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Les historiens n’accusent pas vraiment Joséphine de Beauharnais (Lettre -2- à Oliwon Lakaraïbe)

Yves-Léopold MONTHIEUX
Les historiens n’accusent pas vraiment Joséphine de Beauharnais (Lettre -2- à Oliwon Lakaraïbe)

La page débats de France-Antilles de ce jeudi revient sur le « phénomène » Joséphine qui apparaît, ainsi que le dit le titre principal, comme le sujet d’un « débat sans fin ». Cependant, au vu du dossier du jour et de l’article principal, tout indique qu’on devrait plutôt s’acheminer vers la fin du débat, à moins que ce ne soit un fonds de commerce politique à conserver à tout prix. En effet, tous les témoignages évoqués dans cet article concourent à la mise hors de cause de l’impératrice dans le rétablissement de l’esclavage par son époux, Napoléon Bonaparte.

Des sous-entendus persistants, mais aucune preuve historique.

En réalité, le professeur Armand Nicolas, ancien secrétaire général du parti communiste, continue d’influencer la conscience historique martiniquaise. Formellement, il n’a accusé Joséphine de Beauharnais que d’avoir été esclavagiste. Sauf que les mots on un sens et que le simple fait de posséder des esclaves comme Bissette, le Père Labat ou Toussaint-Louverture, ne faisait pas de ces personnes des esclavagistes. Mais si l’historien ne répond pas à la question de l’influence de l’impératrice auprès de son mari, il fait par l’adjectif « notoire » planer le doute dans les consciences et conduit les esprits à lier sa situation de fille de colon possesseur d’esclaves à celle de promotrice de l’esclavage. « Le dignitaire du PCM ne prend pas beaucoup de risque. Il n’apporte pas la preuve de l’assertion qui est donnée en pâture à la population, mais ne la dément pas. Qu’on répande cette fausse vérité, lui ne fait que la suggérer[1] ».

Le rédacteur de l’article paru dans FA rappelle que Georges Mauvois, affirme que « selon tous les documents qu'il a consultés, il n'a pas été clairement prouvé que Joséphine a été actrice du rétablissement de l'esclavage en Martinique ».  Que veut dire « n’a pas clairement prouvé » ? En histoire, un fait « pas clairement prouvé » n’est pas un fait historique. L’écrivain scrupuleux s’était même exclamé lors de la décapitation de la statue en 1991 : « Un vent violent, accusateur et abusif » ! Les historiens n’ont pas eu la même réaction.

Par ailleurs, le rédacteur prend acte du fait que « La position de l'historienne Élisabeth Landi n'est pas loin ». En effet, la professeure affirme que « Joséphine a été impératrice des Français, mais elle n'a pas eu d'action dans l'histoire de la Martinique ». Et poursuit : « Si elle n’a pas fait du bien elle n’a pas fait non plus de mal ». Comment mieux dire que l’épouse de Napoléon n’est pour rien dans le rétablissement de l’esclavage et que la fausse assertion est historiquement irrecevable.

Les gardiens de l’histoire martiniquaise laissent dire

Enfin, il est dommage que pour les « autres historiens », qui affirment que « le rétablissement de l'esclavage sous l'influence de Joséphine en 1802 est une assertion fausse », tirent argument de « la simple raison que la première abolition prononcée par la Convention le 4 février 1794 n'avait jamais été appliquée en Martinique ». Clairement, l’acte historique de rétablissement de l’esclavage ne change rien au fait qu’il ait été inappliqué parce qu’inapplicable à la Martinique. Si elle avait existé, l’influence de l’impératrice aurait été parfaitement répréhensible, même si la décision n’avait concerné que la seule Guadeloupe. Là encore, on est resté à mi-chemin de la vérité et le doute est entretenu. Des sous-entendus persistants, donc, mais aucune preuve historique.

En résumé, à l’exception du courageux Marc Séfil qui est écouté d’une oreille discrète par la doxa, aucun historien n’ose affirmer qu’en l’absence de tout document la mettant en cause, la mémoire de Joséphine de Beauharnais doit être lavée de l’accusation qui lui est faite. Les gardiens de l’histoire martiniquaise le savent mais laissent dire, les uns pour des raisons politiques avérées, les autres par crainte de contrarier les premiers. La voix scientifique aurait dû être entendue dès le lendemain de ce jour de 1991 où la statue de Joséphine avait été décapitée. Le silence assourdissant des historiens, propice aux vaticinations intellectuelles et politiques, a encouragé les jeunes activistes et ceux qui les manipulent.

En maintenant les Martiniquais dans l’ignorance de la vraie histoire, en laissant prospérer une histoire à côté de l’histoire ou contre l’histoire vraie, les professeurs ont puissamment et, pour certains d’entre eux, sciemment, contribué à la situation actuelle qu’ils ont du mal à expliquer sur les plateaux de télévision. Sans vouloir abuser de l’association Oliwon Lakaraïbe, peut-on l’inviter à apporter la clarté souhaitable, bien entendu au vu des connaissances historiques du moment ?

