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«MÉDIATISATION», «SHOW BUSINESS», MENSONGES ET AUTRES DÉCERVELAGES …

«MÉDIATISATION», «SHOW BUSINESS», MENSONGES ET AUTRES DÉCERVELAGES …


La chanson du décervelage

 

Je fus pendant longtemps ouvrier ébéniste,
Dans la ru’ du Champ d’Mars, d’la paroiss’ de Toussaints.
Mon épouse exerçait la profession d’modiste,
Et nous n’avions jamais manqué de rien. -
Quand le dimanch’ s’annonçait sans nuage,
Nous exhibions nos beaux accoutrements
Et nous allions voir le décervelage
Ru’ d’l’Échaudé, passer un bon moment.
Voyez, voyez la machin’ tourner,
Voyez, voyez la cervell’ sauter,
Voyez, voyez les Rentiers trembler ;
(Chœurs) : Hourra, cornes-au-cul, vive le Père Ubu !

Nos deux marmots chéris, barbouillés d’confitures,
Brandissant avec joi’ des poupins en papier,
Avec nous s’installaient sur le haut d’la voiture
Et nous roulions gaîment vers l’Échaudé. -
On s’précipite en foule à la barrière,
On s’fich’ des coups pour être au premier rang ;
Moi je m’mettais toujours sur un tas d’pierres
Pour pas salir mes godillots dans l’sang.
Voyez, voyez la machin’ tourner,
Voyez, voyez la cervell’ sauter,
Voyez, voyez les Rentiers trembler ;
(Chœurs) : Hourra, cornes-au-cul, vive le Père Ubu !

Bientôt ma femme et moi nous somm’s tout blancs d’cervelle,
Les marmots en boulott’nt et tous nous trépignons
En voyant l’Palotin qui brandit sa lumelle,
Et les blessur’s et les numéros d’plomb. -
Soudain j’perçois dans l’coin, près d’la machine,
La gueul’ d’un bonz’ qui n’m’revient qu’à moitié.
Mon vieux, que j’dis, je r’connais ta bobine,
Tu m’as volé, c’est pas moi qui t’plaindrai.
Voyez, voyez la machin’ tourner,
Voyez, voyez la cervell’ sauter,
Voyez, voyez les Rentiers trembler ;
(Chœurs) : Hourra, cornes-au-cul, vive le Père Ubu !

Soudain j’me sens tirer la manch’ par mon épouse :
Espèc’ d’andouill’, qu’ell’m’dit, v’là l’moment d’te montrer :
Flanque-lui par la gueule un bon gros paquet d’bouse,
V’là l’Palotin qu’a just’ le dos tourné. -
En entendant ce raisonn’ment superbe,
J’attrap’ sur l’coup mon courage à deux mains :
J’flanque au Rentier une gigantesque merdre
Qui s’aplatit sur l’nez du Palotin.
Voyez, voyez la machin’ tourner,
Voyez, voyez la cervell’ sauter,
Voyez, voyez les Rentiers trembler ;
(Chœurs) : Hourra, cornes-au-cul, vive le Père Ubu !

Aussitôt j’suis lancé par-dessus la barrière,
Par la foule en fureur je me vois bousculé
Et j’suis précipité la tête la première
Dans l’grand trou noir d’ous qu’on n’revient jamais. -
Voilà c’que c’est qu’d’aller s’prom’ner l’dimanche
Ru’ d’l’Échaudé pour voir décerveler,
Marcher l’Pinc’-Porc ou bien l’Démanch’-Commanche,
On part vivant et l’on revient tudé.
Voyez, voyez la machin’ tourner,
Voyez, voyez la cervell’ sauter,
Voyez, voyez les Rentiers trembler ;
(Chœurs) : Hourra, cornes-au-cul, vive le Père Ubu !

 

Alfred Jarry

« panem et circences » est une formule fameuse de Juvénal, poète satirique latin de la fin du Ier siècle, qui fustigeait la Rome impériale transformée selon lui en une ville gigantesque, une monstrueuse scène de théâtre remplie de bouffons qui s'ignoraient et d'aigrefins, un vaste lupanar. « du pain et des jeux » semblaient être la seule préoccupation des Romains. Cette expression qualifie de nos jours, avec une pointe de mépris, les aspirations populaires dénuées de toute réflexion, de toute conscience, un vide de la pensée réduit à des plaisirs futiles. Finalement peu de peuples, à l'abri du besoin et de la servitude et en dehors des conflits, se sont élevés au-dessus du simple hédonisme, manger, boire, baiser et la passion du sport et des jeux.

