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Octobre "Mois du créole" : le premier dictionnaire du créole martiniquais

Octobre "Mois du créole" : le premier dictionnaire du créole martiniquais

   Paru en 2007 aux éditions Ibis Rouge, le "Dictionnaire du créole martiniquais" est le tout premier du genre. Nous avons rencontré son auteur, Raphaël Confiant...

***

MONTRAY KREYOL : Vous avez publié le tout premier dictionnaire du créole martiniquais. Quand et comment ce projet a-t-il pris forme ?

Raphaël CONFIANT : En fait, je n'ai jamais eu l'idée de faire un dictionnaire du créole martiniquais car j'étais membre du GEREC (Groupe d'Etudes et de Recherches en Espace Créole), groupe dirigé par feu Jean BERNABE à l'Université des Antilles au sein duquel une collègue, spécialiste en lexicologie, était en charge d'un "Dictionnaire créole des Petites Antilles" c'est-à-dire un ouvrage qui rassemblerait les lexiques du guadeloupéen, du dominiquais, du martiniquais et du saint-lucien. Ce projet, à base d'enquêtes de terrain menées par elle et par des étudiants formés à cet exercice, a duré presqu'une dizaine d'années. Un matériau considérable, unique même, a fini par être rassemblé. Tous les domaines ont été peu à peu inventoriés : le monde rural, celui de la pêche, de l'artisanat, de la musique, des croyances magico-religieuses etc. Cela avec des moyens financiers variables selon les années mais pas ridicules du tout. Or, quand l'ouvrage fut sur le point d'arriver à son terme, cette collègue, pour d'obscures raisons, a refusé de remettre son travail au GEREC ! Elle a emporté les disquettes contenant les enquêtes, déclarant qu'elle publierait l'ouvrage sous son seul nom. Evidemment, il n'est jamais paru ! Mais, face à l'instabilité psychologique de notre collègue lexicologue, j'avais pris le relais depuis quelque temps, cela à mes heures perdues, me concentrant plus modestement sur le seul créole martiniquais. Sans en informer quiconque sur le moment et avec des moyens matériels dérisoires évidemment...

MONTRAY KREYOL Avez-vous procédé à des enquêtes de terrain ? De quelle manière ?

Raphaël CONFIANT : Je tiens à préciser avant toute chose que je ne suis pas lexicologue mais simple lexicographe. De plus, de nos jours, faire un dictionnaire tout seul est impensable. Autrefois, oui, car c'était l'œuvre d'une vie entière comme le montre l'exemple de Littré. Or, j'ai mille autres choses à faire que de me concentrer sur une seule et unique tâche. J'ai donc profité des enquêtes que je réalisais ici et là afin d'écrire mes romans pour récolter des mots ou des expressions. Par exemple, celles que j'ai menées sur l'univers de l'Habitation et de la canne à sucre pour écrire Commandeur du sucre, Régisseur du rhum et La Dissidence. Comme j'enregistrais mes informateurs, j'en profitais, lors du décryptage des cassettes-audio, pour relever tel mot ou telle expression. J'en ai fait de même lorsque j'ai travaillé sur le magico-religieux pour mon livre Mémoires d'un fossoyeur et sur l'univers indo-créole pour mon livre La Panse du chacal. Ce n'est pas académique du tout comme méthode mais comme je l'ai déjà dit, il fallait parer au plus pressé. La Martinique ne pouvait tout de même pas demeurer le seul pays créolophone à ne pas disposer d'un dictionnaire. Même la belle île de Marie-Galante avait le sien ! Simplement avec cette méthode, on passe à côté de bien des lexiques spécialisés comme celui de la pêche dans mon dictionnaire.

MONTRAY KREYOL On suppose que vous avez également puisé dans les ouvrages écrits en créole. Est-ce le cas pour les plus anciens comme celui de François MARBOT, par exemple ?

Raphaël CONFIANT : La, par contre, j'ai procédé à un défrichage quasi-complet. D'abord, le lexique contenu dans la thèse de doctorat sur le créole martiniquais soutenue à la Sorbonne en 1951 par Elodie JOURDAIN, une Békée. Puis, dans MARBOT, certes, mais aussi GRATIANT, MONCHOACHI, RESTOG, EBION, MAUVOIS, LUNG-FOU, Térez LEOTIN, BARTELERY, DURANTY, BELLAY, Georges-Henri LEOTIN, JALA, BOUKMAN, DAVIDAS, KECLARD, ROSIER, LIENAFA, DAVIDAS, DE VASSOIGNE, CONFIANT etc...Chacun des mots de mon dictionnaire est d'ailleurs exemplifié à l'aide d'une phrase extraite d'un ouvrage de l'un ou l'autre de ces auteurs, phrase comportant une traduction française en regard. Cependant, le problème avec l'écriture littéraire c'est qu'elle est presque naturellement amenée à jouer avec les mots, à restreindre ou à élargir leur sens, à en inventer aussi, ce qui fait qu'on ne peut attester du sens d'un mot ou d'une expression ni même de leur existence à partir de leur seule présence dans un texte littéraire. J'ai donc utilisé l'Internet : quand je trouvais un mot intéressant, je le soumettais par mail à ma petite douzaine d'informateurs et si j'avais six ou sept réponses correspondant au sens dans lequel l'écrivain l'avait employé, je considérais que le mot été attesté. Bon, là encore, ce n'est pas très académique mais je n'avais ni les moyens de bénéficier d'enquêteurs de terrain ni le temps de me transformer moi-même en enquêteur de terrain. Ni l'envie non plus à vrai dire. Je voulais combler un vide gênant : le créole martiniquais était, jusqu'à la parution de mon ouvrage en 2007, le seul et unique créole à ne pas disposer d'un dictionnaire.  Le créole guadeloupéen en avait un depuis 1984 !!! Et, 2007, c'était hier, vous vous rendez compte...

