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Les Nouvelles Routes de la Soie et de la convivencia à la Maison de la Sagesse de Fès-Grenade

Les Nouvelles Routes de la Soie et de la convivencia à la Maison de la Sagesse de Fès-Grenade

S’est tenu à Fès, capitale spirituelle du Maroc, un séminaire autour du thème Les Nouvelles Routes de la Soie et de la Convivencia. Ces manifestations étaient organisées par la Maison de la Sagesse Fès-Grenade, dont le siège est au palais Shérézade, à la lisière de la médina classée au Patrimoine Mondial par l’UNESCO. Pour la circonstance, l’historien John Qiang Wang avait fait le déplacement depuis sa ville natale, Quanzhou, la légendaire Zaytoun d’Ibn Batuta,. Retour sur des réflexions d’une rare densité. En raison de la richesse de ces activités, nous avons opté pour une publication séquencée sur plusieurs jours, afin d’en révéler les multiples aspects.

Séance inaugurale à la Salle des Conférences de la Communauté de Fès

Dans cette salle de toute beauté destinée aux grands événements, le jeudi 22 février, la séance débuta devant une assemblée nombreuse, en présence de personnalités civiles et des responsables politiques. Ce fut Abdelaziz Sekkat, président de la MDS, qui prononça le discours d’ouverture. Remerciant la Commune et le Waliyat pour leur soutien lors de cette soirée, le président de la MDS axa tout de suite son allocution de bienvenue sur la Maison de La Sagesse FES-GRENADE (MDS), fondée depuis déjà 5 années. Elle-ci s'inspire de son modèle historique, né au 9ème siècle sur les routes de la Soie, notamment à Bagdad, alors centre des savoirs de l'époque. Elle a bénéficié de la dynamique humaine, transculturelle et commerciale de ces routes reliant l'Afrique, l'Europe, le Moyen-Orient, l'Asie Centrale, l'Inde et la Chine. Etant aux confluences des contacts entre les mondes bouddhiste, hindou, taoïste, juif, chrétien, musulman, et autres, la Maison de la Sagesse est le reflet de cette époque où commerçants princes, savants, traducteurs, explorateurs et littérateurs se rencontraient dans une ruche humaine brassant les savoirs, les cultures et les activités humaines de façon exemplaire. Le président Sekkat a rappelé que Quanzhou fut un des phares de cette grande aventure humaine, étant le point de départ des routes maritimes de la Soie. Fès, elle aussi, a été un des centres de cette époque, dans la droite lignée de l'esprit de convivencia, ce qui signifie, «vivre avec l’autre», reflétant l’esprit ouvert de la Maison- de la Sagesse de Bagdad ou de Cordoue. Sciences et savoirs, biens et idées y sont résolument transfrontaliers. Le président Sekkat enchaîna: «Citons la Qwarawiyine. C'est une femme, Fatima al-Fihri, venue de Tunisie qui y a posé les bases de la plus vieille université du monde encore en fonctionnement. Historiquement, la capitale spirituelle du Maroc, tout comme notre pays, a toujours été une terre de la diversité, tout comme la Chine, représentée par John Qiang Wang, notre invité d’honneur, qui nous parlera des diversités de sa ville Quanzhou». Le ton était donné pour cette première manifestation du genre, donnant corps à la connectivité que les nouvelles routes de la Soie promeuvent, en y ancrant pour la première fois des échanges de personne à personne, des partages humanistes au cœur de ces voies historiques.

Cette soirée s'inscrivait aussi dans la suite, du voyage du grand tangérois Ibn Batouta. Ce grand voyageur a sillonné le monde connu du 14ème siècle et a visité le pays inventeur du papier et de la poudre. Récemment, une statue monumentale du globe-trotteur marocain a été dévoilée à l'entrée du Musée maritime de la Soie de Quanzhou. Le lien humain était en amont de notre séance inaugurale.

Convivencia et message de Moussa Ali Iyé, coordinateur des routes de la Soie de l’UNESCO

