Accueil
Aimé CESAIRE
Frantz FANON
Paulette NARDAL
René MENIL
Edouard GLISSANT
Suzanne CESAIRE
Jean BERNABE
Guy CABORT MASSON
Vincent PLACOLY
Derek WALCOTT
Price MARS
Jacques ROUMAIN
Guy TIROLIEN
Jacques-Stephen ALEXIS
Sonny RUPAIRE
Georges GRATIANT
Marie VIEUX-CHAUVET
Léon-Gontran DAMAS
Firmin ANTENOR
Edouard Jacques MAUNICK
Saint-John PERSE
Maximilien LAROCHE
Aude-Emmanuelle HOAREAU
Georges MAUVOIS
Marcel MANVILLE
Daniel HONORE
Alain ANSELIN
Jacques COURSIL

LETTRE A YVES MONTHIEUX

Raphaël Confiant
LETTRE A YVES MONTHIEUX

Cher Yves Monthieux,

Je ne suis d’accord avec presque rien de ce que vous écrivez dans Antilla et divers sites-web de la place, mais je ne suis pas de ceux qui vous vouent aux gémonies parce que vous défendez des idées considérées droitières car j’estime que c’est maintenant, dès maintenant, que nous devons faire l’apprentissage de la controverse, des divergences d’opinion, de la saine polémique, bref de tout ce que recouvre le terme « débat démocratique ». Oui, maintenant, et pas le lendemain matin de l’indépendance. Je vous imagine sourire. Elle n’est pas pour demain, vous entends-je murmurer. Ce n’est pas grave. Mon sujet du jour n’a rien avoir avec cela.

Il a à voir avec une antienne qui revient depuis quelque temps sous votre plume à savoir le fait que nous n’ayons pas, nous Martiniquais, de ministre dans le gouvernement français et cela à cause d’un « diktat » énoncé par Aimé Césaire. A vous entendre, ce serait là la cause de tous nos malheurs et notamment des décisions prises ministériellement à propos de l’aéroport international, du futur port d’éclatement et de la crise de l’UAG, décisions qui défavoriseraient la Martinique. Bref, il y aurait urgence pour nous à disposer d’un strapontin à l’Elysée pour être à égalité avec les autres et ainsi espérer obtenir les faveurs du Maître. Si on comprend bien, hier, au temps de l’esclavage, il fallait flatter le Papa Béké-pays pour qu’il nous ôte des champs de canne et nous donne un poste à l’abri du soleil dans sa Grand’Case ; aujourd’hui, il nous faut flatter le Papa Béké-France afin qu’il consente à nous attribuer une « tite place » dans son gouvernement. Vous me permettrez de ne pas être d’accord avec cette stratégie qui relève du compère-lapinisme le plus affligeant. Car vous connaissez aussi bien que moi le personnage de compère Lapin dans nos contes créoles : il passe son temps à couillonner tout le monde, ses parents, ses amis, le Diable et même le Bondieu (sans succès). Et évidemment nul souci chez lui du bien commun. Seul l’intéresse sa petite personne à lui. Suivez mon regard !

Non, nous n’avons pas besoin, nous Martiniquais, de ministre ou de sous-ministre dans le gouvernement français. Que d’autres jugent utiles d’en avoir, c’est leur problème ! Cela ne nous regarde pas. Tout ce que j’espère c’est qu’à la faveur de quelque remaniement ministériel, le PPM ne trahira pas la position du Nègre fondamental, surtout en cette année du centenaire de sa naissance où ce parti a usé et abusé parfois de son image. Le fondement de la position de Césaire est clair : nous sommes un peuple, un peuple différent des Français, même si des siècles d’histoire nous lient au peuple français. A cause de l’ignominie esclavagiste, nous avons cessé d’être Africains, mais nous n’en sommes pas devenus Français pour autant. Nous avons su nous reconstruire, rebâtir une nouvelle langue et une nouvelle culture, recréer (« créole » vient de « créer ») une identité neuve. Nous sommes devenus des Martiniquais. J’ajouterais des Martiniquais géographiquement et des Créoles culturellement. Ne confondons pas identité et carte d’identité, cher Yves Monthieux ! Surtout nous avons su résister à la formidable entreprise d’assimilation et de dilution de notre peuple mis en place par les différents gouvernement français de la Ve République, avec leurs complices locaux de la Droite et d’une certaine Gauche durant toute la deuxième moitié du XXe siècle. Certes, cette entreprise mortifère n’a pas été sans conséquences puisqu’elle a abimé notre estime de nous-mêmes, elle nous a fait croire que nous étions incapables de vivre par nous-mêmes et elle nous a fait, comme en 2010, voter contre cette poussière d’autonomie qu’était l’article 74. Toutefois, dans le même temps, nous avons su réduire la Droite à une peau de chagrin et nous avons osé voter aux élections régionales et législatives pour des indépendantistes. Contradiction ? Quel peuple, quel être humain, n’est pas porteur de contradictions ? C’est même là le moteur de l’existence et jadis un grand révolutionnaire, Mao Tsé-Toung en avait tiré toute une théorie sur les contradictions principales et les contradictions secondaires.

