposé par le sort ? On pourrait en douter. Pourtant, un récent article sur Montray Kreyol du 17 avril semble vouloir séparer le bon grain de l’ivraie.
Le chiffre de 862 cas de contamination à la COVID 19 qui a conduit les autorités à prendre de nouvelles mesures de confinement a toutes les chances d'être largement sous-estimé. Pour avoir été moi-même contaminé lors de la manifestation contre la prescription dans l'affaire de la chlordécone, dans laquelle, non seulement les gens étaient agglutinés mais en plus, ne portaient souvent aucun masque ou le portaient sous le nez, ce qui revient au même, je sais que les symptômes peuvent évoquer une petite grippe voire un début de grippe, parfaitement anodine, qui ne nécessite ni traitement (mis à part un bon punch avec du miel), ni test.
Si je me suis fait tester, c'est d'abord parce que la protection civile (merci aux bénévoles qui s'y adonnent) avait organisé sur le front de mer de Fort-de-France, un dépistage les 6 et 7 mars, et ensuite parce qu'un ami m'en a informé. J'aurais très bien pu poursuivre mes activités professionnelles et contaminer plusieurs personnes au cours de la semaine suivante. Comme chez les enfants et les personnes jeunes, les dits symptômes peuvent être réduits voire inexistants et donc, ne pas conduire à des tests, il faut considérer que le nombre de personnes contaminées réellement est sans doute plus élevé que celui annoncé. A défaut de tests massifs de toute la population, on est forcément dans l'approximation.
Ce qui me parait inquiéter les pouvoirs publics « d'Etat comme territoriaux" est-ce tant la circulation du virus et le nombre de personnes contaminées ? On peut en douter car dans ce cas, des tests massifs auraient été organisés depuis 1 an.
La répercussion de ces contaminations sur l'appareil de santé, c'est-à-dire le nombre d'hospitalisations enregistré est jugé catastrophique et plus encore la capacité du système de santé à y faire face.
Quoi de surprenant après des décennies de restrictions de toute nature dont d'ailleurs personne ne parle. Tout se passe comme si le déficit abyssal du CHUM avait disparu, la tarification à l'activité aussi, l'installation de déserts médicaux dans certaines spécialités aussi, bref, comme si la pandémie intervenait alors que nous serions au départ dans une situation normale.
A qui devons-nous cette situation que, bien entendu, la COVID 19 a empiré ? Clairement, aux politiques menées depuis des années, en particulier sous la houlette de l'ARS. Car si beaucoup a été fait en ce qui concerne l'équipement des plateaux techniques des hôpitaux, n'a-t-on pas oublié les personnes atteintes de maladies chroniques et qu'à coté de structures techniques de haut niveau, un réseau composé de structures de moyens séjours, de dispensaires, est plus que nécessaire. Où sont nos dispensaires d’en temps ? Supprimés, il y a belle lurette, sur l’autel de la bonne gouvernance !!!.
Et puisque certains vantent les mérites de CUBA, ce n'est pas seulement l'accent mis sur la formation des médecins dont il faut s'inspirer, c'est aussi et surtout l'organisation du système de santé avec un véritable réseau opérationnel, irrigant tous les lieux de vie, du plus modeste au plus important.
Certes, on peut pointer du doigt comme le fait l’auteur (anonyme ???) de l’article paru ce jour sous l’intitulé « 50% DES OPÉRATIONS CHIRURGICALES NON-VITALES DÉPROGRAMMÉES », « les insurgés fêtards…qui ont voulu à tout prix fêter le carnaval et qui ont dénoncé les mesures préfectorales de couvre-feu et de confinement comme des mesures...colonialistes !!! »
On peut et on doit aussi dénoncer « nos politiques, intellectuels, journalistes et autres faiseurs d'opinion qui sont, pour la plupart, bien trop lâches pour le dire ou l'écrire », c’est-à-dire pour prendre, devant cette opinion publique, le contrepied de théories et de conceptions obscurantistes qui sont essentiellement issues d’une frange de la petite bourgeoisie qui se sent ou s’estime déclassée dans sa position sociale, son niveau de vie et dans son accès aux emplois de responsabilité, la même qui vitupère contre l’assistanat dans laquelle se complairait une forte proportion des milieux populaires.
Pourtant, pour autant condamnable qu’il soit, ce comportement est aussi le résultat d’une éducation à une citoyenneté qui n’est pas la nôtre et qui nous apprend que ce pays dans lequel nous vivons ne nous appartient pas, qu’il n’est ni à protéger, ni à sauvegarder, ni à valoriser.
Même nos collectivités, des communes à la CTM en passant par feus, la Région et le Département, ne sont jamais parvenues à se départir d’une vision « clientéliste » de leur action, synthétisée par les slogans du style : Nou la épi zot, La Martinique avance, La CTM travaille pour vous…etc.