«La convivencia», précisa A. Sekkat, «c’est davantage que la co-existence, c’est plutôt un partage, une interprétation de nos existences, c’est une convivialité de nos existences. C’est surtout «vivre avec l’autre». Ce n’est pas seulement vivre ensemble mais bien vivre ensemble avec des cultures multiple». Le président de la MDS invita alors le Dr Khal Torabully, fondateur de la MDS, de procéder à la lecture du message de M. Moussa Ali Iyé, coordinateur des Routes de la Soie à l’UNESCO. En voici quelques points saillants: «Chers amis, Ne pouvant me rejoindre à vous, je voudrais vous adresser mes meilleurs vœux pour le succès de cette importante rencontre à Fès. Le choix de cette ville carrefour pour y installer la Maison de la Sagesse et y arrêter pour quelques jours la caravane du savoir§§§ est plus que pertinent. Car c’est un lieu d’une importance aussi bien historique que symbolique qui se prête pour discuter des héritages communs qui ont éclot le long des Routes de la Soie (…) Ainsi, les Routes de la soie sont apparues comme des exemples des grands moments de dialogue et de rapprochement qui offrent la possibilité d’écrire d’autres récits sur les interactions entre les peuples et les cultures. En effet, ces Routes furent des espaces protégés de transactions commerciales exigeant un minimum de sécurité, de tolérance et de confiance, où les capacités d’échange et de négociation se révélaient beaucoup plus efficaces que l’emploi de la force (…). Grâce aux contacts directs entre les individus et les groupes au cours des longs voyages sur les pistes et des longues haltes dans les caravansérails, ces Routes ont favorisé une culture de l’interaction, un esprit de curiosité mutuel, des compétences en communication interculturelle. Elles ont encouragé des rencontres et des échanges dans la durée, plus pérennes que les relations pressées et utilitaristes d’aujourd’hui (…)». L’idée est de promouvoir l’esprit du dialogue dans le respect et ne pas ignorer que les routes de la Soie ont été des vecteurs importants de rencontres humaines, avec leurs complexités: «C’est pour toutes ces leçons que l’on pourrait tirer de cette histoire d’échanges pour répondre aux nouveaux défis du dialogue interculturel, que l’UNESCO a lancé la seconde phase de son projet phare des Routes de la soie (…). Des principes éthiques ont été élaborés pour guider le travail de l’UNESCO et de son réseau international mettant l’accent sur les concept tels que l’égale dignité des cultures, la culture comme produit de la diversité, l’héritage commun et les identités plurielles…». Ce message fort de Ali Moussa Iyé, aux avant-postes des nouvelles routes de la Soie exprime des valeurs que la MDS développeront tout au long de ses activités. Nous y reviendrons.

En attendant de publier ce message fort de Ali Moussa Iyé dans son intégralité, la soirée se poursuivit par la projection de l’extrait du film de Khal Torabully, La Mémoire maritime des Arabes, le même qui fut projeté à l’UNESCO pour l’anniversaire des 30 ans du programme des Routes de la Soie de l’organisme onusien. Il évoque les rapports avant et après l’Islam entre l’Occident arabe, persan et musulman et l’Empire du Milieu. Ce film, tourné en 1999, l’auteur ne pouvait en douter, est devenu le document le plus représentatif de ces deux espaces humains qui renouent avec leurs liens historiques millénaires. Ce film illustra à la perfection les rapports non seulement commerciaux mais aussi culturels et scientifiques entre des groupes humains d’un bout à l’autre des routes maritimes de la Soie. Un échange suivit ces images qui menèrent les spectateurs d’Oman et la péninsule arabique vers la Chine, notamment à l’époque des Abbassides, installés à Bagdad et les Tang, en Chine. C’est dans les entrelacs du commerce des routes de la soie et de l’empire Abbasside qu’une densité culturelle et intellectuelle se développa. Une de ses preuves: la Maison de la Sagesse, développée par al-Mamun, le calife qui succéda à Haroun al-Rashid, et qui porte cette empreinte de la diversité et de l’ouverture au nom des sciences et du progrès. C’est cet esprit de dialogue que la MDS de Fès-Grenade remet au goût du jour depuis 5 ans, inspirant plus d’un quant à son potentiel de réunir les humanités autour des valeurs communes.

Ibn Battuta, un moteur de recherches ambulant

Puis, ce fut Abdelaziz Sekkat qui termina la séance inaugurale par un propos fort intéressant sur Ibn Battuta. Il s’appesantit sur les enseignements de son périple au présent. Pour lui, Ibn Battuta et la Chine, c’est un héritage qui doit être abordé avec certaines précautions. En effet les «rihlas» ou récits de notre voyageur «sont faites parfois de contradictions apparentes», d’embellissements... Mais cela n’est pas exceptionnel à l’époque. L’essentiel est «d’en puiser des pistes pour nos routes de la soie et de la convivencia» au présent, et de «réfléchir sur des éléments du passé, pour mieux concevoir notre monde actuel».

