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A propos du premier roman de Christelle Nadia Fotso

L’EMPREINTE DES CHOSES BRISEES

Compte rendu de Dr Cécile Dolisane-Ebosse*
L’EMPREINTE DES CHOSES BRISEES

Christelle Nadia Fotso, juriste, écrivaine, bloggeuse, a publié en 2008 aux éditions du Protocole, L‘empreinte des choses brisées, 285p.

Ce roman- fleuve se divise en deux grandes parties, inégalement reparties, elles- mêmes subdivisées en six chapitres- sans les nommer ainsi- ayant chacun un sous- titre. Un ordonnancement pour le moins insolite qui ne laisse guère le lecteur indifférent. En effet, la ligne directrice, l’ossature de cette prose entrecoupée de lettres, de multiples dialogues et correspondances retrace les contradictions d’une folle amoureuse mais d’un amour étagé métaphorique et réel à la fois.

D’entrée de jeu, Andrea, l’héroïne- narratrice qui navigue entre son pays natal, le Cameroun et plus précisément dans ses villes de cœur telles : Nkongsamba, Douala et la Nouvelle Angleterre aux Etats-Unis, son pays adoptif, amorce son récit par un constat amer sur la décrépitude de son univers d’enfance, de ses racines. Elle note l’inertie de ces lieux mythiques ainsi que le désarroi et la désolation qui en découlent ; lieux de mémoire qui n`ont aucune perspective d’avenir, aucune opportunité : « Il n`ya pas d’avenir dans l’ouest » p. 10.

De plus, le communautarisme excessif de ces milieux asphyxiants a entraîné, au fil des temps, le repliement sur soi et par conséquent, le rejet de la différence. En y retournant par pure nostalgie, « les handicaps furent alors sa jeunesse, la mixité de son sang, ses différences ». Elle découvrit plutôt une nature étrange où les humains cultivent l’ambiguïté, un monde mystérieux où le culte du secret est de rigueur. Aussi voulait-elle consulter les oracles et les présages.
Mais ce passage liminaire lyrico- anthropologique qui ressemble à bien des égards, à un appendice d’une errance identitaire par le biais du mythico-religieux ancestral, tranche avec la suite du roman où l’auteur se lance dans une longue narration autour d’une passion amoureuse, la quête d’un amour inassouvi et rêvé entre elle et Sacha depuis la ville de Charlotte aux Etats-Unis. Dans cette étrange disposition d’idées qu’apparemment rien ne relie, parfois sans concordance, elle précise elle-même que l’espace change, les réalités aussi.

En outre, l’on oscille de la mobilité géo-poétique à une mobilité géo-spatiale : de l’Afrique en Amérique où elle rêve d’un amour idéal avec la description optimale du corps sublimé de Sacha, ce dernier étant animé d’un complexe de supériorité. Après avoir montré le contraste ente Douala et Léomister, elle se projette, comme possédée par la magie du verbe, justifiée par des envolées lyriques d’un Sacha né à Léomister dont la ville ressemble, par bien des aspects, aux légendes de son Afrique natale. Étant envahie par une émotion forte, une sensation de jouissance, cette fièvre passionnelle d’Andrea pour Sacha intriguait ce dernier. P. 168. Mais cet amour platonique, idyllique se confronta dans la vie réelle à des résistances aussi bien charnelles que morales P. 126. Elle se rend compte que cette volupté est éphémère et superficielle. Par conséquent, seul le contact des corps ne suffit pas, l’on reste éternellement insatisfait par les apparences. C’est la raison pour laquelle elle préfère savourer l’instant, le ponctuel. En plus clair, elle accorde une importance capitale à la sexualité, ce corps désirant, irrésistible mais réducteur. En effet, faute de pouvoir atteindre l’absolu, le parfait amour, elle se contente finalement de cet oasis qui n’est que contingence jusqu`aux limites de l’immoralité, du vice.

A partir de cette analyse, l’on dénote la dimension transgressive et subversive de l`œuvre illustrée par des propos lascifs qui, bien que cultivant l’ambigüité entre la recherche de la vérité- car dit-elle, ``la vérité est un ami`` et la violence, pousse son désir aux frontières de la licence. C`est au nom de cette audace créatrice qu`elle fait l`apologie du sexe tabou ``je choisis l’ordre bordélique du désordre et la fidélité…idem.