Au fond, il faut être assez masochiste pour se torturer l'esprit à observer le monde et exercer son esprit critique sur la façon dont il tourne, ce qui est généralement désolant, ou pour simplement se cultiver ce qui exige un minimum d'effort intellectuel, ou, par un exercice de l'esprit, chercher à acquérir des valeurs morales élevées voire la sagesse, ce qui, là encore, exige à la fois discipline, travail, étude et réflexion tandis que consacrer sa vie aux plaisirs immédiats est à la portée de tous et n'exige aucun effort particulier. Peut-on reprocher au bon peuple de travailler pour sa subsistance et de se divertir le reste du temps ? N'en déplaise à ce même Juvénal qui a aussi écrit « mens sana in sano corpore » soit « un esprit sain dans un corps sain. » Posséder un esprit sain est aujourd'hui facultatif et même dangereux.

Au début du XIX ème siècle, l'essor économique a permis un production de masse et l'offre de produits manufacturés qu'il convenait de faire connaître. Ainsi est née la réclame. Son seul but était de faire exister les produits, ou d'autres services, pour le plus grand nombre. Mais rien ou presque ne mettait en avant les qualités de ces produits, de lieux, de services. Puis la publicité est arrivée. Cette fois, l'objectif était de vanter les mérites de tel ou tel produit. La publicité est devenu un art. Les entreprises y consacrent un budget colossal, la concurrence. Il est d'ailleurs loin le temps où « Moulinex libérait la femme ». On constate aujourd'hui, un matraquage publicitaire qui n'hésite pas à promettre n'importe quoi, selon les prétendues aspirations des Français et autres. Les publicitaires dont les « spots » ont toujours un esthétique certain, et des décors luxueux, n'hésitent pas à vanter n'importe quoi comme une vague eau minérale qui vous permet de perdre trois kg en dormant. Le plus indécent est que tout est presque proposé, dans une mise en scène luxueuse, bienheureuse, donc certainement coûteuse, lorsque l'on sait que la France s'enfonce dans la crise, le pouvoir d'achat se réduit, la pauvreté augmente voire la misère. Nous en arrivons au niveau du mépris et du mensonge. Et d'un manque de respect flagrant de la part des publicitaires et de leurs commanditaires. Mais le bon peuple peut rêver !

Seulement la promotion  de tel ou tel produit, qui nécessairement entrainera sa consommation chez le quidam moyen, s'adresse, aujourd'hui de façon systématique à toute forme de communication dans notre société, changeant de nom, mais pas de duperie : la médiatisation. Nous vivons désormais dans un monde où l'image, le message, sont  étudiés dans la forme au détriment de l'argument, du fond de ce message. Plus rien n'y échappe. Et le peuple est devenu otage de cette médiatisation. L'homme est devenu objet et de moins en moins sujet. On s'emploie à ce qu'il pense de moins en moins. D'ailleurs, on pense à sa place et de plus en plus. Je ne ferai pas la critique de la pub? D'autres l'ont fait mieux que moi et la pub a fait l'objet de trouvailles géniales. Une ancienne émission censée les recueillir « culture pub » en sélectionnait dans le monde entier. Et l'inventivité des publicistes tenait par fois du génie. Jacques Séguela, une des plus fameux en France et qui, en homme de gauche avait orchestré la campagne présidentielle de François Mitterand en 1981 mais qui en homme de conviction et de fidélité s'est rallié à Nicolas Sarkozy a lancé cette phrase superbe : « tout homme qui ne possède pas sa Rollex à 50 ans, a raté sa vie ». Vu le prix des montres Rollex, l'immensité du peuple français a raté sa vie.

