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OCCIDENT, ISLAM ET VODOU : L’IDEE DE L’AUTRE

Glodel Mezilas
OCCIDENT, ISLAM ET VODOU : L’IDEE DE L’AUTRE

Cet article est la synthèse d’un livre[1] que nous venons de publier en septembre dernier, en comparant l’Occident, l’Islam et le Vodou au regard de l’idée de l’Autre. La rédaction du livre a été dictée par la volonté de comprendre et de d’interpréter à partir de la longue durée la « fracture imaginaire » entre l’Islam et l’Occident en partant du Vodou haïtien et ne vise pas à disqualifier ni l’un ni l’autre ; mais il s’agit tout simplement de saisir la logique historique consubstantielle à leur concept de l’Autre.




[1] Glodel Mezilas, Civilisations et discours de l’altérité. Enquête sur l’Occident, l’Islam et le Vodou, Florida, EDUCAVISION, 2014. 

 

Cette fracture imaginaire se renforce au cours de ce que l’on appelle le « printemps arabe », initié en décembre 2010. En Occident, on observe une certaine préoccupation pour les conséquences des révoltes ayant lieu dans le monde arabe. La peur de l’islamisme, d’un islam radical, politique et de plus en plus anti-occidental a été visible dans les médias occidentaux.

Ce qui précède constitue l’évènement qui légitime notre recherche. Conscient que l’on ne peut pas analyser un phénomène social sans un jugement de valeur, nous partons d’une tradition distincte de l’Islam et de l’Occident : le Vodou haïtien. Ce qui montre que nous pensons toujours à partir d’un lieu déterminé. Ce lieu nous sert de « préjugé » ou de précompréhension.

Les questions à l’origine de notre réflexion sont les suivantes : comment à travers leurs trajectoires historiques, l’Islam, l’Occident et le Vodou se sont-ils représenté l’Autre ? Ces civilisations ont-ils professé le respect, la tolérance et la reconnaissance à l’égard de ceux qui ne font pas partie de leur univers éthique, symbolique et métaphysique ?

L’on se rend compte que dans leur processus historique, l’Occident, l’Islam et le Vodou n’abordent pas de la même manière leur relation/perception de l’Autre. Par leur volonté de domination et leur fondamentalisme métaphysique et éthique, l’l’Islam et l’Occident n’ont pas reconnu la pluralité, la diversité culturelle et éthique. Les deux ont été impérialistes et colonialistes et se sont efforcés d’imposer leur vision hégémonique de l’Autre, soumis à leurs systèmes de valeur, considérés comme le sommet de l’éthique et de la moralité humaine.

L’Islam et l’Occident ont été intolérants face à l’Autre, pour la bonne et simple raison qu’ils pensent détenir la vérité absolue et indiscutable. Ces deux entités civilisationnelles ne reconnaissent pas la pluralité des vérités. La vérité de l’Autre n’est que fantasme, barbarie, primitivisme et anti-civilisation. D’où sa non reconnaissance.

Au contraire, depuis sa formation historique, le Vodou reconnait l’altérité de l’Autre parce qu’il part d’une pluralité d’imaginaires et de croyances provenant d’une diversité d´ethnies et de traditions. A la différence de l’Islam et de l’Occident, il ne se base pas sur des livres sacrés et d’ancêtres mythiques communs. L’identité vodou repose sur la pluralité interne, laquelle lui permet de s’ouvrir à la diversité, à la reconnaissance de l’Autre. Cela le fait échapper à toute vision ethnocentrique de l’Autre, à tout impérialisme et à toute hégémonie. 

La genèse historique du Vodou donne lieu à une dynamique interculturelle transversale où l’Autre est en lui et il est dans l’Autre. Il est constitué de plusieurs Autres, de plusieurs imaginaires, lesquels reposent sur l’idée de traces et non de systèmes hégémoniques comme en Occident et en Islam. Ainsi, dans son processus historique, le Vodou ne cherche jamais à coloniser l’imaginaire de l’Autre. Au contraire, il est porteur d’un imaginaire subalterne qui lutte contre toute forme d’hégémonie, d’asservissement, de domination et d’impérialisme métaphysique et éthique.