Dans cet univers poétique de la romance, des flirts ajouté à une liberté de ton, l’héroïne s`élève paradoxalement vers les hautes sphères des archétypes. Elle décrit ses contacts avec un amour qu’elle veut transcendantal, aux sensations paradisiaques voire extatiques, mais hélas, après cette évasion vers le suprasensible et les plaisirs épicuriens, l’on ne savoure que la chair. Partant de là, se pointe une désillusion, une disharmonie interne, c'est-à-dire qu’elle est déchirée entre la volonté d’atteindre le plaisir absolu et la déception que cette contingence génère, se muant surtout en une force destructrice, envahissante, passagère et paralysante. Ainsi de spéculations en spéculations, de doutes en doutes, l’amour symbolisé par Sacha devient un refuge, un échappatoire, une fuite en avant, la réalité étant bien plus morose. P177.

Au demeurant, l’entrée du troisième personnage, Leah ne changera rien à son destin. Les obstacles et contradictions s’amoncellent d’autant plus qu’on est dans une dialectique de l’absurde, un monde aux paradigmes antithétiques, où la beauté côtoie la laideur, le tragique, le comique et où la nuit succède le jour. Finalement, la narratrice, dans l’investigation de moi, de son identité féminine et culturelle, découvre ses identités composites, foisonnantes. Elle se rend compte qu’elle est un tout, un rhizome. Aussi incarne-t-elle une symbiose entre ses multiples espaces, Douala, Charlotte, Leomister sachant qu’elle a une personnalité cosmopolite, multiculturelle et fragmentée. Ce qui provoque par moments des confusions et une sensation d’errance. Est-ce à dire donc que l’amour est impossible ? Un énigme et un beau mensonge ? Ou un joli poème comme laisse présager la fin du récit ?p133.

Après cet embrasement des corps qui jouxte aliénation et rébellion, le corps difforme trahit une certaine corporéité du corps souffrant, tantôt martyrisé, tantôt défié. Ce récit laisse transparaître une religion du corps parfois excessive avec des métaphores hyperboliques telles : « amour océanique » ou encore Andrea est « une esclave », « soumise ou masochiste ». p175. Cette écriture se trouve alors à l’intersection de la sexualité, du culturel et du symbolique.

Sur le plan de la forme, de l’architecture romanesque, la structure est un kaléidoscope, une technique de la mise en abyme, le tout moulé dans une langue et un style tout aussi ambigus : grossiers et châtiés à la fois, enrichis d`oxymores et de néologismes. Il ya comme un effet de miroir, reflet de sa propre vie, reflet de ses expériences multiples. Est-ce alors un miroir autobiographique ? En tout cas, la narratrice affirme ne pas aimer son corps qu’elle traîne comme un boulet et qu’elle était l’esclave de Sacha. P.274. Simultanément, on décèle aisément les influences de ses lectures, l’étendue de sa culture générale, en l’occurrence, les traces de l’absurde d’Albert Camus, ce tragique camusien flirtant alors avec le spleen de Baudelaire, en un mot, cette intertextualité trouve un écho favorable avec les poètes romantiques : « les poètes maudits »p 220 et 250.

En fin de compte, l’appareillage argumentatif de cette prose poétique et les outils théoriques qu’elle peut exiger dans l`harmonie des contraires ne révèlent-elles pas la complexité de l`homme ? En d`autres termes, l’incarnation de la condition humaine précaire, dévoilant par là même cette quête d’éternité que l’homme a vivement besoin ? Cette alternance entre le lyrisme et la dimension ontologique, à savoir l’investigation du Moi, des racines, des amours, semble avoir des visées prométhéennes, traduire une utopie, d’où la magie de l’écriture.

Sans vouloir transformer le roman en un catalogue des faits sociaux, nous regrettons tout de même qu’à l’heure d’une mondialisation confuse et insipide, où le continent est plus victime que profiteur, qu’un auteur africain s’enferme aveuglement dans un amour- passion. Ce qui donne des sensations, voire des allures d’une romancière bourgeoise baignant quelque peu dans l’insouciance.

Dr Cécile Dolisane-Ebosse*, Université de Yaoundé I

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