MONTRAY KREYOL : Quelles sont les principales difficultés auxquelles vous avez été confronté ?

Raphaël CONFIANT : Normalement, un dictionnariste travaille à plein temps sur son futur ouvrage, ce qui n'a jamais été le cas pour moi. Si bien qu'il m'arrivait de délaisser mon dico pendant trois mois ou même six mois avant d'y revenir, puis le délaisser à nouveau. Je n'avais pas que ça à faire dans la vie ! J'étais enseignant à l'université, militant écologiste, rédacteur dans divers journaux-papier, écrivain surtout et puis, j'ai traversé des moments de doute, voire de découragement. Car publier un truc énorme comme u dictionnaire, ça coûte de l'argent ! Quel éditeur accepterait mon manuscrit ? J'avais en mémoire la fermeture de Hatier-Antilles peu après la publication du dictionnaire du créole guadeloupéen de mes amis Poullet, Montbrand et Telchid, en 1985, si mes souvenirs sont exacts. Et puis, autre difficulté, l'Internet n'était pas encore devenu aussi courant qu'aujourd'hui et j'ai eu du mal à m'y habituer. Or, il m'était indispensable puisque comme je vous l'ai dit, je contactais mes informateurs-témoins par mail. Enfin, j'ai longtemps espéré que notre collègue lexicologue reviendrait à la raison...

MONTRAY KREYOL : Finalement, votre dictionnaire paraît en 2007 donc. 2 tomes et 1.400 pages, ouvrage énorme, en effet, qui était vendu pour la modique somme de 80 euros par votre éditeur. Vous avez dû vous remplir les poches, non ?

Raphaël CONFIANT : Deux tomes, 1.400 pages et près de 20.000 entrées, ça en fait du boulot pendant une dizaine d'années mais ça ne m'a pas rapporté un seul centime. Ni à mon éditeur non plus, Jean-Louis MALHERBE, un "Métro", directeur d'Ibis Rouge. Il avait pris un risque énorme, similaire à celui d'Hatier Antilles pour le dico du créole guadeloupéen d'Hector Poullet et Sylviane Telchid. Je veux le saluer ici ! Il n'est plus dans le métier et a vendu son entreprise, mais il a été un acteur considérable dans le paysage éditorial antillais et guyanais. En fait, il avait fabriqué un bel ouvrage d'où son prix élevé alors que je souhaitais quelque chose de plus modeste, à la portée de toutes les bourses. Mon dico s'est certes assez bien vendu mais ses ventes ont suffi à peine à couvrir les frais d'impression plus que conséquents engagés par Jean-Louis MALHERBE.

MONTRAY KREYOL : Apparemment, il est épuisé depuis 2011, envisagez-vous une réédition ?

Raphaël CONFIANT : Les éditions Orphie ont racheté Ibis Rouge et selon son directeur, il serait prêt à le rééditer mais je n'entends plus parler de lui depuis quelque temps. Donc si jamais il lit cette interview, qu'il me recontacte ! Sinon, depuis 2007, je ne suis pas resté inactif et me suis lancé dans une entreprise un peu mégalo : rédiger un Dictionnaire créole universel. Un ouvrage qui rassemblerait les lexiques de tous les créoles, tant ceux des Amériques que de l'Océan indien : Louisiane, Haïti, Guadeloupe, Dominique, Martinique, Sainte-Lucie, Grenade, Trinidad, Guyane, Maurice, la Réunion et les Seychelles. Je suis dessus depuis douze ans, toujours à mes heures perdues comme d'habitude, et l'ai quasiment bouclé. Florent Charbonnier, directeur de Caraibéditions, s'est dit intéressé par sa publication. On verra donc...    

MONTRAY KREYOL : Après quatre décennies de combat pour la valorisation du créole estimez-vous que la cause est gagnée ?

Raphaël CONFIANT : Non car nos politiques ne comprennent rien à la problématique du créole ! C'est à eux de mettre sur pied une véritable politique linguistique, pas à l'Etat jacobin français peu disposé envers ce qu'il appelle "les langues régionales". Cet Etat, nous, le GEREC, je veux dire, nous l'avons fait reculer au bout de trois décennies de durs combats, menés quasiment seuls à partir de notre petite forteresse universitaire. Nous avons créé une Licence et un Master de créole, nous avons contraint cet Etat à créer un CAPES, puis, tout récemment, une Agrégation de créole. Désormais, le créole est enseigné, à la portion congrue certes, de l'école primaire à l'Université, mais cela ne suffit pas du tout pour sauver une langue. Regardez La Réunion, Tahiti, la Corse ou la Bretagne ! Ces pays ont défini des politiques linguistiques très précises, dotées de vrais moyens financiers, notamment au travers d'Offices de la Langue. Ce n'est pas le cas aux Antilles et en Guyane où l'on se contente d'actions ponctuelles comme en ce mois d'octobre consacré au créole. Mais, ensuite, plus rien ! Nos élus, de quelque bord politique qu'ils soient, ne comprennent, hélas, pas que la priorité doit aller au créole écrit. Beaucoup s'imaginent que parler le mauvais créole qu'il leur arrive d'utiliser de temps à autre suffit. C'est tout simplement affligeant...

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