A la différence de l’Islam et de l’Occident, le Vodou n’entre pas en relation de confrontation avec l’Autre pour imposer sa vision totalitaire de l’identité. Ce qui signifie que c’est une religion horizontale, créole, créolisante, et non verticale. Il porte une forme d’universalité ouverte, plurielle, complexe, hétérogène, démocratique, transversale, analogique, transmoderne, constructive et non totalitaire. Son universalité est la diversalité, la dialectique ouverte des particularités qui se contaminent dans un processus d´échanges ininterrompus.

En ce qui concerne l’Islam et l’Occident, leur histoire est jalonnée de luttes, d’affrontements, de guerres et de conflits. Les deux s’excluent mutuellement et excluent ceux qui ne font pas partie de leurs civilisations, en mal d’impérialisme. Les deux construisent des univers symboliques pour coloniser et détruire l’imaginaire de l’Autre, parce que tout simplement il est différent. Pour eux la différence culturelle n’est pas de mise.

Pour l’Occident, l’Autre est le barbare et l’Islam, l’infidèle. Depuis les Grecs, l’Autre est barbare car il n’a pas la culture et la langue grecques en héritage. Aussi manque-t-il d’éthique et de moralité. Chez les Romains, l’Autre est barbare, mais un barbare assimilé au cruel. Pour sa part, l’Islam considère l’Autre comme faisant partie de la « Maison de la Guerre » (Dar al-Harb) et non de la « Maison de l’Islam » (Darl al-Islam). Le jihad est la méthode utilisée pour le convertir, alors que l’Occident au Moyen Age utilisait les croisades.

Depuis la colonisation, l’Occident ne cesse d’inférioriser l’Autre en vue de l’incorporer dans son système de valeur qui se base notamment sur la foi chrétienne. Il méconnait l’altérité éthique, culturelle, religieuse et métaphysique de l’Autre. Ce dernier est l’objet de représentations, de fantasme, d’idéalisations, de projections idéologiques comme le montre Edward Said dans le cas de l’orientalisme. Cela vise à le racialiser et l’asservir. Aussi, l’Occident est l’être et l’Autre, le néant. Il a été perçu à partir de son exotisme, son manque de chrétienté, de civilisation, de modernité et d’occidentalité.

La philosophie moderne a été une philosophie de la conscience, du sujet, du moi qui s’impose à partir du cogito cartésien en passant par la phénoménologie idéaliste husserlienne et le moi transcendantale de Kant. Cette philosophie a été une forme d’autoréflexion de son hégémonie et n’a pas été capable de penser l’Autre, le pauvre, le colonisé, l’esclave, le misérable et l’opprimé. Les idéologies à l’intérieur de cette philosophie renvoient au sujet occidental. C’est par exemple le sujet collectif de Marx (le prolétariat). La crise du sujet occidental donne lieu à son autocritique et son autoconscience. Les différentes écoles philosophiques cherchent à repenser le sujet occidental pour réaffirmer son hégémonie et sa supériorité.

De même, c’est l’instinct d’hégémonie,  du retour à un âge d’or mythique qui anime l’islamisme, la nostalgie du temps du Prophète Mahomet. Comme Occident, l’Islam a blessé des peuples par la violence et la domination. Il a détruit des civilisations et des cultures ; il a construit et détruit des empires. Certains peuples en Asie, en Afrique ont été traumatisés par les horreurs de l’impérialisme islamique. Les empires abbasside, omeyade, mongol et ottoman ont dominé des peuples et des cultures en son nom.

Tout ceci pour dire que la fracture entre l’Occident et l’Islam surgit de la naissance du premier. Quand l’Islam est né, il prétendait corriger et dépasser les autres monothéismes (christianisme et judaïsme). Aussi, il s’agit d’une religion dialectique, dans le sens qu’elle prétend nier et dépasser ce qui lui précède. Son opposition au christianisme et au judaïsme est frontale, même si le Coran leur doit beaucoup et a des choses en commun avec eux.