Et il est peu vraisemblable que cela change ! N’entend-t-on pas en ces temps pré-électoraux, fleurir des promesses électorales que leurs auteurs savent impossibles à tenir et qui consistent à affirmer qu’avec « Lulu badjol, on fera tout, toupatou et la mem !!! ».
Ils oublient d’ajouter :
Avant moi vous étiez au bord du gouffre… avec moi vous ferez un grand pas en avant
D’ailleurs, mis à part Camille Darsières, je n’ai jamais entendu une personnalité politique aux affaires prononcer un discours qui ne se résume pas à : « la collectivité a dépensé tant de millions d’euros…pour le TCSP, le Lycée Schoelcher, l’installation de la fibre optique, le Lycée et le Collège de l’Anse Charpentier…etc. ».
Tout se passe comme si ces centaines de millions d’euros venaient de nulle part ou d’ailleurs et que, par gratitude, les Martiniquais devraient applaudir et se confondre en remerciements, pas très éloignés finalement de « Oui bwana, bien bwana !!! ».
Comment rendre qui que ce soit responsable dans ce pays avec de tels comportements dont les auteurs ne s’aperçoivent même pas des conséquences ? Car enfin, cet argent vient des taxes et des impôts auxquels nous sommes tous assujettis !!! Les élus n’en sont que les dépositaires temporaires et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle ils nous doivent des comptes.
Or, ils s’évertuent à traiter les Martiniquais comme des enfants immatures et paresseux, tantôt les morigénant et les grondant, tantôt les flattant, en particulier en période pré-électorale, mais la plupart du temps en essayant de les manipuler. En conclusion, même ces comportements irresponsables et donc condamnables s’expliquent, partiellement, par la persistance d’un système colonial, et c’est parce que nous lui apportons peu ou prou notre concours, par inconscience et parfois par lâcheté, que nous décrédibilisons et que nous discréditons toute volonté émancipatrice.
Le virus n'est pas une invention du colonialisme, destinée à imposer un je ne sais quel ordre nouveau. Mais ne serait-ce pas le caractère « improvisé » de la stratégie suivie, aggravée par l'irresponsabilité du préfet comme des élus et des médias qui ont laissé se multiplier des manifestations, qui suscite la méfiance ?
Il faut y ajouter ceux qui font semblant de penser que le drapeau Rouge Vert Noir, brandi durant les vidés organisés autour du Carnaval, constitue une protection contre la maladie.
Comment comprendre qu’hier, avant et pendant le carnaval, les rassemblements sur la voie publique, pourtant interdits, n’aient donné lieu à aucune entrave ni sanction, sur ordre du préfet et que le même préfet, aujourd’hui, puisse se féliciter de ce qu’en deux jours, 255 verbalisations, représentant 34 425,00€, aient été infligées, sur le motif du non-respect de la limitation à 10km ?
Cette limitation de la circulation repose sur quels critères ? Pourquoi 10km et pourquoi pas 11 ou 9 ? Est-ce par mimétisme et parce qu’en France, c’est la distance retenue ? La contamination repose-t-elle sur la distance à laquelle on est de son domicile ? Serait-elle liée au fait que l’on exerce ou non une activité professionnelle ? ? Qu’ont dit les élus consultés à ce propos ?
Le flou pour ne pas dire l’arbitraire qui se dégage des décisions du préfet ne peut qu’inciter au scepticisme. Plutôt que de convaincre, on préfère manier la trique !!!
Cela révèle que nous sommes loin d'être mûrs pour prendre nos responsabilités même partiellement, sauf à vouloir vivre sous le fouet d’une dictature, à coté de laquelle celle de Duvalier pourrait passer pour une aimable plaisanterie.
Dans un remarquable effort cartiériste, le rédacteur de l’article indique :
Relèvent du colonialisme : la bétonisation des terres agricoles, l'empoisonnement au chlordécone, l'exil de 4.000 jeunes chaque année, la "profitation" békée, les 76.000 personnes vivant en-dessous du seuil de pauvreté etc...
Ne relèvent pas du colonialisme : l'invasion récurrente des algues sargasses, le trafic de drogue, la prostitution "pangnol", la brume de sable du Sahara, le covid-19 etc.
Curieux raisonnement !
Que des êtres humains se sentent contraints de faire commerce de leur corps pour survivre dans une société dont la valeur suprême est la consommation, une quasi-addiction pour certains, ne relèveraient pas du colonialisme, fer de lance du système capitaliste ?
Que le trafic de drogue soit tout autant étranger au colonialisme, sans doute parce que, tout comme la brume de sable du Sahara, tout vient de l’extérieur et que les martiniquais n’y ont aucune responsabilité, ni en tant que consommateur, ni en tant que trafiquant ou de dealer, n’est-ce pas consternant ?
Ces sargasses et cette brume de sable, ne seraient-elles pas dues à la déforestation de l’Afrique et du Brésil et donc à la cupidité des firmes multinationales accompagnée par celle des hiérarques des régimes locaux inféodés à leur ancienne puissance coloniale ?