Fort-de-France, le 3 octobre 2020.

Yves-Léopold Monthieux




[1] Haro sur Joséphine de Beauharnais – Contrechroniques - ylm - hebdomadaire Antilla (4-10-2011) – in internet.

 

Commentaires

Michel P. | 04/10/2020 - 19:53 :
1) La valeur historique de l’article en question, paru dans le France-Antilles du 2 octobre, tient dans l’affirmation erronée selon laquelle, sitôt l’abolition de l’esclavage prononcée, Saint-Domingue aurait été occupée par les Anglais, ce qui aurait empêché que le décret d’abolition s’y applique, comme cela se produisit en Martinique, au contraire de la Guadeloupe. 2) L’abolition à Saint-Domingue s’est faite en deux temps : avec le décret du commissaire de la République Sonthonax le 29 août 1793 puis avec le décret de la Convention, le 4 février 1794. 3) Les Anglais attaquèrent la colonie dès septembre 1793, à l’invitation de colons. Ils s’emparèrent de Port-au-Prince en 1794. Mais ils n’occupèrent jamais toute la colonie, contrairement à ce qui se passa en Martinique. Ils ne purent donc y empêcher l'application du décret d'abolition. 4) C’est d'ailleurs en s’appuyant sur ce décret que le gouverneur de la colonie rallia à la République d’anciens esclaves libérés, sous le commandement de Toussaint Louverture (qui, jusqu’alors, combattait dans les rangs espagnols). L'invasion put ainsi être contenue, avec difficulté il est vrai : le départ définitif des Anglais n’intervint qu’en 1798. 5) En conclusion, l’occupation anglaise, victorieuse en Martinique, échoua à Saint-Domingue, où le décret d’application fut par conséquent appliqué, contrairement à ce que prétend l'article. Au demeurant, c'est la volonté du Premier consul de revenir dessus qui aboutit à l’indépendance d’Haïti.
GIRIER-DUFOURNI... | 05/10/2020 - 08:19 :
Je ne suis pas historien. Ma mémoire flanche et je ne peux me souvenir de ce que j'ai appris lors de mes études...Doit-on pour autant dire qu'elle ne se doutait pas de ce qui se passait? De même, que doit-on penser de la femme d'un président sur les atrocités qu'il exerce envers une université? Est-elle au courant? Et ne pourrait-elle pas en parler avec lui ? De fait ,l'épouse peut-elle être absoute des manquements du mari ou conjoint?
Michel P. | 10/10/2020 - 11:11 :
1) Joséphine a passé son âge adulte en France où elle semble n'avoir rien fait pour la Martinique, ni en bien ni en mal. Sans doute personne n'aurait songé à lui élever une statue si Napoléon III, qui était son petit-fils, ne l'avait encouragé. Dès lors, la statue sur la Savane devint une curiosité historique : les visiteurs, qui connaissaient Napoléon 1er, découvraient (ou se rappelaient) que sa première femme était née dans l'île. 2) On reproche à Joséphine d'avoir incité son second mari, alors Premier consul, à rétablir l'esclavage, qui avait été aboli par la Convention. Il faut voir qu'à l'époque, toutes les grandes puissances étaient esclavagistes. En France, la Constituante avait refusé l'abolition lors de la proclamation des droits de l'homme et du citoyen. La Convention l'a finalement décrétée mais dans le contexte géostratégique très particulier de Saint-Domingue. Autrement, pas grand-monde, ni en France ni à l'étranger, pensait que les colonies pouvaient s'en sortir sans l'esclavage. Les Anglais empêchèrent l'application du décret d'abolition en Martinique. Toussaint-Louverture, ancien propriétaire d'esclaves, devenu gouverneur de Saint-Domingue, y institua le travail forcé qui n'était certes pas l'esclavage mais y ressemblait beaucoup. Il n'est donc pas étonnant que le Premier consul Bonaparte ait voulu rétablir l'esclavage, que tous pratiquaient. Joséphine n'y pesa pas pour lourd, si elle y pesa pour quelque chose. 3) La destruction de la statue est peut-être regrettable d'un point de vue touristique mais elle n'a pas grande importance. La quasi hystérie qui l'a accompagnée paraît disproportionnée. Au-delà des considérations historiques, les NRV ont dû trouver suffisant que Joséphine soit une "créole", de surcroît femme de celui qui abolit l'abolition. 4) Rappelons que l'abolition définitive, celle de 1848, n'intervint qu'à la faveur de l'improbable gouvernement provisoire de la 2ème République, emmené par le poète Lamartine. Schoelcher y trouva une "fenêtre de tir" providentielle. On a cassé ses statues aussi.

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