La fracture entre l’Islam et l’Occident a des profondeurs historiques, métaphysiques et éthiques. Par leurs systèmes de valeur, ils sont radicalement différents. A l’opposé, le Vodou haïtien est une religion de la relation, une religion créole ; il se base sur la pluralité des valeurs et des références, qui n’ont pas de mythes et d’ancêtres communs. Les groupes ethniques qui formaient le Vodou venaient de traditions, généalogies et de géographies différentes. La diversité ethnique, culturelle et éthique est sa matrice hétérogène et complexe.

Cette religion n’a pas de centre. On y trouve des croyances africaines, européennes, aborigènes, etc. Elle ressemble à la métaphore de totalité-monde dont parle Edouard Glissant.  Ce sont les traces du passé qui forment sa structure interne. D’où son incapacité à être hégémonique, totalitaire, intolérante et impérialiste. Les imaginaires circulent dans cette religion, et proviennent de lieux distincts voire opposés. Ils entrent dans un processus de créolisation, d’ouverture, d’échanges imprévisibles. C’est une religion de choc, d´harmonie, de disharmonie, rupture, de diversité d’imaginaire. En conséquence, sa perception de l’Autre est d’inclusion et non d’exclusion. Dans son système interne, il y a une certaine éthique de l’Autre et une ouverture à l’universalité. Sa pluralité interne est caractérisée par la transversalité culturelle, qui ne repose sur aucune fragmentation postmoderne, mais plutôt sur une forme de diversalité, c’est-à-dire, une forme d’unité de la diversité. La diversalité est l’universalité basée sur la pluralité complexe mais toujours ouverte à de nouveaux éléments.

Le Vodou constitue une nouvelle éthique civilisationnelle, un projet pour penser une nouvelle forme d’universalité plus universelle, plus inclusive, plus complexe, une universalité horizontale. Ce qui est caractéristique du Vodou est que sa prétention d’universalité n’est dictée par aucune forme d’hégémonie, vu qu’il surgit de la blessure coloniale, d’une résistance subalterne à l’hégémonie coloniale. C’est une religion de la mémoire souffrante, blessée et opprimée.

Cette religion subalterne déploie une logique historique, basée sur la récupération des voix victimes. Elle s’éloigne de la philosophie de l’histoire occidentale basée sur l’idée de progrès et de la dichotomie islamique entre la Maison de la Guerre et la Maison de l’Islam.

Au-delà d’une vision essentialiste, le Vodou invite à l’échange, à l’ouverture. La diversité est son mode d’être, son Dasein, son être-dans-le-monde. Il ne se ferme pas sur lui-même, mais plutôt il cherche la relation, la fécondation. Sa capacité à entrer en relation lui fournit cette structure inter-imaginaire et interculturelle.

Glodel Mezilas

mezilasg@gmail.com

                                    Autor de los libros siguientes:

  1. Haití más allá del espejo. Historia, cultura, subdesarrollo, México, Editorial Praxis, 2011.

2-     Généalogie de la théorie sociale en Amérique Latine. L’Occident en question, Port-au-Prince, Editions de l’Université d’Etat d’Haïti, 2013.

3-     Qu’est-ce qu’une crise ? Eléments d’une théorie critique, Paris, Editions L’Harmattan, 2014.

4-     Civilisations et discours de l’altérité. Enquête sur l’Occident, l’Islam et le Vodou, Florida (USA), Educavision, 2014.

Commentaires

Khuma MÜZÜ | 18/12/2014 - 15:24 :
Bonjour, Très intéressée par votre article ci-dessus, je souhaiterais me procurer le bouquin : "Civilisations et discours de l’altérité. Enquête sur l’Occident, l’Islam et le Vodou", merci de m'indiquer comment faire. Khuma Müzü

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