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METTEZ DU WOLOF DANS VOS BIBLIOTHEQUES !

Par Abdourahman Waberi http://www.lemonde.fr/
METTEZ DU WOLOF DANS VOS BIBLIOTHEQUES !

Le mois de mars annonce le printemps, synonyme de renouveau. Un écrivain sénégalais nous apporte une excellente nouvelle qui vient secouer les cocotiers du paysage culturel africain. Jugez-en plutôt. Une nouvelle structure éditoriale qui voit le jour, c’est déjà un petit événement. Ajoutons que ladite structure sera présente sur trois continents, ce qui est remarquable. Signalons enfin que cette dernière est dédiée entièrement à une langue africaine - le wolof – et vous saisissez la nature exceptionnelle du projet.

L’homme qui a longtemps porté sur ses épaules ce rêve avant de le voir se concrétiser n’est autre que l’écrivain, traducteur et éditeur sénégalais Boubacar Boris Diop. Ses complices sont la maison d’édition française Zulma et Mémoire d’encrier, une maison fondée par un poète haïtien passionnément solidaire, Rodney Saint-Eloi, et installée à Montréal. Si l’on doit cette aventure à Boubacar Boris Diop, son inspirateur en est Cheikh Anta Diop, le grand intellectuel et homme politique sénégalais qui a donné à l’université de Dakar son nom. Voilà pourquoi la nouvelle collection porte le beau nom de Céytu qui renvoie au village natal de l’auteur de Nations nègres et culture.

Mariama Bâ, J. M. G. Le Clézio et Aimé Césaire

Les premiers fruits de Céytu sont déjà là. Ils sont au nombre de trois et si beaux à dévorer des yeux qu’il me prend l’envie d’apprendre le wolof rien que pour les lire dans cette langue en quête de cette dignité littéraire que seule la traduction octroie dans la durée. Saluons déjà le choix éditorial judicieux : Bataaxal bu gudde nii (Une si longue lettre de Mariama Bâ) traduit en wolof par Mame Younousse Dieng et Arame Fal ; Baay sama, doomu Afrig (L’Africain du lauréat du prix Nobel de littérature Jean-Marie Gustave Le Clézio) traduit par Daouda Ndiaye et Nawetu deret (Une saison au Congo d’Aimé Césaire) traduit par Boubacar Boris Diop lui-même.

D’emblée, le pari de faire des livres de qualité est atteint. La diffusion qui reste l’écueil majeur rencontré par les professionnels du livre sur le continent est contournée par la coédition avec les maisons parisienne et canadienne. Ce choix ne fait pas seulement le bonheur des 11 millions de lecteurs potentiels qui se trouvent au Sénégal, dans les pays limitrophes (Mauritanie, Gambie) et dans la diaspora. Il s’inscrit dans un mouvement de fond qui voit dans le retour aux langues nationales l’une des conditions du développement réussi.

Si les figures intellectuelles hier prêchaient dans le désert lorsqu’elles mettaient en avant les langues africaines, ce n’est plus le cas aujourd’hui. Au mitan des années 1980, le prolifique auteur kenyan Ngugi wa Thiong’o fait son adieu à l’écriture romanesque en langue anglaise. Désormais, il écrit dans sa langue maternelle : le kikuyu, pour toucher directement ses compatriotes et jeter les premières pierres d’une littérature en langue kikuyu. Ensuite, il prend le temps de traduire ses romans en anglais. La primeur et la saveur littéraires, il les destine à sa langue maternelle.

Dialogue entre les langues

Pour Ngugi Wa Thiong’o comme Boubacar Boris Diop qui a publié son roman directement en wolof (Doomi Golo) en 2003, il ne s’agit pas de faire preuve de chauvinisme linguistique et encore moins de dresser une langue contre une autre. Au contraire, il faut s’engager bel et bien dans le dialogue entre les langues en passant avec bonheur de l’une à l’autre, en s’attardant sur les chemins de la traduction.

Même sous Senghor, le règne du français n’était pas sans partage au Sénégal. Les productions littéraires en langues africaines y sont plus anciennes que la production francophone. Sembène Ousmane tournait ses films en wolof et Cheikh Anta Diop préconisait l’usage des langues africaines à l’école et dans l’administration. Certes, il aura fallu attendre quelques décennies mais les faits sont là aujourd’hui : à l’université Cheikh Anta Diop, une formation dans les différentes langues nationales est sur le point de démarrer pour les 7 000 étudiants, l’Institut supérieur de management propose depuis peu un enseignement en wolof et enfin, l’Assemblée nationale montre l’exemple en introduisant la traduction simultanée dans l’hémicycle.

A vrai dire, les peuples africains sont en avance sur leurs élites. Le temps de la création en langues nationales est presque arrivé, y compris dans les pays francophones. Il ne reste plus qu’à faire connaître et voyager ces œuvres. C’est la mission de Céytu. Nous lui souhaitons une longue vie !

Abdourahman A. Waberi est né en 1965 dans l’actuelle République de Djibouti, il vit entre Paris et les Etats-Unis. Il est aujourd’hui professeur à la George Washington University. Auteur entre autres de Aux Etats-Unis d’Afrique (éd. JC Lattès, 2006), il a publié La Divine Chanson (éd. Zulma) en 2015.

Post-scriptum: 
L'écrivain sénégalais Boubacar Boris Diop, le 15 mars 2006 à Paris. CRÉDITS : STEPHANE DE SAKUTIN / AFP

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