La politique n'est pas épargnée, loin de là. On assiste à une sorte de commedia dell arte ou à une mauvaise série B américaine, passée en boucle. L'important n'est plus le message politique, les idées ou les projets. L'occupation du champ médiatique est devenu bien plus prépondérante. Dans les débats, sur les news, chaque membre de la nomenklatura politique, de gauche comme de droite, soigne son apparence et l'on perd son temps à écouter une langue de bois savamment maîtrisée. Tout n'est plus que « communication », donc illusion et esbroufe. Ce point a d'ailleurs fait l'objet d'une note ministérielle provenant du rottweiller félon, Éric Besson, qui demandait à ses services d'évaluer l'impact médiatique de l'expulsion des Rom de France. A ce sujet, en dépit de croisements d'épée au niveau européen, la France a été blanchie. Elle a le droit d'expulser, « la commission ayant obtenu des garanties de la France. » Quelles garanties ? On ne sait. Peut-être, éviter, le courroux, plein de fatuité,  de Nicolas Sarkozy et quelques vagues avant le G20. Et puis les Rom, leur sort, cela n'est pas si grave au fond ! La politique française n'est plus affaire que de communication ou de médiatisation. Les Français le savent et s'en détournent. Que faire dans une dictature en dehors d'un coup d'État, d'une Révolution ? Et les Français d'aujourd'hui qui haïssent le pouvoir sécuritaire du Président, ne feront pas une Révolution, avec gourdins et fourches. Car l'individualisme est le propre de notre société. C'est chacun pour soi. Et bon nombre de Français ont été lobotomisés. Il y a une façon de consommer, une façon de se divertir et, surtout, une façon de penser. Le pouvoir d'achat a baissé et un chômage élevé s'installe. Alors c'est « sauve qui peut » ou « chacun sa merde ». Les Français fortunés s'enrichissent et les classes moyennes sont tirées vers le bas. Soit vers la pauvreté car dans la 5 ème puissance mondiale, 8 millions de personnes vivent en dessous du seuil de pauvreté, soit environ 900 euros par mois. Cela ressemble de plus en plus à une structure sociale du tiers-monde.

L'information n'est pas non plus épargnée, puisque on n'existe plus que par l'image, la propagande, etc. Tout doit être politiquement correct. De toute façon, tous les médias appartiennent à des proches du pouvoir. La liberté notamment celle d'expression a disparu. L'égalité est un leurre, je ne citerai pas d'exemples, trop nombreux. Quant à la Fraternité, en dehors d'associations caritatives, elle a disparu. On se parle peu et l'entraide a aussi disparu. Pourtant, je viens de citer les fameuses valeurs républicaines, censées avoir inspiré notre République. République, démocratie, plus rien ne peut qualifier la France sous ces vocables. Seul le mot « dictature » est proche de la réalité.

En revanche le populisme se porte bien et il est entretenu. La quart des kiosques à journaux est consacré au petits bobos des « people » : beaucoup d'américaines riches ou de stars totalement déjantées. On peut tout savoir sur leurs avatars, toujours du dérisoire, alors je ne citerai pas de nom mais le bon peuple s'en délecte. Il achète du rêve car la vraie vie n'est plus un rêve. Si on se délecte de leurs épopées amoureuses, je veux parler de quelques petites connes fortunées, ce qui intéresse surtout c'est leur train de vie, leurs dépenses indécentes, les fluctuations de leur fortune. Il existe des émissions qui ne parlent que de cela. On est en haleine : combien une jeune bécasse a payé une suite au Meurice ou au Ritz à Paris, le montant de la location d'un yacht venant s'amarrer à Saint-Tropez, la folie du shopping à Paris d'une autre et cela est en milliers d'euros. Mais on se délecte aussi de leurs bobos sentimentaux, on les plaint, les pauvresses. Voilà, ce qui fait rêver la France. Le « show business » qui contient comme son nom l'indique le mot « business » donc le pognon. Autrefois on parlait de music-hall, de cabaret-concert, de caves à jazz, où il était possible de venir avec une guitare sur le dos ou un saxophone et de plaquer quelques accords délirants ou en chantant sa composition, en première partie. Aujourd'hui ce temps est révolu. On fabrique des stars, qui vont rapporter beaucoup, sans se préoccuper de leurs qualités vocales ni des textes qu'elles n'auront jamais écrits. L'important est qu'elles vivent dans des caprices, des débauches car de cela, on se délecte toujours et on en tire profit.

Ainsi va la France, évoluant vers un populisme, l'attrait pour le « show business » sans parler du sport davantage masculin dont on est abruti à l'extrême, qui nourrit d'interminables discussions sur les zincs des troquets.
Dans cette France actuelle, si belle, si riche humainement, si diversifiée,  l'entreprise de décervelage est en train de réussir. Car tout devient virtuel, mensonger, dirigé. La Nation française est supérieure par essence à l'État. Elle est aujourd'hui à genoux, suppliante, implorante. Nous sommes loin de 1789 et des idéaux des révolutionnaires. Robespierre, aujourd'hui, aurait fait couper un nombre incalculable de têtes et en premier celle du Chef de l'État, en place de grève.