Nous avons la chance de pouvoir exister sur la carte du monde grâce à trois personnalités exceptionnelles, trois grands hommes : Aimé Césaire, Frantz Fanon et Edouard Glissant. Partout où j’ai pu, grâce à mes livres, voyager à travers le vaste monde, vingt-sept pays à ce jour, j’ai pu mesurer que l’énoncé de leur seul nom éclairait le visage de mes interlocuteurs et leur permettait immédiatement de me situer. Je me souviendrai toujours de cette rencontre au Palais Bleu (le palais présidentiel de la Corée du Sud) avec le président Kim Dae-Jung, cela en 2001. Nous avions été conviés, à un colloque à Séoul, organisé par la puissante Fondation Daesan, nous c’est-à-dire une quinzaine d’intellectuels de tous les continents, afin de nous pencher, durant une semaine, sur le thème de la mondialisation de la pensée et ses problèmes. Il y avait là Wole Soyinka, l’écrivain nigérian, auréolé de son Prix Nobel de littérature, l’éminent sociologue français Pierre Bourdieu, l’écrivain albanais Ismaël Kadaré et bien d’autres. Au moment, où le président Kim Dae-Jung m’a serré la main, il m’a simplement dit : « Martinique ? Frantz Fanon ». Il avait, en effet, été emprisonné plusieurs années sous le précédent régime et en avait profité pour lire « Les Damnés de la terre ». Bref, partout où je suis passé, mes interlocuteurs connaissaient au moins l’un de nos trois grands hommes, parfois deux d’entre eux, parfois même les trois. A ce propos, j’en profite pour faire une parenthèse et demander à ceux qui profitent sans vergogne de l’aura de Césaire-Fanon-Glissant quand ils sont à Paris et qui dans leur pays soutiennent la xénophobie anti-martiniquaise (suivez toujours mon regard !) d’arrêter. Oui, arrêtez ! Je ne vous permettrai plus d’utiliser cette aura car vous avez trahi :

. la solidarité nègre définie par Césaire

. la solidarité révolutionnaire définie par Fanon

. la solidarité créole définie par Glissant.

Je ferme la parenthèse. Donc, non, nous n’avons pas besoin, nous Martiniquais, de grenouiller dans le bénitier ministériel français afin d’obtenir des « tites faveurs » pour notre territoire. Nous devons tout au contraire penser à faire un pas en avant, puis deux, puis trois et l’élection de la Collectivité unique en 2015 nous en offre l’occasion. Mais nous ne pourrons faire de pas en avant si nous continuons à nous diviser entre Nègres, Békés, Mulâtres, Indiens et autres. Beaucoup aiment employer l’expression « faire peuple », eh bien faisons désormais peuple mais avec toutes ses composantes comme nous l’avions déjà souhaité, Jean Bernabé, Patrick Chamoiseau et moi-même dans notre ouvrage « Eloge de la Créolité, en 1989. A ce propos, ce qui me sépare radicalement de l’association « Tous Créoles », qui semble avoir le même objectif, c’est qu’ils zappent l’étape « Vérité » et veulent passer directement à l’étape « Réconciliation ». Oui à la Réconciliation, mais la Vérité d’abord ! Qui a fait quoi ? Qui s’est enrichi grâce à la traite et à l’exploitation esclavagiste ? qui aujourd’hui encore bénéficie de positions dominantes économiquement grâce aux honteuses exploitations du passé ? Comment réparer le mal qui a été fait ? Tout cela devra être mis sur la table avant toute réconciliation, avant la nécessaire réconciliation pour une Martinique forte.

Nous avons, cher Yves Monthieux, suffisamment de matière grise dans notre pays, sans compter nos compatriotes établis à travers le monde, suffisamment d’entrepreneurs, d’ingénieurs, d’intellectuels, d’artistes etc. pour réussir ce pari au lieu de nous battre comme des gamins pour espérer obtenir un « ti pos » ministériel dans le gouvernement français. Aimé Césaire avait cent fois raison sur ce plan-là.

Bien cordialement.

Raphaël Confiant

Connexion utilisateur

CAPTCHA
Cette question sert à vérifier si vous êtes un visiteur humain afin d'éviter les soumissions automatisées spam.