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L'économie, talon d'Achille des départements d'outre-mer

Yves-Léopold MONTHIEUX
L'économie, talon d'Achille des départements d'outre-mer

(Suite de « Département d’Outre-Mer : la plasticité d’un statut de 75 ans »).

Il n’est pas besoin de zèle particulier ni de vocabulaire fleuri pour reconnaître les performances d’une institution qui, tout au long de ses 75 années d’existence, a su intégrer en son sein moult changements dont la plupart ont été considérés par les évolutionnistes comme des progrès : la déconcentration, la décentralisation, l’assemblée unique, la collectivité territoriale... Sa longévité dépasse la durée des deux constitutions des IVème et Vème Républiques réunies. L’étude du droit public ne saurait se désintéresser des riches enseignements du système départemental en Outre-Mer : son contenu, son évolution, son histoire. Ce cas d’école dont les contempteurs s’horrifie à sa seule évocation aura de l’intérêt même après sa disparition.

Entre les deux volets de ma tribune est paru le « billet » de Montraykréyol démontrant avec le talent habituel, la verdeur du propos et une mordante raillerie, que la fête à tout prix des opposants à la règle de droit, qui est considérée comme raciste et assassine, avait un goût et un parfum de révolution. Une révolution Canada dry, en quelque sorte. Dans une île où les malheurs du chlordecone se déclinent sur tous les tons, la perspective de transmettre le COVID de proche en proche n’a pas fait ombrage à ce bonheur de désobéissance militante. Qui ne voit dans la joyeuse insoumission colorée tant par le verbe que par le Rouge-vert-noir, la traduction de l’irresponsabilité collective et du zèle jouissif des contempteurs du département ?

Pouvoir condamner l’existant tout en le savourant et sans proposer autre chose. Quel délice !

Sinon, autre évocation du « billet », si l’indépendance est souhaitable et possible, prenons-la. Démocratiquement, comme la Nouvelle-Calédonie tente de le faire, ou par la révolution, comme l’Algérie. En revanche, si on la croit impossible, qu’on cesse de faire comme si, et d’y faire croire les Martiniquais. Pierre Petit a souvent parlé de « doussinè » pour caractériser ces assimilés d’un type particulier. J’ai souvent retrouvé cette position dans la philosophie générale de Montraykreyol, y compris à travers ce « billet ». Cependant, prétendre rattraper des siècles de privations et de souffrances n’accorde pas une rente de situation ou des droits de tirage indéfinis, et encore moins à tout prendre d’un coup, en une seule génération. Laissons-en un peu pour les futures générations. En effet, l’image de goinfrerie pourrait être remplacée par une autre rappelant les valeurs de liberté, de démocratie et de qualités humaines dues, pour une grande part, au statut d’appartenance à la France. La promotion de ces valeurs serait d’un meilleur attrait pour l’économie et le pays, en général, que la réputation de terre d’esclaves, empoisonnée de surcroît, dont nous paraissons tirer fierté. Laquelle, au contraire, semble jouer la fonction de repoussoir de l’étranger et donner à notre jeunesse un motif supplémentaire pour quitter le pays.

Venons-en, ci-dessous, au second volet de la tribune (Parue au second semestre 2001 in Le Refus du débat institutionnel).

Fort-de-France, le 26 mars 2021

Yves-Léopold Monthieux

 

II - L'économie, talon d'Achille des départements d'outre-mer

Le retard économique des départements d’Outre-Mer est le principal reproche concret fait au statut, s’il est vrai que l’assimilation tant décriée dans les discours est en réalité assumée avec gourmandise par tous les partis politiques martiniquais. C'est en effet l'un des arguments principaux des évolutionnistes, qui n'annoncent pas cependant le moindre début de solution pour y remédier dans une perspective d'autonomie ou d'indépendance. Mais comment pourrait-il en être autrement alors que le cadre départemental repose sur la notion de solidarité, qui fait que les droits de tous doivent être égaux quel que soit le département dans lequel ils s'exercent.

