A huit mois de la présidentielle et dans un contexte marqué par le drame des réfugié.e.s afghans, le monde politique français est à nouveau saisi d’hystérie sécuritaire et immigrationnelle. A droite, le Premier flic de France, missionné par un Président de Droite et de Droite, dont on a bien compris qu’il allait frapper encore plus fort que Marine Le Pen désormais jugée « trop molle ». A l’extrême-droite, une candidate « dédiabolisée et relookée » pour les besoins de la cause et qui charge son vice-président Jordan Bardella d’agiter le spectre du « grand remplacement » : « les données de l’INSEE nous confirment ce que nous disons depuis longtemps : l’immigration entraîne un changement de population, inédit dans notre histoire par sa rapidité et son ampleur. Il nous reste peu de temps pour choisir le visage qu’aura demain la France » ! Face à une idéologie qui est le terreau de la haine, du racisme mais aussi de l’antisémitisme, une Gauche toujours pas à la hauteur des valeurs humanistes qu’elle incarnait proteste mais avec mesure car elle espère bien reconquérir l’électorat populaire qui lui fait désormais défaut. Un débat franco-français ? Non, car notre péi fort de ses 860 000 immigré.e.s, est peu à peu gagné par ce poison mortel comme l’attestent les résultats de Marine Le Pen aux dernières présidentielles (23.46 % au 1er tour et 39.74% au 2ème) mais aussi le positionnement et les discours de certains de nos compatriotes.
Quand pour compléter les propos cités plus haut, le futur président du RN ajoute : « Oui, il y a un basculement démographique qui pourrait faire craindre que la France ne change de visage dans quelques années, et c’est déjà en train d’arriver…Allez vous balader dans tous les quartiers où moi j’ai grandi, en Seine-Saint-Denis, à Bobigny, à Drancy…», affirmons haut et fort notre fierté d’être de ces visages qui reflètent la créolisation du monde ! Quand certains ex-candidats aux régionales de ce même parti écrivent ces propos ignobles : « Il a de la chance, lui, parce que moi je vois ça, le Noir, je l’explose » … « Qu’on arrête de construire des mosquées, je suis OK pour les faire sauter » complété par « ces sales barbares… », ils insultent nos parents, frères, sœurs, ami.e.s…de cœur ou de sang ! Quand Eric Zemmour, probable candidat à la magistrature suprême, condamné plusieurs fois pour provocation à la haine raciale et à la discrimination et appelé à comparaitre le 8 septembre prochain devant un tribunal correctionnel, déclare « Ils n’ont rien à faire ici, ils sont voleurs, ils sont assassins, ils sont violeurs, c’est tout ce qu’ils sont. Il faut les renvoyer, et il ne faut même pas qu’ils viennent. », il piétine le droit d’asile et les traditions d’accueil qui font l’honneur de la France !... Le RN serait-il un parti xénophobe alors qu’un Réunionnais est son représentant local ? La réponse tout en subtilité a été donnée par Nadine Morano (LR) : « Je ne suis pas raciste, j’ai une amie plus noire qu’une arabe » !
En danger, la Réunionnité est également menacée de l’intérieur quand certains d’entre nous par mimétisme intellectuel, frustration identitaire ou adhésion participent à l’émergence d’un communautarisme variant réunionnais. Je suis consterné d’entendre un peu plus chaque jour l’expression d’une parole raciste décomplexée à l’endroit de nos frères et sœurs mahorais.es et je dis que ces Réunionnais.es-là parlent RN. Je garde encore en mémoire les posts haineux sur les réseaux sociaux enjoignant les migrants sri-lankais à « artourn dan zot péi » et qui résonnent comme un déni de l’histoire du peuple réunionnais. Je suis atterré de voir que notre viv an kréol pourrait être fracturée sur des bases « ethniques » fallacieuses alors que nous faisons peuple depuis des décennies. Au bout du chemin, un clientélisme Kaf, Komor, Malbar, Shinwa, Yab, Zarab, Zorèy et des revendications spécifiques pour chacun d’entre eux que des politiciens péi s’empresseront d’instrumentaliser. Je suis enfin effaré de constater qu’un universitaire réunionnais, tête de liste aux dernières régionales, et ses partisans puissent sans que personne ne s’en émeuve vraiment, se prévaloir de cette théorie du grand remplacement prônée les Renaud Camus, Alain Soral…et autres théoriciens d’une extrême droite raciste, xénophobe, antisémite, islamophobe… Dans cette logique sans doute, des charters-retour pour les zorèy, puis pour les mahorais.es et ensuite du plus clair au plus foncé d’entre nous -ou inversement- pour assurer enfin la « pureté de la race » !
L’Histoire des peuples colonisés n’a jamais eu la place qui lui revient de droit à côté de celle de nos ancêtres gaulois mais elle reste le meilleur antidote contre le racisme, l’antisémitisme…et les guerres fratricides. Emprunter le chemin des haines conjuguées serait par ailleurs une insulte à la mémoire de celles et ceux qui, avec leur sang et des larmes, nous ont laissé en héritage la Batarsité.
Concluons en tirant les enseignements de deux faits historiques majeurs de l’année 1994 : le 7 avril commençait l’épouvantable génocide rwandais pour lequel les responsabilités « lourdes et accablantes » de la France, présidée alors par François Mitterrand, sont désormais officiellement établies ; le 10 mai de cette même année, Nelson Mandela accédait à la magistrature suprême de la nation arc-en-ciel sud-africaine. Puisse Madiba inspirer la Nasyon bann fran batar que nous sommes et voulons demeurer !
Michaël Crochet
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