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LES AFRICAINS VEULENT LIRE DES AUTEURS AFRICAINS : EFFET DE MODE OU LAME DE FOND ?

Bruno Meyerfeld
LES AFRICAINS VEULENT LIRE DES AUTEURS AFRICAINS : EFFET DE MODE OU LAME DE FOND ?

Au Kenya, malgré un prix du livre élevé, de jeunes libraires en ligne diffusent le goût de la littérature du continent et voient leurs commandes grimper.

Tout est parti d’un constat amer. « Il est souvent très difficile, voire quasiment impossible, de se procurer des livres d’auteurs africains au Kenya », soupire Magunga Williams. Ce blogueur de 26 ans est pourtant un lecteur vorace de la littérature de son pays et a fortiori de son continent. « Mis à part dans une poignée de librairies de Nairobi, vous ne tomberez quasiment que sur des auteurs européens et américains, et non sur des auteurs kényans contemporains. »

Pour conjurer cet état de fait, le jeune homme a créé il y a tout juste un an sa propre librairie en ligne, proposant quasi exclusivement des auteurs africains. « Au début, j’ai commencé avec dix auteurs. Mais la demande est très forte : aujourd’hui je propose près de 400 titres et reçois sans arrêt de nouvelles commandes, se réjouit M. Williams.

« La majorité des kényans n’est pas capable de citer plus de trois écrivains de leur propre pays ». Magunga Williams

Chez Magunga Bookstore, le nom officiel du site, on trouve les classiques de la littérature du continent : Chinua Achebe, J. M. Coetzee, Tahar Ben Jelloun, Nuruddin Farah ou le Kényan Ngugi wa Thiongo – donné gagnant chaque année pour le prix Nobel –, mais aussi les prodiges de la nouvelle génération « afropolitaine » telle la star Chimamanda Ngozi Adichie, l’Américano-Ethiopien Dinaw Mengestu et la Kényane Yvonne Adhiambo Owuor.

« Leur seul point commun, c’est qu’ils écrivent ! Il n’y a pas une écriture africaine comme il n’y a pas une écriture européenne » », rappelle M. Williams. Le succès aidant, ce dernier se pose déjà ses premières questions de logistique. « Pour l’instant, j’arrive à stocker tous les livres chez moi sur quelques étagères… Cela risque de ne plus suffire très longtemps ! rit-il. Mon expérience prouve en tout cas qu’il y a une vraie soif pour la littérature africaine au Kenya ! »

Nouvelle génération de lecteurs

L’initiative de Magunga Williams est loin d’être isolée. « Nous sommes à un tournant, s’enthousiasme même Anne Ebosso, organisatrice du festival Storymoja pour la littérature est-africaine, parrainé par Auma Obama, demi-sœur de l’ancien président américain. Notre festival fête cette année ses dix ans, preuve qu’il y a un vrai public qui nous suit ! Au Kenya, il y a de plus en plus de blogs de littérature, de groupes de discussion et de lecture autour de la littérature africaine », poursuit-elle. La 19e édition de la Foire internationale du livre de Nairobi (NIBF) a ainsi attiré en 2016 plus de 22 000 visiteurs et chacun attend avec impatience en 2017 la remise du prix Jomo Kenyatta pour la littérature, qui récompense tous les deux ans depuis 1974 des auteurs kényans en anglais et en kiswahili.

Pas de doute : le « lire africain » séduit aujourd’hui une nouvelle génération de lecteurs. « Les jeunes nés dans les années 2000 ne se reconnaissait pas dans la vieille garde type Achebe ou Ngugi et leurs questionnements trop datés, explique Ahmed Ali, directeur de la librairie Prestige, l’une des plus anciennes et des mieux fournies de Nairobi. Mais des écrivains plus jeunes, avec des problématiques plus contemporaines ont poussé les millenials à s’approprier la littérature de leur continent, comme Chimamanda au Nigeria, qui est aussi un véritable phénomène au Kenya, ou Yvonne Adhiambo Owuor, qui a écrit en 2014 Dust [non traduit], sans doute le meilleur livre kényan de la décennie. »

A Prestige, on a dû faire de la place : les livres d’auteurs africains occupent aujourd’hui deux pleines étagères contre un petit coin de présentoir il y a seulement dix ans et représentent maintenant la moitié des ventes en fiction de la librairie. « Et la quasi-totalité de notre clientèle est kényane, alors que nous étions auparavant une boutique pour Wazungus [Blancs] et expatriés ! », se réjouit M. Ali. De l’avis général, ce renouveau remonte à l’année 2002, date de l’obtention par l’écrivain kényan Binyavanga Wainaina et son livre Discovering Home [non traduit] du prestigieux prix Caine, décerné chaque année à une nouvelle en langue anglaise écrite par un auteur africain. Usant de sa notoriété (et des 11 500 euros de récompense), Binyavanga créa l’année suivante Kwani ? : une association hyperactive promouvant la littérature kényane.

Prix du livre trop élevé

Grâce au soutien et au souffle de Kwani ?, deux autres écrivaines nationales – Yvonne Adhiambo Owuor et Okwiri Oduor – ont depuis remporté le prix Caine. Mais malgré l’engouement d’une partie de la jeunesse aisée, la grande majorité des Kényans se tiennent loin de la littérature. « On dit souvent “Si vous voulez cacher quelque chose à un Kényan, alors mettez-le dans un livre”. Il n’ira jamais le chercher ! », se désole Anne Ebosso. Si l’on en croit le World Culture Index, les Kényans passeraient en moyenne moins de quatre heures par semaine à la lecture d’un livre, loin des Sud-Africains qui en passent plus de six. « La majorité des Kényans n’est pas capable de citer plus de trois écrivains de leur propre pays », reconnaît Magunga Williams.

La faute selon lui d’abord à la langue anglaise, dans laquelle la plupart des livres sont imprimés, mais qui, à la différence du kiswahili, demeure la langue des élites. « C’est aussi à cause de la manière dont on enseigne la littérature à l’école, qui est très ennuyeuse et scolaire et ne transmet pas l’envie de lire aux élèves. » Vient enfin la question du prix : au Kenya, un livre neuf se négocie souvent plusieurs dizaines d’euros – inabordable dans un pays où le salaire minimum est d’à peine 100 euros. « Imprimer au Kenya est très cher : il faut importer l’encre, le papier… et la TVA sur les livres est très élevée : 16 % depuis 2013 !, se désole Ahmed Ali. Du coup, les principaux éditeurs, comme East African ou Moran, n’impriment que des manuels scolaires… Et il faut malheureusement importer la plupart des livres de fiction africains depuis Londres ou Paris. »

Le libraire veut pourtant croire que les éditeurs kényans se mettront bien un jour à imprimer des auteurs kényans. « Il suffirait que le gouvernement baisse les taxes de moitié pour les inciter à le faire ! », soutient-il. Magunga Williams de son côté, voit déjà plus loin et cherche un local pour accueillir une vraie librairie et un atelier d’écriture. « J’ai un nom en tête : Rugano, ça veut dire histoire en langue kikuyu ! », sourit-il.

 

Bruno Meyerfeld

Contributeur Le Monde Afrique, Nairobi

 

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