La singularité des départements d'Outre-Mer réside dans leur éloignement de la Métropole, leur identification géographique et humaine qui permet la comparaison avec des pays indépendants. C'est tout le conflit entre les deux notions de circonscription administrative et de pays. Comme département nous exigeons l'application de la solidarité nationale tandis qu’en qualité de pays nous exprimons le besoin d'avoir une économie qui nous est propre. S'il est sain de tendre vers ce double objectif, il est quasi impossible d'y parvenir. Car les notions de développement économique et de protection sociale s'affrontent. Ce ne sont pas des entreprises parallèles qui s'ignorent, mais bien des ambitions dont les chemins se croisent et se heurtent au carrefour des réalités financières. Augmenter le Smic dans un esprit de justice sociale a pour effet de rendre la vie plus difficile aux entreprises qui sont amenées à répercuter cette hausse sur les produits. Même si dans un second temps l'augmentation du pouvoir d'achat des travailleurs pourrait favoriser la consommation, donc l'entreprise.

Il est bien entendu que dans un pays de plein exercice, si l'on peut dire, comme Ste Lucie, la Barbade ou Cuba, les mesures de protection sociale ne valent que ce que la vigueur de leur économie leur permet d'espérer. Une constante : ces mesures comme la richesse du pays sont essentiellement variables. Dans les Dom, ces mesures sont des "droits acquis", selon une théorie juridique qui trouve sous nos latitudes une illustration assez large, mais qui n'a pas d'équivalent chez nos concurrents de la Caraïbe où rien n'est jamais véritablement acquis. Dans cette perspective, le développement économique des Dom exige des trésors d'initiatives et d'originalité tandis que nous devons maîtriser les données de l'économie internationale avant de les adapter à notre société. Qui peut s'étonner de la difficulté de la tâche ? Il n'est pas contestable que ces particularités conduisent les acteurs de l'économie locale à se forger des compétences et un mode de fonctionnement qui ne sont pas exigés ailleurs. Car deux et deux ne font pas toujours quatre ; pour faire quatre, il faut presque toujours un cinquième élément, l’aide de la collectivité nationale ou/et locale. Dès lors, l'évolution politique de la Martinique ne saurait ignorer ou même relativiser les particularités de l’économie en terre française d’Outre-Mer.

Ne soyons pas hypocrites, nous ne pouvons pas bénéficier des avantages sociaux que l'on a, notamment des salaires deux, trois, parfois dix fois supérieurs à ceux de nos concurrents économiques à travers le monde, et nous plaindre que notre économie traîne le pas. Aucun Martiniquais n'est prêt à faire le choix d'une économie soumise aux règles impitoyables de l'orthodoxie économique et de renoncer aux avantages sociaux que nous connaissons aujourd'hui. Le tourisme, la principale activité économique de l'île, traverse en ce moment des difficultés de tous ordres : transports aériens, contexte international, problèmes inhérents à nos propres insuffisances, etc. C'est le principal échec politique de la départementalisation. Malgré tout, nous nous en sortons mieux, en raison de notre fonds de roulement français et européen, que la plupart de nos voisins indépendants, en particulier l'île de Ste-Lucie qui a vu se fermer la quasi-totalité de ses hôtels au cours des dernières semaines. Et il n'a échappé à personne que, pour pallier la désaffection de leurs hôtels, nos amis du Sud ont orchestré depuis une campagne exceptionnelle de promotion en direction des touristes martiniquais : pas en direction des touristes de St-Vincent, de la Barbade ou de Cuba ! Car contrairement à nos voisins, notre appartenance au grand ensemble français et européen procure quelques ressorts pour affronter les mauvais pas. Notamment en matière touristique ou d’exportation de notre banane qui vient, grâce à l’Europe, de surmonter un énième écueil à la conférence de Doha au Qatar.

En tout état de cause, pas plus qu’on doive priver les citoyens d’un vrai débat institutionnel, on ne saurait en écarter les spécialistes de cette économie atypique où la nécessité de créer la richesse martiniquaise doit s’accommoder de la reconnaissance des intérêts des travailleurs. On ne peut donc en écarter l’augure d’un revers de mains ou par une formule définitive, du genre : « ce sont des capitalistes », ceux qui ont été formés à cette double mission : les commerçants, artisans, industriels et autres décideurs économiques.

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