LES AMIS
Puis le regard usé de siècles d'infamie
sous des brumes basses de mystères voilées
je traversais le temps en quête d'un ami
Loin des hommes assis sur l'éther je volais.
J'avais l'âme noire des voleurs de soleil
je versais des nuits d'encre aux couchants hésitants
sur un manteau moiré je cousais dans le ciel
des éclats de topaze aux feux étincelants.
Dans des villes sans fard, aux volets verrouillés,
je balayais les rues de mes souliers troués.
Les fenêtres closes et les loquets rouillés
cachaient les solitudes des âmes désœuvrées.
Dans une taverne sordide et enfumée
sous un fanal rouge j'allais m'encanailler
dans la fange, aux bas-fonds, repu de vin mauvais,
j'allumais des rêves que ma raison raillait
Les rires des pochards, les visages hideux,
la débauche régnant dans les ivrogneries
cet infâme bestiaire, ce cénacle de gueux,
ricanaient de mon mal, ma tristesse infinie.
Dans mon verre trembleur roulaient des pensées rouges
la sombre solitude et la mélancolie,
ma vie qui se perdait dans la verdeur des bouges
et l'alcool qui rongeait mes dernières folies.
Je rêvais de pays, d'amis aux mains tendus
de tropiques cléments et de rires claquant
le soir comme des voiles quand sur des eaux perdues
j'aurais jeté en mer le sablier du temps.
Je rêvais de partir, pour un monde à renaître,
loin des égoïsmes et des vies sans chaleur,
loin des calculs cupides pour avoir et paraître,
un monde vagabond pour de vieux trimardeurs.
Je rêvais, pauvre fou, d'attendre mes amis,
le cœur ivre et serré, près d'un débarcadère.
Bien longtemps j'ai erré de pays en pays
hélas, dans aucun port, je n'ai trouvé de frère.
Il me reste ce vin, cet ami très fidèle,
il roule dans ma gorge une douce vigueur,
il emporte mon corps d'une fusion charnelle
et j'oublie un instant la rudesse des cœurs.
Thierry Caille |