Au pays chinois, le globe-trotter «observe, et semble captivé par ce qu’il voit. Il décrit des éléments marquants, telle l'application du charbon comme combustible, ce qui l'étonne. Dans ses «Voyages», il a également détaillé comment les artisans chinois fabriquaient la porcelaine. Il a évoqué la porcelaine de Quanzhou et de Guangzhou (Canton) comme "étonnante et splendide …vendue jusqu'en Inde et au Maroc". En mentionnant Quanzhou, le président de la MDS n’a pas manqué de rappeler qu’Ibn Battuta parle de Zaytoun, qui n’est autre que Quanzhou, «cette ville d’où vient John Qiang Wang, une attachante personnalité de cette ville et spécialiste des Routes de la Soie. Il a fait le voyage spécialement pour nous soutenir dans nos activités (…) Je vous demande, Mesdames et Messieurs, de l’applaudir. C’est un moment rare dans les annales de notre pays, relié au vôtre par ce grand voyageur. Nous vous écouterons lors de votre conférence demain. Vous êtes ici, chez vous, à Fès et au Maroc». Moment d’émotion comme si deux amis se retrouvaient après une longue séparation… A. Sekkat reprit de plus belle, en évoquant Ibn Battuta, qui admirait l’Empire du Milieu pour sa stabilité: «"La Chine est le pays le plus sûr et le plus agréable au monde pour le voyageur, vous pouvez voyager sans peur pendant neuf mois, même si vous transportez beaucoup de richesses". Dans ses narrations, on voit que la Chine du 14ème siècle a exercé une fascination sur le globe-trotteur tangérois: «Aussi, nous tenons à indiquer quelques pistes de réflexions en amont de nos travaux sur ces routes de la soie que notre globe-trotteur a arpentées. En voici la première: La Chine, sur ces routes nouvelles de la Soie, croit beaucoup dans la connectivité. Elle investit beaucoup, pour les échanges économiques, dans les routes, ports, ponts, chemins de fer, pour que les circuits soient connectés. Ibn Batuta a préfiguré cette connectivité en quittant l’Atlantique et la Méditerranée pour parcourir l’océan Indien, reliant ainsi trois océans (...)». Le président Sekkat a comparé Ibn Battuta à un être à la recherche de connections. Aussi, ajoute-t-il: «Je suis tenté de dire, que ces routes étaient l’internet de l’époque, car elles convoyaient, faisaient passer, non seulement la soie, les chevaux, les épices, les papiers ou les livres, mais aussi des idées, des religions, des savoirs, des savoir-faire, des visions du monde. Nous devons garder ce premier enseignement en tête, qu’Ibn Batuta fut une sorte de moteur de recherches, un google ambulant, un nomade en quête d’informations, connectant les ports, les hommes, les idées. Si Ibn Batouta a été l’homme de la connectivité, il a parfois traversé des passages de réfraction, de rejet de l’autre. Dans le monde actuel, cette problématique est bien actuelle. Aussi, il nous faut réfléchir à cette question du respect de la diversité, à ce que ces routes de la soie soient aussi celles de la convivencia, celles qui permettent de rencontrer l’autre, le différent, de le comprendre et de progresser dans nos humanités, dans les valeurs humaines du respect, du partage, de convivialité…».

Aussi, la jonction entre les routes de la Soie et celles de la convivencia sont essentielles pour comprendre l’autre et préserver les diversités, chose qui fut faite à cette séance inaugurale. Le désir de savoir, même quand cela vous paraît difficile, lointain, est à encourager... A. Sekkat souligna ce point comme fondement de notre thématique: «C’est l’esprit de ces 4 jours de rencontres que la Maison de la Sagesse Fès-Grenade, que j’ai l’honneur de présider, propose à notre belle ville, afin que Fès soit aussi présente sur les nouvelles routes de la Soie, que nos jeunes, nombreux ici, puissent saisir ce qui se déroule à nos portes. Ils doivent, comme des Ibn Batouta aller chercher la connaissance, comme le dit un hadith de Sidna Mohammed, «Allez chercher le savoir même jusqu’en Chine».

Ce rappel du savoir, des connaissances, des humanités, fut amplement mis en exergue de ce coup d’envoi des 4 jours d’activités. Cette grande soirée se termina par un pause-café agrémenté de pâtisseries marocaines et des conversations sur les promesses des nouvelles routes de la Soie et de la convivencia.

Nous ferons état des trois autres jours d’activités, qui se sont terminées à la bibliothèque Al Qwarawiyine, la plus vieille université encore en fonctionnement dans le monde. D’ores et déjà, le président A. Sekkat et la MDS pouvaient se réjouir de cette séance inaugurale réussie, de l’avis de toutes les personnes présentes dans la ville culturelle par excellence du Maroc.

© Maison de la Sagesse Fès-Grenade, mars 2018

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