Je n'ai pas à t'offrir un palais idéal
une fontaine d'or, des esclaves numides
des jardins ombragés, des coupes de cristal
ni des soieries brodées, ni une âme candide.
Je n'ai pas ces prairies où vont de gras troupeaux,
des champs de blé bordés par les coquelicots.
Je n'ai qu'un pauvre coeur, de tristes oripeaux,
un frêle sentiment en pauvre calicot.
Je n'ai pas à t'offrir un rêve inutile
et le fatal ennui de la vie maritale
mais le vent et la pluie, l'errance difficile
et les chemins pierreux, au pas de mon cheval.
S'il fallait quatre mots pour chanter la beauté
de ton âme irréelle, je t'en offre dix mille,
des rêves de dément et des folies bleutées,
des combats de géants et un bras invincible.
Je sais des lieux magiques, des temples sur des îles,
des océans fougueux qui brûlent le regard,
des indigènes fiers et la laideur des villes
où de fausses clartés cachent de faux espoirs.
Je n'ai pas trois écus pour t'offrir un bleuet
mais je sais en secret où pousse l'immortelle
cette fleur des sommets, vert si pâle, éternelle,
sur les voies escarpées des gouffres et des glaciers.
Pauvre fou que j'étais sur mes déserts brûlants,
chevalier en haillons mais à l'honneur immense,
las de l'humanité, des destins sans élan,
j'osais rêver un monde égal à ma vaillance.
Acceptant sans douter les noires solitudes,
méprisant les morales qui tuent la liberté,
méprisant la fortune, toutes les certitudes,
ma quête d'idéal n'était que la beauté.
Je n'ai rien à t'offrir que mes mauvais poèmes,
l'ivresse des silences dans le calme des nuits,
mes voyages, joyaux d'une vie de bohème,
l'aventure superbe sur des mers infinies.
Je ne veux pas t'offrir cette vile prison,
le vent n'enchaîne pas par de tristes serments
ce mystère sublime hors de toute raison
qui loin des vies tracées réunit les amants.
Je possède un royaume immatériel et pur,
que je mets à tes pieds si tu sais reconnaître
qu'un sentiment s'étiole à avoir et paraître,
que cet oiseau s'élance sans une signature.
Je n'ai comme devoir que l'intuition tenace,
comme une étoile sûre qui guiderait ma route,
que je dois t'emporter et imprimer ma trace
sur tes années en fleur, sur tes années de doute.
Il est d'autres combats et de plus belles luttes
pour combattre le feu ou le vide de l'âme,
qu'accrocher à sa vie le destin d'une femme
pour conjurer la mort et conjurer sa chute.
Mais, à l'évidence, il me faut reconnaître
que tu échappes aux lois de mon passé glacé.
Hautain devant la mort, pour toi je dois renaître
et des mensonges pieux effacer la pensée.
Une dernière fois, je veux bien l'aventure,
sur le vieil océan dérouler ma voilure,
à travers les récifs d'une vie trop facile,
loin des phares trompeurs de ce monde inutile.
Aux appels de la chair, je préfère le chant
des grands oiseaux de mer et des baleines bleues,
et le cri des poulies, du vent dans les haubans,
l'écume jaillissant sur les astres en feu.
L'homme a toujours cherché une île hospitalière
pour cacher les secrets et les yeux d'une femme,
à l'abri des regards, une île imaginaire,
un écrin pour l'amour, un refuge de l'âme.
Je n'ai rien à t'offrir que cet embarcadère,
un voilier d'acajou et des voiles de lin,
des vagues déchaînées sur l'infini des mers,
l'appel des vents fougueux vers de brûlants lointains.
Je n'ai rien à t'offrir que ce verre trembleur,
l'ivresse d'un vin clair amer comme le sang
que refoule le coeur d'un chevalier errant,
en clair pas un écu mais un insigne honneur.
Thierry Caille
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