Question « show business », je suis tombé par hasard, sur une chanteuse dont le profil ne correspond pas à ces chanteuses ou danseuses américaines, sexy et montrant leur cul pour faire vendre leurs stupides mélopées. Son parcours n'est pas, non plus, un parcours de starlette. Elle est apparue dans une sorte de radio-crochet anglais. Elle s'appelle Susan Boyle. Voici sa vie.

Née en 1961, Susan Boyle commence à chanter à l'âge de neuf ans dans la chorale paroissiale. Elle est cadette d'une famille de neuf enfants, dont quatre frères: Joe, John, James et Gerry et quatre sœurs : Patricia, Kathleen, Mary et Bridie. Susan Boyle grandit à Blackburn (Écosse), un village de 4 700 habitants, situé à une trentaine de kilomètres d'Édimbourg. Adulte, elle a du mal à trouver un travail mais fréquente assidûment les karaoke locaux, chante dans le chœur de la paroisse et joue également du piano. En 1984, une vidéo amateur montre Susan Boyle chantant dans un karaoké The Way We Were. À 25 ans, elle chante I Don't Know How to love Him pour l'anniversaire de mariage de ses parents. Mais c'est en 1995, alors qu'elle a 33 ans, qu'elle fait sa première apparition à la télévision sur ITV, lors d'une émission de télé-réalité à la découverte de nouveaux talents : My Kind Of People, émission présentée par Michael Barrymore en interprétant I Don't Know How To Love Him extrait de Jésus Christ Super Star.

En 1999, chanteuse dans une chorale catholique, Susan Boyle avait participé à l'enregistrement d'un CD de charité tiré à 1 000 exemplaires, à ses propres frais. Elle y interprétait la chanson Cry Me a River d'Arthur Hamilton ainsi que la chanson Killing Me Softly with His Song. En 1999, alors que son père meurt à la suite d'un cancer, elle décide de rester vivre avec sa mère Bridget, pour la soigner. Sa mère l'encourage à chanter et à se produire devant un plus large public que la paroisse où Susan Boyle chante. Sa mère meurt à son tour, en 2007. À 47 ans, célibataire sans enfant, au chômage qui plus est, elle vit seule avec sa chatte Pebbles dans la petite maison familiale, située dans la grande banlieue d'Édimbourg que louaient ses parents et qu'elle n'a jamais quittée. C'est alors, en 2009,  que Susan Boyle se présente à l'émission Britain's Got Talent, 3e saison, une émission télévisée britannique à la recherche de nouveaux talents. Elle n'y apparaît pas en short-mini et chante en demi-finale le fameux Memory» de la comédie musicale « cats ». Barbra Sreisand l'a aussi interprété avec talent. Mais cette version que je vous livre est, à mes yeux, la plus belle interprétention que j'ai entendue. En finale elle échoue de peu en chantant Dreamed a dreamed face à un groupe de danseurs pop.

Les présentateurs, les jurés : Simon Cowell, Amanda Holden et Piers Morgan, ainsi que les spectateurs, ont été littéralement subjugués par la qualité de l'interprétation de Susan Boyle. « Il ne fait aucun doute que c'est la meilleure surprise que j'ai eue en trois années d'émission » explique le présentateur Piers Morgan après sa prestation. « Quand vous vous êtes présentée devant nous, en disant que vous vouliez ressembler à Elaine Paige, tout le monde a ri. Plus personne ne rit à présent. (...) C'est une incroyable performance. »

La tension due à cette soudaine vie de célébrité dont les commentaires moqueurs de certains journaux britanniques et le stress causé par ces épreuves lui est finalement difficile à supporter et le lendemain de sa défaite en finale, Susan Boyle est transportée en urgence dans une clinique psychiatrique. Cinq jours plus tard, Susan Boyle se remet de son énorme coup de fatigue et sort de l'hôpital.

Susan Boyle, par cette simple prestation a obtenu un succès mondial foudroyant. Elle doit chanter devant le Pape prochainement. Bien qu'il ne s'agisse pas d'un événement exceptionnel, je vois mal, les jeunes stars américaines, alcooliques, shootées et délurées franchir les portes du Vatican.

Mais je vous laisse écouter cette interprétation de  Memory 

http://www.youtube.com/watch?v=U7Ayk9G7-sc

Thierry Caille

Photo du logo : Susan Boyle, un parcours bien éloigné du «star business»

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