On sait aujourd’hui que certaines maladies infectieuses sont liées à des zoonoses, infections qui se transmettent des animaux vertébrés à l'homme, et vice versa. Les pathogènes en cause peuvent être des bactéries, des virus ou des parasites. C’est le cas de la rage, de la brucellose, de la tuberculose, de la salmonelloses…etc. On sait aussi que certains virus dont le réservoir se trouvent chez des animaux ont été transmis à l’Homme. C’est le cas de la fièvre Ebola qui infecte certaines chauves-souris sans qu’elles ne soient malades. Pour la Covid, les jeux sont ouverts puisqu’on évoque aussi une origine animale. Mais n’est-ce pas dû à un mode de production qui entend domestiquer et asservir la nature et donc l’homme lui-même puisqu’il en fait partie ?
Quant à ce qui relève du colonialisme, n’est-ce pas aisé de lui attribuer ce dont nous sommes responsables ?
Guy Cabord-Masson, auteur d’une étude sur « Les puissances d’argent en Martinique » indiquait que si la Martinique disposait toujours de grandes exploitations agricoles, elle le devait aux Békés qui ont évité de les morceler, notamment lors des successions.
Car qui donc demande le déclassement des terres agricoles, qui autorise ces déclassements, qui procède à la vente de ces terrains ainsi rendus constructibles ? Est-ce l’Etat ou s’agit-il de nous-même et de nos maires, agissant en notre nom et que nous réélisons régulièrement ?
Beaucoup de nos compatriotes vivent avec des ressources largement au-dessous du seuil de pauvreté. Pourtant, ces derniers sont régulièrement fustigés par d’autres qui disposent de 3 à 4 fois plus de revenus et qui sont parfaitement insérés. Le développement des inégalités est lié au capitalisme et donc au colonialisme mais quand nos collectivités peuvent en réduire l’importance, le font-elles ?
2 exemples permettent de répondre à cette question :
Certes, une augmentation de l’APA comme de la rémunération des stagiaires de la formation professionnelle mobilisera des financements au profit des plus humbles, mais n’est-ce pas la capacité à faire de choix que l’on attend d’une collectivité territoriale ?
Enfin reste la question démographique. Si on s’en émeut maintenant et ce ne sont pas ceux qui partent qui en parlent le plus, mais ceux qui restent, c’est tout sauf une surprise. Déjà dans les années 90, on observait les prémices de cette tendance à la décrue, avec depuis peu, un taux d’accroissement naturel négatif. Notre population baisse en valeur absolue et par ailleurs, la répartition des classes d’âge s’en trouve modifiée. Mais en quoi cela constitue-t-il un problème. Bien des petites régions insulaires sont moins peuplées et ont une densité de population plus faible que nous sans que cela ne conduise à sonner le tocsin. Sauf à vouloir faire de la démographie un fonds de commerce politique et identitaire, a-t-on démontré que la baisse démographique engendre des difficultés insurmontables ?
Mais qui part ?
75% des bacheliers des séries générales s’en vont faire leurs études supérieures ailleurs qu’à l’UA et combien de parents ne se sentent pas bouffis d’orgueil en disant : « mon fils ou ma fille est dans une grande école à Paris ou à Bordeaux, il est au Canada, il travaille en Chine ou au Japon…. ! » Les classes moyennes ne s’y trompent pas et vont tout faire pour que leur progéniture aille se former ailleurs. Cela n’est pas nouveau car dès le début de l’UAG et même du temps du CUAG, ceux qui restaient en Martinique étaient parfois vus et à tort, comme des ratés de l’enseignement supérieur. Mais cela s’est considérablement développé.
Reviendront-ils ? C’est peu probable et notamment en raison de la faiblesse des rémunérations octroyées par le secteur privé, du chômage qui frappe bien des secteurs, et des conditions d’expériences exigées des entreprises au nom de l’employabilité, à propos desquelles personne ne s’interroge et que l’on pourrait juger souvent démesurées par rapport à l’offre d’emploi proposée. Derrière ces 2 ou 3 années d’expérience souvent mentionnées, n’est-ce pas la conformité à un modèle social qui est recherché plutôt que la maitrise de compétences ?
Contrairement à ce que prétendent bien des « sachants », ce sont moins les caractéristiques du poste et du métier que les caractéristiques de l’employeur qui pèsent sur les risques de renoncement à l’embauche, « faute de candidat adéquat ».
Si l’on insiste sur la nécessité pour les demandeurs d’emploi de changer leurs représentations pour les inciter à s’orienter, à se former, puis à postuler sur des offres d’emploi de ces métiers dits en tension, l’offre d’emploi demeure intouchable du point de vue des « métiers » qu’elle exprime rechercher, des compétences « requises », des méthodes de recrutement et des conditions de travail qu’elle propose. En quoi est-ce dû au colonialisme ?
Karl PAOLO
19 avril 2021
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